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Elle a un frémissement, puis elle soupire doucement. Ses paupières battent faiblement.

Je ne la bouscule pas ; faut lui laisser le temps d’atterrir, à cette chérie.

Elle ouvre ses grandes mirettes bleues. Elle me détranche.

Je lui souris gentiment.

— Comment vous sentez-vous ? je questionne.

Elle ne répond pas… Elle pâlit… Une nausée lui broie l’estom.

Enfin, ça se tasse.

— Qu’est-il arrivé ? demande-t-elle avec un accent bizarre.

— Vous avez été incommodée par une fuite de gaz…

— Ah ! bien…

Elle s’agite :

— Et… et lui ?

Je baisse la tête.

— Nous en reparlerons plus tard…

— Si, si, dites… Il…

Je joue admirablement mon rôle de brave type torturé.

— Oui, hélas !.. Il a eu moins de chance que vous…

— Mort ! hurle-t-elle…

— Oui, c’est affreux…

Elle éclate en sanglots et ça fait un drôle de foin, je vous l’annonce. Je ne me sens pas fiérot, sans rire… Faut avoir de l’extrait de fumier dans les veines pour torturer une mousmé de cette façon, mais ça fait partie d’un plan à moi. « Seuls les résultats comptent », dirait le boss, qui parle surtout par clichés, parce que c’est un genre de littérature facile et qui produit toujours son petit effet.

— Je vous reconnais, fait-elle enfin, après s’être liquéfiée. Vous êtes le commis épicier !

— Oui, c’est moi qui vous ai découvert…

— Le gaz, murmure-t-elle… C’est donc ça… J’ai senti comme un vertige, brusquement…

— C’est ça…

— Où suis-je ?

— Chez le docteur, il vous a fait transporter chez lui, car l’ambulance n’était pas libre… Vous n’en aurez pas pour longtemps avant de retrouver la santé…

Elle repart à tout berzingue dans son chagrin.

— Allons, allons, ma douceur, fais-je, soyez forte. Vous en avez réchappé, vous ! La vie est bonne à boire, non ?

— Sans lui, elle n’est pas possible ! fait-elle.

— Vous l’aimiez tant que ça ?

— Comme une folle…

— Vous êtes Française ?

— Mais oui, pourquoi ?

— Votre accent…

— Ah ! Alsacienne…

— Il y a longtemps que vous étiez ensemble ?

— Quatre mois…

— Pourquoi habitiez-vous cette maison ?

— Parce qu’il avait peur de sa femme qui nous…

Brusquement, elle se tait et me regarde à travers ses larmes.

— Mon pauvre petit ! dis-je en lui tapotant la pogne.

S’agit de freiner sec sur les questions, car elle doit commencer à trouver bizarre la situation. Elle est dans une chambre inconnue, soi-disant chez un médecin qu’elle ne voit pas, en compagnie d’un pseudo-épicier qui lui pose des questions à n’en plus finir.

C’est un peu fort de café…

Je réfléchis rapido. Si elle ne me bonit pas de romance, pour elle il ne s’agit que d’une histoire d’amour avec Stumer.

Pas gland, le zouave. Il s’est préparé un passe-temps pour se cloîtrer… M’est avis qu’elle est en dehors du coup, la cocotte. Je le crois d’autant plus volontiers qu’elle ne semble pas avoir inventé le Coca-Cola, elle a un circuit d’eau chaude à la place du cervelet.

Une sensuelle, sa peau lui sert d’esprit. Elle marche à la braguette. Des souris comme ça, y en a plein le marché aux esclaves de la place Pigalle.

— Il était gentil pour vous ? fais-je niaisement.

— Oh ! oui, dit-elle.

De l’extase, parole !

— Il avait peur de sa femme ?

— Elle voulait me vitrioler, paraît-il.

— Vous la connaissez ?

— Non, mais il me l’a dit…

Pas duraille à manipuler, la chérie.

— Comment vous appelez-vous ?

— Édith.

— Joli ! J’aime ce nom…

Elle n’entend pas.

— Mort, répète-t-elle, mort !

La voilà qui distille de l’eau salée.

Et moi, pour jouer le jeu, de dire ce que les bonnes gens débloquent toujours en pareille circonstance :

— Que voulez-vous, c’était son heure…

Je ne suis pas tellement content de ma prouesse. J’ai fait fausse route, les gars. J’ai cru que la môme Édith représentait le fin des fins pour Stumer, que c’était son égérie, et il s’agit seulement d’une petite excitée qu’il s’est annexée pour tuer le temps agréablement. Il aime le braque, mon petit Suisse. Il a fait croire à la môme qu’il avait une femme pas commode pour justifier la claustration qu’il lui faisait subir… Je lis dans son jeu comme un curé lit dans son bréviaire… Et Édith a marché. On croit toujours ce que vous bonnit le mâle qui vous calce bien.

C’est très gentil, ça… Seulement, Stumer ne va pas lever le petit doigt pour récupérer sa greluse. J’ai cru empocher de la mornifle en kidnappant cette fille, mais c’est de l’article au bidon… Maintenant, je l’ai sur le râble, je ne peux pas la garder indéfiniment, et comme elle semble en dehors du coup, lorsque je la relâcherai je vous parie une dent de fourmi contre un abonnement au Figaro littéraire qu’elle portera le pet. Et qui sera emmouscaillé jusqu’au trognon ? Le petit San-Antonio !

— Mais ! mais… s’écrie-t-elle.

Tandis que je gambergeais dans la grisaille, elle s’est mise sur son séant et elle a vu les menottes qui l’emprisonnent.

Elle me regarde en bégayant son « mais… ». Ses roberts sont larges comme des hublots.

— Allons, ne vous tracassez pas ! fais-je. C’est une simple précaution pour m’assurer de votre tranquillité.

Elle ne comprend pas. L’intellect de cette fille tiendrait dans la main du nain Piéral.

— Maintenant, mon âme, je murmure, on va jouer franc jeu. Ton pote Stumer était le plus bel enfant de salaud que je connaisse. Il marnait dans le mitan et il a en sa possession certains documents qui valent leur pesant de moutarde. Moi et ceux de ma bande, nous avons décidé de les récupérer. Je compte sur toi pour ce genre de boulot. Si tu ne peux pas me fournir d’indications utiles, tu vas te retrouver avant longtemps au fond d’un petit étang où je pêche de belles carpes.

J’allume une cigarette. Puis, je me détranche pour la regarder.

Elle est de plus en plus ahurie. Une journée comme celle d’aujourd’hui comptera pour deux dans son existence.

— Allons, parle ! Où Stumer a-t-il planqué les papiers ?

— Les papiers ? répète-t-elle. Mais… mais… je ne sais rien ! Quels papiers ?

— Elle est bonne, celle-là !

Je renaude, parce que je sens bien que la môme Édith est tout à fait ignorante.

Le petit oiseau qui tète encore sa mère en sait davantage !

Je me lève…

— C’est bon ! Je ne suis pas pressé. Réfléchis, ma belle… Réfléchis tout ton saoul. Je reviendrai tout à l’heure. À ce moment, nous aurons une explication complète et détaillée !

* * *

Furax comme un morpion importuné par la Marie Rose, je quitte la piaule en prenant soin de la boucler à double tour.

J’ai besoin de me dégourdir les pattes, besoin de gamberger à ce micmac…

Mon petit doigt, qui la ramène toujours dans certaines circonstances, me dit que j’ai fait une boulette grosse comme le déficit du budget en enlevant cette petite peau.

Mon voyage à Chicago m’a donné de mauvaises habitudes. Voilà que je joue les gros bras, à cette heure. Non, vous avez vu ce tableau ? Le mec San-Antonio qui ne se sent plus… Et je te joue les Arsène Lupin, et je te drogue les gars, et je t’enlève les greluses, et je te les séquestre !