Выбрать главу

Chaque année, la société en question organise un symposium dans quelque lieu touristique des States. Fastueux, notre cacochyme ami a tenu à nous offrir le voyage, aux Bérurier et à moi. M’man a décliné l’invitation because une crise aiguë de rhumatismes, si bien que nous débarquâmes à cinq dans cette ville insolite. Joignant l’utile à l’agréable, nous y menions grande vie. Pinuche ne lésine pas. Il sait jouir de sa fortune et en faire profiter les amis.

Ce soir-là, il a pu obtenir des places au marché noir pour le Gladiateur, le meilleur music-hall de Las Vegas où se produit notre roi des prestidigitateurs, flanqué de son fameux ours blanc « Pussy ». Le numéro est remarquable et fait chanceler la raison. Le public reste incrédule devant des sortilèges défiant l’entendement. Le bel éphèbe blond évolue avec grâce. Il parle peu, agit avec précision, ponctue ses gestes de brefs commentaires ironiques.

Tous les spectateurs en bavent des ronds de serviettes, à l’exception d’Alexandre-Benoît qui joue à l’esprit fort. « C’est pas marle, y a un truc ! » affirme-t-il à voix haute, qu’à la fin, n’en pouvant plus, je le rembarre :

— C’est bien parce qu’il y a un truc que le numéro est exceptionnel, Pine d’Âne !

Invaincu, il continue de faire la moue. Ses sarcasmes me battent les roustons jusqu’à la hauteur des genoux, aussi lorsque l’artiste réclame un « volontaire » lui adressé-je de grands gestes pour mobiliser son attention. Ce prince du mystère m’avise et vient à nous.

— Vous, monsieur ? me demande-t-il.

— Non, mon ami ici présent, rectifié-je.

Il mate l’Ignominieux et esquisse une moue réprobatrice.

— Je crains que la corpulence de votre compagnon n’enlève de la légèreté à ma démonstration. Par contre, poursuit-il en mettant la main sur l’épaule de César, ce gentleman fera merveilleusement l’affaire.

Toute la salle applaudit et Pinuche se laisse embarquer sur la scène, effarouché mais pas mécontent de son succès. Une fois sous les feux de la rampe, il salue la foule puis envoie un baiser à son épouse du bout de ses doigts jaunis par la nicotine.

Le Maître l’aide à s’installer dans la cage. Les deux gonzesses en maillot fluorescent développent leur large châle destiné à masquer la boîte de verre. Herr Liebling saisit l’étoffe par le bas. À l’orchestre, un roulement de tambour, ponctué d’un coup de cymbale. Poum ! Le tissu se met à flotter au-dessus de la salle. Tu sais quoi, Benoît ? Oui, puisque je te l’ai déjà dit plus haut : il s’est changé en immense drapeau américain. Le public frénétique des paumes. Et puis se fige en réalisant que la vieille ganache n’est plus dans la caisse mais, qu’à sa place, il y a l’ours placide, immaculé des crocs jusqu’au bout de la zitoune.

Re-ovations !

Clameurs ! Sifflets, car en Ricanerie c’est ainsi que l’on marque sa satisfaction.

L’Allemand salue, l’ours également et aussi les deux grognasses. La musique attaque l’Hymne à la Paix. Des jeux d’éclairage rythment les vivats. Erwin Liebling en bande dans son falzar. Un haut-parleur beau parleur annonce que l’artiste signera ses photos au foyer. Des nanas dépoilées un max se mettent à proposer du pop-corn d’abondance. Le public en achète par seaux de plastique de cinq litres ! Geneviève-Marthe Pinaud, enamourée, commente la prestation de son époux valeureux. L’allure qu’il avait, ce Vieux Con, dans les projecteurs !

Elle a hâte qu’il réapparaisse pour lui sauter au cou, lui rouler la pelle du vainqueur.

Seulement il tarde.

Il ne revient pas.

On ne le reverra que deux mois plus tard.

Sur un autre continent.

2

Nous avons passé plus de vingt minutes à attendre le magnat de la brosse à dents. Nous pensions qu’il s’attardait à palabrer en coulisses, le Fossile. Je l’imaginais racontant sa vie aux machinos, ou bien se faisant expliquer des trucs techniques, curieux de tout comme il est ! On glandouillait dans la salle ; déjà une armada de Noirpiots s’activaient en pilotant des aspirateurs géants pour évacuer les papiers gras, les cacahuètes écrasées, les gobelets de Coke, les petites culottes perdues, les programmes froissés et toutes les scories qui déshonorent une salle de spectacle U.S. après chaque représentation. Les machines turbinaient à mort : on ne s’entendait plus respirer. À la fin, un gusman baraqué Tarzan nous a priés de quitter les lieux sur un ton sans réplique.

J’ai tenté d’expliquer que nous attendions un ami qui avait participé à la représentation, mais le videur se moquait de mes éclaircissements comme de sa première branlette. Il a ouvert grands les bras, tel le Christ du Corcovado en surplomb de la baie de Rio, et nous a refoulés vers la sortie.

Le dompteur vêtu de blanc continuait de signer sa photo à des donzelles enflammées et gloussantes. C’était un vachement beau mec. Son bronzage sortait probablement d’une bouteille mais achevait de le rendre ensorceleur. S’il avait réclamé une pipe, toutes les pécores se seraient jetées à genoux devant lui, la bouche béante, pour la lui tailler en biseau.

La mère Pinaud commençait à les avoir moites de son César volatilisé. Elle nous éburnait, le Gros et moi, comme quoi nous devions « entreprendre quelque chose ». En réalité, cette vieille salade redoutait que son cosaque fasse du gringue aux assistantes du prestidigitateur ; elle avait remarqué qu’il louchait sur leurs gambettes pendant la soirée.

J’ai fendu le flot des admiratrices, frôlant sans répulsion nichebards et joufflus. Ce troupeau de biches humides sentaient fort le parfum d’Uniprix et la chaglatte survoltée. Je suis néanmoins parvenu jusqu’au héros après avoir empoigné une chiée de loloches pour assurer ma déambulation.

Arrivé devant le grand homme, je lui ai voté un sourire éblouissant.

— Pardon de vous importuner, j’y ai dit, je viens prendre des nouvelles de mon ami, le père Dunœud que vous avez fait disparaître.

Il a froncé ses sourcils d’or.

— Je ne comprends pas, a-t-il répondu.

— Moi non plus ; il n’a pas reparu après son escamotage. Expédiez-vous vos cobayes dans la quatrième dimension ?

Ma plaisanterie ne l’a guère amusé. Il s’est levé si brusquement que sa chaise s’est renversée.

Les pucelles ont protesté en réalisant qu’il arrêtait là sa séance d’autographes, mais il est demeuré intraitable. Il a foncé vers la salle vide, avec ma Pomme en remorque. Les aspirateur’s men ont stoppé leur boucan en le voyant radiner. Ce gus marchait vite, je devais presque courir pour conserver le contact.

Le rideau de fer était baissé. Nous avons emprunté une porte sur la droite de la scène, puis traversé un espace immense. Rien de plus angoissant qu’un grand théâtre vidé de sa magie. Ne subsiste plus qu’une étendue morte. Les décors étaient repartis dans les cintres, les projecteurs alignaient leurs grappes noires, seules quelques loupiotes répandaient une méchante clarté funèbre sur cet univers saugrenu.

Dans le fond, une sorte de petite pièce éclairée, meublée d’un burlingue, derrière lequel un gros type rubicond remplissait des fiches.

Le prince (ou le roi) du mystère lui demanda s’il avait aperçu, rôdant en coulisse, le doux vieillard qui s’était prêté à son expérience. Le gros répondit négativement. Il n’avait même pas jeté un œil sur le moniteur de service.

À cet instant, les deux greluses servant de comparses au magicien quittèrent leur loge proche en s’esclaffant. À présent qu’elles avaient autre chose que leur raie culière pour leur servir de culotte, elles me semblèrent jolies. Je les interceptai sans prendre l’avis de leur patron et les questionnai à propos de Pinuche. Elles me dirent lui avoir indiqué le chemin des chiches, ce qui ne m’étonna point car César a maille à partir avec sa prostate depuis quelque temps. Ces charmantes personnes me le montrèrent, à moi aussi, et je débouchai dans un domaine carrelé où une musique suave encourageait le relâchement des sphincters. Une double alignée de vasques attendaient le bon vouloir des vessies, tandis qu’à l’extrémité de cette voie royale, une rotonde garnie de portes s’offrait à la convoitise des chieurs en gestation.