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Ça ne rate pas… Trois minutes ne sont pas écoulées qu’un car chargé de flics s’annonce. Les badauds se précipitent…

— Il m’a échappé, je brame. Vite, foncez : un grand type avec un imperméable et un chapeau de toile…

L’un des flics descend en voltige, les deux autres mettent les gaz dans la direction que je leur indique.

— Qu’est-ce que c’est que ce travail ? interroge le bourdille.

En guise de réponse, je lui installe mon insigne sous le nez. Il rectifie la position.

— Vous êtes blessé, monsieur le commissaire ?

Intentionnellement, je conserve mon bras gauche pendant.

— Une simple égratignure au bras ; par exemple, mon camarade est touché sérieusement, ce salaud-là était planqué derrière des caisses et il lui a tiré en pleine face. Alertez une ambulance…

Nous pénétrons, le flic et moi, dans le hangar. Nous identifions le cadavre de Wolf, le revolver de « l’assassin », et, après quelques investigations, sous les yeux du matuche, je découvre des documents dans le vieux fourneau.

— C’est bien ce que nous cherchions, dis-je : les plans sont là ! Si jamais on pince cette ordure…

L’agent est tout regonflé de participer, même d’une façon toute contemplative, à une affaire d’espionnage. Il va raconter ça à sa femme, à son cousin Ernest, au petit garçon de sa concierge… Et c’est justement ce que je veux. Je lui laisse le soin d’embellir l’histoire. Ainsi, lorsque les types qui corrompaient Wolf voudront se rencarder sur les circonstances de sa mort, ils auront un de ces romans-feuilletons comme on n’en publie plus ! Un truc à faire rêver les marchandes des quatre-saisons !

L’ambulance radine. Puis les flics, des flics… On charge le cadavre de Wolf dans la cage à bidoche ; à ce moment-là je fais mine de défaillir et on m’y embarque aussi. Je préfère laisser aux autres le soin de rédiger les rapports officiels.

Une fois dans l’ambulance, sous les yeux de l’infirmier ahuri, je me mets en devoir de fouiller les fringues de mon ex-collègue. A part ses papiers, son fric, ses clés et son pétard, je ne trouve d’intéressant qu’un télégramme.

Ce dernier est roulé en boule au fond de sa poche. Je le déplie, et je vois qu’il est daté de la veille.

Il a été posté à Versailles, et il dit :

Prière me téléphoner demain matin, Claude.

Je le glisse dans ma poche et je me mets à réfléchir un peu à tout ça.

CHAPITRE IV

FAITES CHAUFFER LA MATIÈRE GRISE

Quand je rentre dans le burlingue du patron, j’ai le bras gauche en écharpe.

Il se lève en m’apercevant et va pousser le verrou de sa porte capitonnée.

— De la casse ? fait-il en montrant mon bras. Rien de grave, j’espère ?

J’ôte mon bras de son support de toile.

— Une petite mise en scène à l’intention des journalistes, simplement. Ça fait plus vrai…

Il me serre la main.

— Je sais combien cette mission a dû être terrible pour vous, San-Antonio… Aussi n’épiloguons point sur ce chapitre. Vous vous êtes admirablement tiré de cette besogne délicate entre toutes.

« Inutile de vous dire que, si les journaleux vous assaillent, vous devez leur donner le maximum de détails, n’est-ce pas ? »

— Faites confiance, boss, j’en ai déjà mis un paquet au panier et je leur ai vendu une de ces salades qui fera la joie des metteurs en pages…

Il caresse son front d’ivoire.

— Votre petit jockey, Nez-Creux a été appréhendé en fin de journée à la frontière belge.

J’éclate de rire.

— Il doit me maudire, le pauvre diable. Insistez pour qu’il soit bien traité et qu’aucune procédure ne soit entreprise contre lui. Dès que vous estimerez la chose possible, il faudra l’élargir. On tâchera de lui revaloir ça, d’une autre manière…

— Bon, fait le patron, eh bien c’est parfait.

Son « c’est parfait » signifie quelque chose dans le genre de : « Je n’ai plus besoin de toi, tu peux te déguiser en courant d’air » !

Je ne bronche pas de mon fauteuil.

— Peut-être pas si parfait que cela, patron.

Il lève un sourcil. Un seul. Y a que lui pour réussir un exploit de ce genre.

— Vous dites ?

— Vous me permettez de vous poser une question ?

— Allez-y…

— Wolf avait trahi. De quelle manière ?

Comme il se rembrunit, je me hâte d’ajouter :

— Croyez bien que ça n’est pas par simple curiosité que je vous demande ça. Mais j’ai… C’est difficile à exprimer : de sales idées, peut-être que j’y verrais plus clair si vous me répondiez…

Le patron hésite, puis :

— Vous avez entendu parler de la bande Angelino ?

— Demandez à un agrégé d’histoire s’il a entendu parler de Louis XIV !

Angelino est un Sicilien gonflé à bloc qui a fait parler de lui sur les trois continents. C’est juste le genre de mec qui a un accélérateur dans les méninges et qui inventerait n’importe quoi pour gagner du flouze. Il a tripoté un peu de tout : contrebande d’opium en Indochine ; trafic d’armes en Grèce ; kidnapping aux U.S.A. ; j’en passe comme disait l’autre — et des meilleures !

Son dernier fromage, c’était la récolte de documents secrets dans la région de Las Vegas mais les Fédés se sont fichus en rogne après lui et il a dû calter d’Amérique par le premier avion qui passait à sa portée. Il est donc venu se réfugier en Europe, qui est le coin où tous les petits dessalés de son espèce radinent lorsqu’ils sont brûlés outre-Atlantique… Il n’a pas encore fait parler de lui ; mais Angelino est un gars avec lequel on ne perd jamais rien pour attendre.

Le chef tire sur ses manchettes immaculées.

— Angelino réorganise sa bande, dit-il. J’ai eu des tuyaux sûrs. Wolf avait accepté de travailler pour lui. Comme garantie de sa bonne foi, il lui a livré des détails importants concernant notre organisation, nos effectifs, nos procédés de répression. Ce qui indique que le Sicilien prépare un grand coup et que c’est nous qui serons intéressés à l’affaire…

— Comment avez-vous été rencardé ?

— Patavian faisait partie des types récupérés par Angelino. C’est lui qui nous a mis au courant pour Wolf… Afin de vérifier l’exactitude de son renseignement, j’ai laissé traîner à la portée de Wolf des documents au flan… Ça n’a pas raté : deux jours plus tard, Patavian m’assurait que ceux-ci étaient connus d’Angelino.

— Patavian doit savoir ce que prépare le Rital, non ? je questionne.

Le chef secoue la tête.

— Patavian ne sait plus rien. On l’a trouvé dans un terrain vague, la semaine dernière, la gorge ouverte d’une oreille à l’autre. Angelino a dû se rendre compte que l’Arménien broutait à deux râteliers ; il ne plaisante pas sur ce chapitre…

« La disparition de cet homme a donc rompu tout contact entre nous et le Sicilien. C’est pourquoi j’ai pris la décision de supprimer Wolf, vous saisissez ? »

Il pousse vers moi un coffret empli de cigarettes.

— Piochez dedans.

Ce coffret est, à lui tout seul, une véritable manufacture des tabacs. Je choisis une longue cigarette de gonzesse à bout de liège.

Je l’allume et, oubliant que je suis dans le burlingue du big boss, je monte à califourchon sur un nuage.

Il respecte ma méditation comme un brigadier de gendarmerie respecte sa femme.

— Ecoutez, chef, je pressens un patacaisse de toute beauté pour très bientôt. Tout à l’heure, Wolf n’est pas tombé raide, il a eu le temps de balbutier quelques mots. Et ces mots sont : « Demain… on va tuer Orsay… »