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San-Antonio

Chauds, les lapins !

A Marc BONNAND

dont le cœur est aussi musical que la voix, avec mon admiration, ma reconnaissance et ma tendresse.

San-A.

Y a lurette que je t’avais pas prévenu : la plupart exceptés, tous les personnages de mes books sont fictifs. Inutile de venir me briser les claouis avec un procès en diffamance, tu l’aurais dans le prose !

San-A.

PREMIÈRE PARTIE

AUTANT EN EMPORTE

LE VAN

I

L’ÉTRANGE MÉSAVENTURE SURVENUE À L’ÉPOUSE D’UN MINISTRE ET QUI VA AVOIR DES CONSÉQUENCES DONT JE NE TE DIS QUE ÇA

Le chef du protocole néerlandais, un grand blond avec une Rolex en or à cadran champagne, accueillit le ministre français à l’aéroport d’Amsterdam un peu avant midi. Les homologues européens de ce dernier étaient déjà tous arrivés, qui la veille, qui plus tôt dans la matinée, car la conférence européenne organisée par Interpol devait débuter par un déjeuner prévu pour 13 heures.

Le chef du protocole portait, outre la Rolex ci-dessus mentionnée, un complet gris foncé à rayures plus foncées encore qui le faisait ressembler à un platane parisien pourvu de sa grille protectrice.

L’Excellence apparut au sommet de la passerelle. Elle n’était pas seule : une dame l’escortait ; aussi volumineuse qu’elle. Le ministre était vêtu d’un pantalon marron et d’une veste noire qu’il avait tort de boutonner car elle était trop juste de dix bons centimètres. Une grande traînée glaireuse maculait l’un des revers du vêtement, ainsi que le devant de la chemise, plus le bas de la cravate bleu ciel pour faire le bon compte. Quant à la personne du sexe (l’expression avait été créée pour elle) qui l’accompagnait, elle était entièrement habillée de rose. Robe, manteau, bas, chaussures, tout était d’un rose exalté d’aubépine en fleur. Seul, son maquillage se situait dans les tons cyclamen.

Le couple demeura un instant immobile sur son piédestal, à admirer le sol batave ; puis le ministre fit un salut passablement romain avant de descendre la passerelle. Sa compagne le suivit, mais rata une marche et se mua aussitôt en avalanche pour entraîner l’Excellence jusqu’aux pieds du chef du protocole. Le malheureux considéra avec une incrédulité paralysante ces deux pachydermes à la renverse : grouillement épais, ponctué de cris et d’imprécations.

La dame ne portait pas de culotte et cette absence fascinait les assistants. L’on se précipita néanmoins, des mains hollandaises se saisirent des mains françaises et les halèrent. Le couple retrouva la verticale.

Le ministre s’époussetait rageusement en invectivant l’avalanche :

— Toi, la Gravosse, tu changeras jamais : souple comme un bâton à merde, bordel ! Quand t’est-ce on n’est pas capab’ d’descend’ un escadrin d’avion, on rest’ chez soi !

— C’est mon talon qu’a ripé dans les rainures ! plaida la personne en rose.

— Talon ton cul ! Mets des bottes si t’es pas foutue d’arquer av’c des escalpins !

L’Excellence se calma devant les visages stupéfaits qui les arc-de-cerclaient.

— Mande pardon pour l’interlude, messieurs, fit le ministre en souriant, mais mon épouse dont j’me permets d’vous présenter est pas un’ surdouée d’l’aréobic.

— Nous ignorions que madame nous ferait l’honneur de vous accompagner, Excellence, bafouilla le chef du protocole, visiblement très emmerdé.

L’arrivant le rassura :

— Faut pas vous cailler la laitance, mon grand ; inutile de rajouter un couvert, maâme ma femme a juste profité d’la voiture. Elle veut visiter Amsterdam dont elle a entendu causer du quartier des putes en vitrine. Simp’ment s’rend’ compte ; v’savez comment sont les gonzesses ? Dès qu’il est question d’cul, é s’mettent à mouiller comme des folles. Bon, Berthe, on va pas casser les burettes à m’sieur. Tiens, v’là un bifton d’cent florentins, amuse-toi bien et rends-moi la mornifle c’soir. Rambour à l’hôtel qu’j’t’ai écrit l’blaze s’un papelard ; perds-le pas, s’rtout. Prends un taxi, à moins qu’monsieur t’avance un bout en direction d’la ville ? Oui, vraiment, ça vous dérange pas, grand ? Merci, v’s’êtes bien serviab’. Auriez-vous-t-il un peu d’eau écarlate dans vot’ boîte à gants ? Ces enfoirés nous ont servi des toasts dans la vion et j’m’ai emplâtré d’mayonnaise comme c’est qu’vous pouvez voir. J’aim’rais bien arriver nickel à c’te circonférence. Non v’n’n’avez pas ? Tant pis. Vous m’frez stopper d’vant une droguerie.

Le cortège se forma enfin.

Puis s’ébranla.

L’épouse du ministre français fut déposée en plein cœur de la ville. Son tendre mari se retourna longuement pour lui adresser un signe affectueux par la portière, bras tendu, main à la renverse, médius dressé. Il abandonnait cette énorme praline au milieu de la populace vélocipédiste et son cœur généreux d’époux se serrait.

Il rentra sa main dans l’habitacle et déclara au chef du protocole :

— Elle a son caractère, mais c’t’une bonne p’tite, et alors, au plumard, mon pauv’ vieux, pour vous arracher l’copeau, y en a pas deux pareilles !

Demeurée seule, la femme du ministre décrivit sur place un cent quatre-vingts degrés, histoire de prendre ses repères. La foule grouillait sur des vélos noirs, de formes archaïques. Cela dit, il y avait pas mal de bagnoles également. La grosse femme en rose ne remarqua point une Opel bleue, stationnée en double file non loin de là. Cette voiture avait filoché la leur depuis l’aéroport. Deux hommes se tenaient à son bord. Le conducteur portait des lunettes teintées, très foncées. Son passager se tenait à l’arrière, il était fort, brique de teint, avec des cheveux blonds, rares, collés sur le crâne. Il fumait un cigare long et mince qu’il tenait d’une main gantée de cuir.

Un policier en tenue noire fit signe aux gens de l’Opel de ne pas stationner. Le conducteur acquiesça. Il était jeune, avec le crâne rasé et une mâchoire rigoureusement carrée comme un tiroir. La peau de son crâne dénudé formait une tache blême, écœurante, qui ressemblait à une maladie du cuir chevelu.

Il obtempéra à l’injonction de l’agent et démarra très lentement. Mais il n’alla pas loin car, providentiellement, une fourgonnette de livraison déboîtait de la file ; il manœuvra pour prendre sa place.

Pendant ce temps, la grosse dame en rose abordait le flic.

— Scouez-me, per favor, do you sprechen français ? lui demanda-t-elle avec un sourire comme un sexe de jument en rut.

Le policier hocha la tête d’un air penaud, comme si on venait de le prendre en défaut. Il passait toutes ses vacances dans un goulag pour caravanes, sur la Côte d’Azur française, et y avait acquis de vagues rudiments de la plus belle langue du monde[1], mais il ne pouvait pour autant prétendre la parler.

— Je petit peu, fit-il en rougissant devant le regard avide de sa terlocutrice qui le trouvait seyant dans son uniforme à boutons d’argent.

— Pourriez-vous-t-il m’indiquer le marché aux Putes ? demanda l’épouse du ministre. J’sus de passage et j’voudrais pas rater l’spectac. On m’a dit qu’av’c le marché aux fromages, c’tait c’qu’avait de mieux.

Le flic eut du mal à comprendre ce qui lui était demandé. Il fronçait les sourcils et haussait les épaules par petites saccades pour exprimer sa perplexité. La rose passante entreprit alors de ponctuer par des planches en couleur.

— Vitrine ? You pigez ? Petit magasin ? Dedans jolies mademoiselles. Pétasses, vous voyez ?

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1

C’est sûrement vrai : c’est un Français qui me l’a dit.