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— T’es là, mec ? hurle une voix de stentor…

Je balbutie :

— Bérurier…

— Ne tirez pas, fais-je à Luebig… C’est mon collègue…

— Annonce ta viande, enflé ! crié-je à plein chapeau.

Alors le Gros apparaît. Il tient un pétard fumant en main. Nous nous ruons sur lui.

— T’es tout seul, gars ? je lui demande…

— Oui… Pas besoin d’inviter du monde pour un turbin pareil… Alors on joue au Chemin des Dames sans attendre son petit camarade ?

Je le presse sur mon cœur.

— C’est le bon Dieu qui t’envoie…

— C’est pas le bon Dieu, c’est le Vieux… Tu parles d’une séance chez les Espagos… Polis, note bien… Mais inquisiteurs en diable ! Moi je ne souffrais pas, espérant que tu viendrais me tirer du trou, ton turf fini…

— Je l’ai fait par le Vieux, en lui tubant d’ici…

— Je sais, il me l’a dit…

— Comment, il te l’a dit ?

— Tu le connais ? Il a les bras longs ! Je ne sais pas comment il s’y est pris, toujours est-il que les bignolons espagos m’ont brusquement fait le salut militaire en s’excusant de la méprise. C’était une méprise-party, tu vois…

— Toujours aussi c…, remarqué-je.

— Toujours, fait-il, puisque mon premier soin a été de radiner. Le Vieux m’a téléphoné à la police… Il m’a donné ton adresse en me disant que je ferais bien de te joindre au plus tôt !

— Mon adresse ! dis-je… Comment diantre est-ce possible ?

— Figure-toi qu’il a dû demander d’où venait l’appel, tu le connais ?

Bien sûr que je le connais, ma question est idiote…

— On devrait se bouger, dit Bérurier, cette pistolade a réveillé les populations rurales…

Il regarde Luebig.

— Alors c’est vous ? dit-il.

— M. Bérurier, présenté-je.

L’Allemand a un claquement de talons.

— Très honoré…

— Y a de la viande froide dehors, annonce le Gros… Si vous voulez jeter un coup d’œil…

Nous allons au pied du mur (c’est le cas de le dire). Léonora et le petit vieux sont là, avec chacun une bastos dans le placard. Comme tireur d’élite, Béru se pose là ! Il pulvérise une noisette à dix pas… Seule la femme vit encore… Mais c’est du peu au jus… Un vilain gargouillement s’échappe de sa gorge et ses yeux se révulsent…

Je me penche sur elle.

Elle a un frémissement. Sans doute croit-elle voir un fantôme, déjà… Elle doit se dire que l’au-delà est bien mal famé !

Un hoquet, plus rien, je viens de la finir à la surprise…

— Fissa ! dis-je… Sortez votre bolide, Luebig…

— Sortez-le, dit-il, moi j’ai certains documents à prendre…

Il se rue dans la baraque tandis que je fonce au garage pour y cueillir la tire… Je suis toujours en robe de chambre avec les nougats dans des espadrilles.

— Va chercher mes fringues dans la salle, dis-je à Bérurier. Tu peux pas te gourrer, ce sont les mouillées… Je me loquerai en cours de route !

Il obtempère.

Cette Mercedes, c’est un vrai bijou. Il n’est pas encore faucheman, Luebig, pour se payer des carrosses de cet acabit. Je tourne la clé de contact et le moteur vrombit… Il y a une explosion, puis il tourne rond… J’embraye et je sors dans le patio…

Béru sort de la maison en courant…

Il tient mes fringues sous le bras.

— Tu n’es pas venu en voiture ? je questionne.

— Si, mais ce sont les poulardins qui m’ont véhiculé ; ils sont repartis.

— Il arrive, Luebig…

— Non, démarre…

— Qu’est-ce que tu débloques, on ne va pas le laisser ici…

Alors le Gros me regarde de son œil valide. Sa bonne bouille contusionnée semble infiniment triste.

— On n’a pas besoin de charrier un macchab, San-A. !

— Quoi ?

— Il est clamsé, je viens d’y filer une prune dans la coiffe !

La rage me noue la gorge. Je chope le Gros par sa veste !

— Fumier ! C’est pas vrai, t’as pas fait ça ! Dis, t’as pas fait ça ! Un mec qui m’avait sauvé deux fois la vie dans la même nuit…

— C’était l’ordre, San-A. !

— L’ordre, sombre corniaud ! Mais cette nuit le Vieux m’a dit de le ramener à Pantruche !

— Il t’a dit ça pour ne pas te forcer à buter un mec à qui tu devais tes os… Il m’a téléphoné exprès chez les bourres de Barcelone pour me dire de refroidir Luebig avant de partir !

Je suis abasourdi… Des mecs en limace apparaissent, çà et là…

— Décarre, bon Dieu ! grogne Bérurier, j’ai pas envie de me faire emballer encore une fois… On passe à l’Arycasa cueillir nos bagages et on fonce à l’aéroport, l’avion décolle à sept heures du mat !

Avec des gestes mécaniques je démarre. Nous tanguons un peu sur le sentier sableux, puis nous arrivons à l’autoroute… Là-bas, sur la mer, l’aube se lève… Un magnifique rougeoiement !

Je sens ma vue brouillée par des larmes. Béru, sans me regarder, murmure :

— Tu ne vas pas chiâler, non ?

— Le Vieux a eu tort : Luebig pouvait nous être utile… Il paraît qu’il avait des déclarations…

Le Gros m’interrompt.

— Le Vieux n’a jamais tort, tu le sais… Quand il décide quelque chose, surtout quelque chose de grave, c’est qu’il a tout pesé. Voilà pourquoi on peut lui obéir : il est comme le pape, ce mec, infaillible !

— Mes fesses !

— Si ! Et puis écoute ; les types comme Luebig ne sont jamais utiles, c’est pas vrai, Tonio, c’est pas vrai !

Je balbutie :

— Comment… comment as-tu fait ?

— Oh, je ne lui ai pas joué Marthe Richard au service de la France ! Il était accroupi devant une commode ; je lui ai tiré une bastos dans la nuque… Il ne s’est pas encore aperçu qu’il est mort !

Sa grosse patte se pose sur moi.

— Que veux-tu, mec, on fait un métier idiot !

— C’est vrai…

Je regarde l’horizon. Le ciel est d’une pureté infinie, mais on dirait qu’il y a du sang sur la mer !

FIN