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San Antonio

Du mouron à se faire

A James Hadley Chase, avec dévotion.

S.-A.

CHAPITRE PREMIER

OH ! MES CHASSES !

Venez pas me raconter qu’on peut mourir d’ennui car si c’était vrai, ça ferait huit jours que je serais cané à Liège.

Liège est pourtant une ville charmante, sympathique et tout, mais Liège pendant deux semaines, lorsqu’on n’a rien à y maquiller, devient vite aussi crispante que le Boléro de Ravel joué par un débutant. C’est le cas de toutes les villes de province, qu’elles soient françaises, belges ou papoues, pour un Parigot.

Après que j’eus fait tous les cinés, essayé toutes les marques de bière, fumé cent trente-trois catégories de cigares et carambolé deux vendeuses d’Uniprix, une serveuse de restaurant et la dame qui vend des beignets sur la place, devant le théâtre, je me trouve aussi déprimé qu’un bacille de Koch dans un flacon de streptomycine.

Quinze jours, les mecs, que je flâne dans ce bled en me demandant ce que j’y cherche…

Quinze jours que je bouquine toutes les œuvres de mes collègues du Fleuve Noir, œuvres dans lesquelles au moins il se passe quelque chose ! Et ma vie reste aussi déserte que le désert de Gobi ! J’attends… J’attends en bouffant des frites, en tortorant des boulettes de viande arrosées de sauce tomate — mets dont on est friand par ici ! J’attends en ligotant les journaux, en calçant les nanas…

De temps à autre, je passe un coup de tube au Vieux, à Paris.

— Dites, patron, je commence à prendre de la moisissure dans le cerveau. Qu’est-ce que je fais ?

— Attendez !

— Bon…

Attendre quoi ? Il n’en sait rien lui-même. Un truc se mijote en Allemagne, une histoire ténébreuse qui met tous les services de renseignements de l’Ouest sur les dents. Mon boulot à moi consiste à attendre à Liège parce que c’est une issue par où pourraient fort bien sortir les lapins pourchassés… Un coup de biniou doit m’alerter en cas de malheur… Un dispositif est prévu dont j’assurerai le bon fonctionnement.

En attendant, je me paie une drôle de partie d’ennui. Je suis devenu le champion du bâillement toutes catégories.

Pour comble de malheur, voilà que j’engraisse. Qui bien se pèse bien se connaît ! Je chope une demi-livre par jour. Si je finis l’année dans ce pays, je pourrai cloquer ma démission à la Sourde et m’engager pour jouer l’homme-baleine. Chaque fois que mes yeux rencontrent un miroir, je me fais penser à un éléphant que j’ai beaucoup aimé. Mes chasses commencent à s’enfoncer derrière des bourrelets. Je ressemble à Roger Lanzac. Et quand je néglige l’ascenseur de l’hôtel, histoire de faire un brin d’exercice, je souffle comme un train départemental à l’arrivée. Le gnace qui remporte Strasbourg-Pantruche à la marche est plus frais que moi.

Ce matin-là, en m’éveillant, je constate qu’un gentil soleil a succédé au crachin de ces derniers jours. Ça me met un peu de baume dans le battant because à l’encontre de Maigret, j’ai horreur de la flotte. Je suis de ceux qui trouvent que le soleil va bien à l’univers.

On frappe à ma lourde. Le valeton d’étage s’annonce avec un plateau supportant un petit déjeuner substantiel.

— Pose ça là, mon gars, dis-je en lui désignant la table.

Je n’ai plus envie de briffer au pieu. Je finis par avoir l’impression de relever de maladie. Lorsqu’il a évacué son nez en lame de canif et ses yeux vitreux, je saute sur la carpette. Quelques mouvements gymniques me dérouillent les muscles.

Bon, me voilà d’attaque. Je vais tirer le rideau et je constate que ça n’est pas du bidon : il fait tout ce qu’il y a de beau.

La rumeur de la ville monte jusqu’à moi, joyeuse. Le tintamarre des tramways, les cris des marchands ambulants, les piétinements, tout cela compose un hymne de vie, plein d’allégresse.

Si vous trouvez que je force sur la note poétique, allez m’attendre au bistrot du coin, je ne serai pas long !

Je me mets à tremper un pistolet beurré comme un gagnant du gros lot dans mon café au lait lorsque ma vue est sollicitée par un éclat bizarre en provenance de la glace.

Je repère la direction de l’étrange rayon et je constate qu’il est émis depuis une chambre voisine de la mienne. La fenêtre de ma chambre et celle de la pièce d’à côté se trouvent presque à angle droit, car l’immeuble produit comme une avancée en son milieu, ce qui offre la possibilité de mater ce qui se passe chez les voisins.

Là, je suis marron, car l’occupant de la piaule voisine a tiré les rideaux. L’éclat fulgurant est passé par les interstices. Simple jeu de glaces.

Je continue de tortorer en gambergeant à la meilleure façon d’user la journée qui s’annonce lorsque, de nouveau, le scintillement se produit.

Ce sont là, me direz-vous, des incidents banals. Pourquoi les prends-je en considération ? Je ne saurais le dire… Peut-être le farniente dans lequel je suis plongé m’incite-t-il à trouver de l’intérêt à des faits minuscules auxquels je ne prêterais pas la moindre attention en temps ordinaire. Qui le sait ?

Je voudrais tout de même savoir ce qui se passe dans la pièce voisine…

Le rayon est immobile, vif, presque cruel. Et tout ça à cause de ce soleil printanier qui s’est décidé à briller ce matin.

Je regarde la cloison sans cesser de mastiquer consciencieusement. J’avise alors un trou comme il y en a dans tous les murs d’hôtel. Un trou percé par un voyeur et bouché de façon sommaire au moyen de buvard mâchouillé.

Dans les hôtels du monde entier vous avez des gnaces qui percent les cloisons. Parce que dans le monde entier on trouve des solitaires qui regardent les autres dans leur intimité. C’est leur façon à eux de connaître la félicité des sens. Ils prennent leur plaisir par personnes interposées, ce qui est une conception assez navrante de l’amour. Avec ma lime à ongles j’ôte le papier durci qui obstrue l’orifice, puis j’y colle mon œil et alors j’ai un plan américain de première bourre sur un gars vu de trois quarts.

L’homme en question est âgé d’une quarantaine d’années. Il est beau gosse, un tantinet grassouillet, et vêtu avec recherche. Il a des cheveux argentés, des lunettes américaines et des boutons de manchettes en opale.

Je le remarque car mon attention se porte sur ses paluches, lesquelles paluches se livrent pour l’instant à une très curieuse opération.

Jugez plutôt.

Le gars a devant lui une boîte de fruits confits ouverte. A côté de la boîte, il y a un petit tas de cailloux qui doit valoir au moins cent briques car les pierres en question m’ont tout l’air d’être des diams. Ou alors elles sont bien imitées. Le soleil filtrant par les rideaux cogne en plein sur l’éblouissant monticule et c’est par un curieux jeu de réflexion qu’un des éclats pique dans la glace de ma chambrette.

Je reste un bon moment asphyxié par tant de splendeurs accumulées. Je n’ai jamais vu tant de diamants à la fois, et rarement d’aussi beaux.

Mais mon admiration est vite détournée par le boulot du mec. Il prend les fruits confits un à un dans la boîte, les incise et glisse à l’intérieur de chacun un diamant. Ensuite de quoi, il presse sur le fruit pour le refermer sur son trésor, caresse l’incision afin de l’enrober de sucre et repose le diamant confit dans la boîte avec une délicatesse d’accoucheuse maniant un nouveau-né.

J’ai vu bien des trucs dans ma vie, mais j’avoue n’avoir encore jamais assisté à pareille opération.

Ou je me goure ou j’ai à côté de moi un trafiquant de première catégorie…

Le type s’active, le petit tas de cailloux diminue. Il œuvre rapidement, avec précision et sans faire le moindre bruit. On entendrait éternuer un microbe. Le silence est tel que je crains d’être trahi par le bruit de ma respiration.