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LA PÂLE LUMIÈRE

DES TÉNÈBRES

ERIK L’HOMME

GALLIMARD JEUNESSE / RAGEOT ÉDITEUR

À Jean-Lu et ses mastications inspirées.

À Romu et nos galères pirates.

En guise d’introduction

Pierre et moi nous sommes rencontrés le 30 novembre 2003, au Salon du Livre de Montreuil. Je possède une dédicace sur le premier tome de La Quête d’Ewilan qui me rappelle ce jour : « À Erik. Nos univers sont proches, nous le sommes sans doute aussi… On teste ? Amicalement, Pierre B. »

Nous aurions pu en rester là, vivre nos vies parallèles d’auteurs, nous contenter de boire un verre au hasard des salons. Mais on a testé ! On s’est apprivoisés, lentement, pas à pas. On a discuté. On a même commencé à évoquer la possibilité d’un projet commun ! Ce n’était, à l’époque, pas encore le moment.

Ce moment est arrivé en 2008. Nous étions tous les deux à un carrefour. Nous pouvions partir chacun de notre côté ou bien faire un bout de route ensemble. J’ai appelé Pierre un soir de novembre. J’avais un projet à lui proposer.

Le 16 décembre 2008, j’étais chez lui, à Pélissanne. Autour de quelques tasses de café, je lui ai exposé les idées qui m’étaient venues. Il m’a écouté jusqu’au bout puis il a dit quelque chose comme : « Et si au lieu d’être là c’était ici ? » J’ai réfléchi et j’ai répondu un truc du genre : « Pas mal. Mais alors il faudrait que ce soit comme ça et que ceci devienne cela. » L’échange a duré longtemps. Nos yeux brillaient.

« Ça me plaît, a dit Pierre. On devrait mettre ça noir sur blanc. » Dans son bureau, nous avons jeté sur l’ordinateur la base d’un vaste projet. Une série fantastique, reposant sur trois principes fondamentaux :

– l’association (deux auteurs et deux éditeurs, main dans la main),

– la nouveauté (cet univers commun ne renvoie à aucun de nos univers particuliers, sinon pour des clins d’œil ponctuels),

– le plaisir (plaisir d’écrire, d’imaginer et de délirer ensemble).

A comme Association n’a donc aucun lien avec ce que Pierre a pu écrire précédemment. Je le précise à l’attention de ses lecteurs les plus fidèles. Inutile d’en chercher ou d’en inventer. C’est un projet indépendant, différent.

Nous avons fini de travailler tard, ce soir-là. Nous étions complètement excités. Les éléments s’ajoutaient les uns aux autres, les idées fusaient.

Le lendemain, avant mon départ, Pierre a voulu marquer l’instant à sa manière. Il m’a offert le dernier tome du Pacte des Marchombres. Sur la première page, il s’est amusé à écrire : « Pour mon vieux frère. Alors voilà, c’est l’histoire d’une association qui… Quoi ? Tu connais déjà ? C’est ton projet ? T’es sûr ? Notre projet, tu veux dire ? Bon, je préfère ! Bonne route et à bientôt chez Walter et mademoiselle Rose. Je t’embrasse, Pierre B. »

Chez Walter et mademoiselle Rose. On y est maintenant. D’avril 2009, date à laquelle nous nous sommes concrètement attaqués au projet, jusqu’en novembre de la même année, on se téléphonait et s’écrivait souvent, on se motivait, se pressait, se bousculait, se titillait, se chambrait sans arrêt, dans un esprit d’émulation facétieuse. Comme deux gamins. Pierre a, durant cette période, écrit deux tomes. Il les a terminés mais n’a pas eu le temps de les reprendre, de les retravailler ainsi qu’il en avait l’habitude.

Ces deux manuscrits, les derniers qu’il a écrits, sont donc publiés « bruts de décoffrage ». Je les ai relus, j’ai corrigé ce qui me semblait devoir – pouvoir – l’être. Pas plus.

Après la mort de Pierre, j’ai dû prendre une décision. Soit jeter le projet aux oubliettes, ce projet sur lequel on travaillait depuis presque un an avec un entrain et un bonheur incroyables (avec jubilation, pour utiliser un mot cher à Pierre), soit le poursuivre, avec des aménagements.

Je dois avouer que j’ai longuement hésité. Mon éditrice et celle de Pierre me soutenaient à fond, quel que fût mon choix. J’avais également la confiance de la femme de Pierre, Claudine, qui s’en remettait à mon libre arbitre.

Il est difficile de porter seul le poids d’une décision importante. D’autant que ce projet n’avait de sens à mes yeux que parce que Pierre et moi le partagions. Il n’était rétrospectivement qu’un prétexte à tous les moments privilégiés que l’on passait ensemble. Mais avais-je le droit de laisser en jachère ce qu’il avait écrit ? Continuer l’aventure, n’était-ce pas un moyen de rester en sa compagnie ?

J’ai pris le temps de la réflexion. Puis j’ai essayé d’écrire quelques pages de la suite. Et tout est devenu évident. Pierre était là, au-dessus de mon épaule, avec son bon gros sourire. Attentif et bienveillant.

Quel qu’en soit aujourd’hui le résultat, j’assume pleinement ma décision. Parce qu’elle m’a semblé alors – et me semble toujours – la bonne.

Heureusement, je ne suis pas seul pour affronter l’avenir. Il y a Hedwige, directrice de Gallimard Jeunesse, et Caroline, directrice de Rageot. Nos deux Associées de toujours.

Et puis il y a vous, chers lectrices et lecteurs, futurs Associés !

À vous deux et à vous tous, merci d’être là avec moi. Avec nous.

Erik L’Homme

Prologue

Je m’appelle Jasper. Pourquoi pas Gaspard, comme tout le monde, il faut le demander à mes parents.

Sans garantie de réponse.

Je crois que ma mère avait un oncle dénommé Gaspard qu’elle aimait beaucoup. Lorsque je suis né, il y a environ seize ans de ça, elle a immédiatement pensé à lui, mais elle n’a pas voulu emprunter son nom sans son accord (ce qui aurait été difficile, ledit Gaspard étant mourant à l’époque).

Je précise tout de suite que ma mère est plutôt bizarre.

J’aurai l’occasion d’y revenir.

Mon père s’est finalement débarrassé du problème (c’est sa spécialité) en lui donnant une dimension internationale (une autre de ses spécialités…). Ils ont donc cousu Jasper, la version anglaise de Gaspard, sur ma layette.

Une chance que Casper soit un gentil fantôme parce que c’est comme ça qu’on m’a appelé jusqu’à la fin de l’école primaire.

J’ai eu droit ensuite, au fur et à mesure que j’avançais vers la puberté, à « J’espère », « J’aspire » et « J’asperge », puis au lycée, l’âge et l’érudition venant, à Jasper le Roi mage et au fameux « Tu crèches où ? », qui a fait se tordre de rire une cohorte de faux camarades.

S’ils savaient ! Jasper le Mage, brûleur d’encens. Ils ne sont pas tombés loin.

Mais pas question de magie ni de plantes ce soir. Je marche dans les rues de Paris désertées par les badauds réfractaires au petit vent d’hiver, les mains dans les poches d’une veste noire en toile huilée (un peu grande pour moi mais je l’adore), ma besace (qui ne me quitte jamais) battant ma hanche, jetant vers les recoins obscurs des regards acérés.

Non, ce soir je ne suis pas Jasper le tueur, le nettoyeur. Je ne suis que Jasper l’émissaire, collant au plus près au sens (strict) de mon nom : « Celui qui vient voir ».

Celui que je viens voir s’appelle Fabio.

Fabio. Je me répète plusieurs fois ce prénom en remerciant mentalement et avec ferveur mes parents d’avoir finalement opté pour Jasper.

Mes ordres sont clairs : toiser sévèrement le dénommé Fabio (ça, c’est un préambule à ma sauce) et lui rappeler le code de bonne conduite des Anormaux.

À savoir rester discrets.

Dans l’ombre.

Invisibles, indécelables.

Vivre comme s’ils n’existaient pas, aux yeux des gens normaux en tout cas.