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Cette nouvelle équivoque me contriste, mais je me dis qu’après tout, tant qu’il y a de la vie, y a de l’espoir. Claude est jeune et robuste, du moment qu’elle n’a pas mordu la poussière tout de suite, c’est qu’elle s’en tirera.

Je me fringue et je vais manger un morceau dans une brasserie. Un petit coup de calva et je peux vous présenter un homme d’attaque.

J’achète les journaux, histoire de voir à quelle heure les quatre grands doivent se réunir. C’est prévu pour tantôt, sur le coup de quatre heures…

Que pourrais-je bien faire en attendant ? Je décide de laisser choir le bureau du chef. Je ne suis pas d’humeur à lui bonnir des romances en le regardant tirer sur ses manchettes immaculées… Non, je vais aller au Louvre. Une idée, comme ça… J’ai envie de faire la connaissance de Montesquieu, c’est mon droit, non ?

Je crois bien que je n’ai pas remis les pieds dans ce prestigieux musée depuis ma période d’étudiant. Je demande le rayon des statues et un gardien galonné me l’indique : c’est au sous-sol. Me voilà, musardant entre les Diane, les Vénus, les héros, les chérubins, les guerriers antiques, les barbouzards de toutes sortes.

J’arrive au rayon des bustes et il ne me faut pas longtemps pour repérer celui de Montesquieu. Une fois devant lui, je me sens vaguement crétin. Qu’est-ce que j’espérais, en lui rendant cette visite ? Qu’il me raconterait des histoires marseillaises ?

Je lui tapote la joue.

— T’es rien pâlichon, je lui dis. Et froid comme un nez de chien avec ça !

Un type s’arrête pour me regarder faire.

C’est un grand zig qui louche comme une belette. Il me regarde d’un air stupéfait, puis a un imperceptible haussement d’épaules et s’éloigne.

Evidemment, j’ai tout du type dérangé du citron.

Je regarde encore le père Montesquieu. Je ne suis pas fortiche en sculpture, mais je me rends tout de même bien compte que ceci n’est pas une grande œuvre. C’est pompelard comme tout, bien travaillé, bien léché… Jamais un amateur d’art ne voudrait avoir une copie de ce truc-là chez lui… Ça ne peut intéresser qu’un littérateur, à cause du sujet… Je doute que Wolf ait été pote avec des littérateurs. Lui, c’était plutôt le genre Vel’ d’Hiv’…

Décidément, tout ça est bien mystérieux… D’autant plus mystérieux qu’on n’a pas hésité à lâcher une rafale de mitraillette dans la porte de la petite Claude pour lui fermer le bec… Et pourquoi lui a-t-on fait cette sale blague ? Tout bonnement parce que j’étais chez elle et que je pouvais apprendre qu’elle avait fait la copie de ce vilain buste. En poussant plus loin le jeu des « pourquoi », on arrive vite à se demander pourquoi il était dangereux pour quelqu’un que je sois au courant de ce travail. Et, si je lâche le jeu des « pourquoi » pour celui des « comment », je me demande immédiatement : « Comment l’assassin savait que j’étais chez la môme Rynx ? Etait-ce parce qu’on la surveillait, elle, ou bien, au contraire, parce qu’on me surveillait, moi ? »

Si la seconde éventualité est la bonne, cela veut dire que, malgré notre mise en scène, Angelino n’a pas été dupe de « l’accident » survenu à Wolf.

Une vraie bouteille à encre, je vous dis !

J’envoie une seconde tape à Montesquieu, plus forte, c’est presque une mornifle.

Si tu pouvais parler, tu en aurais long à me raconter, pas vrai, mon vieux ?

Il commence à me courir, Montesquieu. Je lui fais une affreuse grimace et je me tire…

CHAPITRE VII

UNE IDÉE… COMME ÇA…

Comme je remonte l’escalier, il me vient une idée… Et je crois qu’aucun ciboulot n’a jamais enfanté une idée de ce calibre-là, sauf bien entendu Angelino.

Je sors dans les jardins du Louvre. Ma guimbarde est remisée à droite de l’entrée du musée. Je me dirige vers elle et je n’en suis plus qu’à dix pas lorsque le hasard intervient… Je ne sais pas si vous connaissez ce mec : le hasard ? Au cas où vous n’auriez jamais entendu parler de lui, laissez-moi vous dire que c’est un drôle de petit futé ! Il a le sens de l’humour et surtout celui de l’à-propos.

Voilà qu’un ouvrier en cotte bleue passe à côté de ma bagnole. Cet ouvrier tient une glace de Venise sur l’épaule. La glace est inclinée. Je la regarde, elle scintille sous le soleil. Et j’ai, fugitivement, au moment où il double ma guimbarde, la vision de l’intérieur de celle-ci.

Quelle n’est pas ma stupeur d’y découvrir, accroupi sur le plancher arrière, un mec qui n’est autre que celui qui m’a regardé, tout à l’heure, tandis que je discutais le bout de gras avec Montesquieu.

Cette vision est si rapide qu’il faut un œil de lynx pour entraver le truc, mais les lynx sont des taupes à côté de San-Antonio. Je freine ma marche et je réfléchis à tout berzingue ; rappelez-vous qu’il se produit un drôle de toutime dans mes méninges. Je m’arrête, palpe mes poches comme fait un type qui vient de s’apercevoir qu’il a paumé quelque chose, et je rebrousse chemin. Me voici à nouveau dans le musée. Je repère la loge du gardien-chef et je tabasse les carreaux. Il arrive, la casquette un peu de travers.

— Ce qu’y a ? demande-t-il de ce ton rogue qui est celui de tous les cornichons auxquels on confère une autorité quelconque…

Je lui présente ma carte. Alors il devient tout ce qu’il y a de fleur bleue… Un vrai myosotis.

— Qu’y a-t-il pour votre service ?

Je lui dis que je voudrais téléphoner. Il me désigne un appareil archaïque, au fond du local.

J’attrape l’écouteur et je dis à la standardiste de me colloquer le ministre des Affaires étrangères. Elle me le passe. Je ne sais pas quelle fonction occupe le gars du ministère qui me répond, mais, à la voix mordante, on pourrait admettre que c’est le ministre lui-même.

— Ici, surveillance du territoire ! lancé-je. Je voudrais un renseignement. Existe-t-il dans le ministère un buste de Montesquieu ?

Mon interlocuteur distille du point d’interrogation à toute allure.

— Un quoi ? finit-il par éructer.

— Un buste de Montesquieu.

Ce gougnafier est au bord de l’apoplexie.

— Vous vous fichez de moi ? demande-t-il.

Alors, je me fiche en rogne. Je lui dis que, chez nous, nous ne tolérons pas qu’un ouvreur de portes vienne nous parler sur ce ton et que, s’il a rêvé d’être chômeur, ce rêve n’est pas loin d’être exaucé.

— Demandez illico ce tuyau à une personne compétente, dis-je, et magnez-vous un tantinet, j’attends.

Quelques minutes s’écoulent. Mon coup de sang a certainement produit son effet, car le zig revient me bredouiller dans un tympan qu’en effet il existe un tel buste dans le salon vert.

Je lui demande ce qu’est le salon vert ; il me répond que c’est la salle des conférences privées.

— C’est dans le salon vert que doit avoir lieu tantôt la conférence des quatre ?

— Oui.

Je lui raccroche aussi sec au nez.

Puis j’appelle le boss.

— J’étais inquiet de ne pas avoir de vos nouvelles, fait-il.

Je lui tire la langue. Le big boss est bien peinard dans son burlingue surchauffé. Il se croit au cinéma, dans son fauteuil rembourré, et il voudrait toujours qu’on lui raconte des histoires…

Je lui relate mon odyssée de la nuit.

— Ecoutez, patron, je crois avoir découvert l’astuce d’Angelino. Il a fait faire une copie du buste de Montesquieu. Il l’a pralinée aux explosifs et elle éclatera cet après-midi pendant que les ministres se tireront la bourre. Ça fera un chouette barnum !

— Magnifique, murmure-t-il. L’idée était ingénieuse, vous avez quelque chose dans la tête, mon petit…