Выбрать главу

« Auparavant, je veux vous révéler cette vérité stupéfiante : non seulement, je suis une créature pensante, non seulement une âme habite paradoxalement ce corps humain, mais je viens d’une planète lointaine, de la Terre, de cette Terre où, par une fantaisie encore inexplicable de la nature, ce sont les hommes qui détiennent la sagesse et la raison. Je demande la permission de préciser le lieu de mon origine, non certes pour les illustres docteurs que je vois autour de moi, mais pour quelques-uns de mes auditeurs qui, peut-être, ne sont pas familiarisés avec les divers systèmes stellaires. »

Je m’approchai d’un tableau noir, et m’aidant de quelques schémas, je décrivis de mon mieux le système solaire et fixai sa position dans la galaxie. Mon exposé fut encore écouté dans un silence religieux. Mais quand, mes croquis terminés, je frappai plusieurs fois mes mains l’une contre l’autre pour en faire tomber la poussière de craie, ce simple geste suscita un bruyant enthousiasme dans la foule des hauts gradins. Je continuai, face au public :

« Donc, sur cette Terre, c’est dans la race humaine que l’esprit s’incarna. C’est ainsi et je n’y peux rien. Tandis que les singes – j’en suis bouleversé depuis que j’ai découvert votre monde – tandis que les singes sont restés à l’état sauvage, ce sont les hommes qui ont évolué. C’est dans le crâne des hommes que le cerveau s’est développé et organisé. Ce sont les hommes qui ont inventé le langage, découvert le feu, utilisé des outils. Ce sont eux qui aménagèrent ma planète et en transformèrent le visage, eux enfin qui ont établi une civilisation si raffinée que, par bien des points, ô singes ! elle rappelle la vôtre. »

Là, je m’appliquai à donner de multiples exemples de nos plus belles réalisations. Je décrivis nos cités, nos industries, nos moyens de communication, nos gouvernements, nos lois, nos distractions. Puis je m’adressai plus particulièrement aux savants et tentai de donner une idée de nos conquêtes dans les domaines nobles des sciences et des arts. Ma voix s’affermissait à mesure que je parlais. Je commençais à ressentir une sorte de griserie, comme un propriétaire faisant l’inventaire de ses richesses.

J’en vins ensuite au récit de mes propres aventures. J’expliquai la façon dont j’étais parvenu jusqu’au monde de Bételgeuse et sur la planète Soror, comment j’avais été capturé, encagé, comment j’essayai d’entrer en contact avec Zaïus et comment, par suite de mon manque d’ingéniosité sans doute, tous mes efforts avaient été vains. Je mentionnai enfin la perspicacité de Zira, son aide précieuse et celle du docteur Cornélius. Je conclus ainsi :

« Voilà ce que j’avais à vous dire, ô singes ! A vous de décider maintenant si je dois être traité comme un animal et terminer mes jours dans une cage, après d’aussi exceptionnelles aventures. Il me reste à ajouter que je suis venu vers vous sans aucune intention hostile, animé seulement par l’esprit de découverte. Depuis que j’ai appris à vous connaître, vous m’êtes extraordinairement sympathiques et je vous admire de toute mon âme. Voici donc le plan que je suggère aux grands esprits de cette planète. Je puis certainement vous être utile par mes connaissances terrestres ; de mon côté, j’ai appris plus de choses en quelques mois de cage chez vous que dans mon existence antérieure. Unissons nos efforts ! Établissons des contacts avec la Terre ! Marchons, singes et hommes, la main dans la main et aucune puissance, aucun secret du cosmos ne pourront nous résister ! »

Je m’arrêtai, épuisé, dans un silence absolu. Je me retournai machinalement vers la table du président, saisis le verre d’eau qui s’y trouvait et le vidai d’un trait. Comme le fait de me frotter les mains, ce simple geste produisit un effet énorme et donna le signal du tumulte. La salle se déchaîna d’un seul coup, dans un enthousiasme qu’aucune plume ne saurait décrire. Je savais que j’avais gagné mon auditoire, mais je n’aurais pas cru possible qu’aucune assemblée au monde pût exploser avec un tel bruit. J’en restai abasourdi, avec tout juste assez de sang-froid pour observer une des raisons de ce fantastique vacarme : les singes, naturellement exubérants, applaudissent de leurs quatre mains, quand un spectacle leur plaît. J’avais ainsi autour de moi un tourbillon de créatures endiablées, en équilibre sur leurs fesses et battant des quatre membres avec frénésie, à croire que la coupole allait s’écrouler ; cela au milieu de hurlements, où dominait la voix basse des gorilles. Ce fut une de mes dernières visions de cette séance mémorable. Je me sentis chanceler. Je regardai avec inquiétude autour de moi. Zaïus venait de quitter son siège d’un mouvement rageur pour se promener sur l’estrade, les mains derrière le dos, comme il le faisait devant ma cage. J’aperçus, comme dans un rêve, son fauteuil vide et m’y laissai tomber. Un nouveau torrent d’acclamations, que j’eus le temps de percevoir avant de m’évanouir, salua cette attitude.

IX

Je ne repris connaissance que beaucoup plus tard, tant la tension de cette séance m’avait éprouvé. Je me trouvais dans une chambre, étendu sur un lit. Zira et Cornélius me donnaient des soins, pendant que des gorilles en uniforme tenaient à l’écart un groupe de journalistes et de curieux, qui tentaient de s’approcher de moi.

« Magnifique ! murmura Zira à mon oreille. Tu as gagné.

— Ulysse, me dit Cornélius, nous allons faire ensemble de grandes choses. »

Il m’apprit que le Grand Conseil de Soror venait de tenir une séance extraordinaire et de décider ma libération immédiate.

« Il y a eu quelques opposants, ajouta-t-il, mais l’opinion publique l’exigeait et ils ne pouvaient faire autrement. »

Ayant lui-même demandé et obtenu de me prendre comme collaborateur, il se frottait les mains à la pensée de l’aide que je lui apporterais dans ses recherches.

« C’est ici que vous habiterez. J’espère que cet appartement vous conviendra. Il est situé tout près du mien, dans une aile de l’Institut réservée au personnel supérieur. »

Je jetai un coup d’œil effaré autour de moi, croyant rêver. La chambre était pourvue de tout le confort ; c’était le début d’une ère nouvelle. Après avoir tant souhaité cet instant, je me sentis soudain envahi par un bizarre sentiment de nostalgie. Mon regard rencontra celui de Zira et je compris que la fine guenon devinait ma pensée. Elle eut un sourire assez ambigu.

« Ici, évidemment, dit-elle, tu n’auras pas Nova. »

Je rougis, haussai les épaules et me dressai sur mon séant. Mes forces étaient revenues et j’avais hâte de me lancer dans ma nouvelle vie.

« Te sens-tu assez fort pour assister à une petite réunion ? demanda Zira. Nous avons invité quelques amis, tous des chimpanzés, pour célébrer ce grand jour. »

Je répondis que rien ne me ferait plus de plaisir, mais que je ne voulais plus me promener nu. Je remarquai alors que je portais un pyjama, Cornélius m’ayant prêté l’un des siens. Mais si je pouvais, à la rigueur, endosser un pyjama de chimpanzé, j’aurais été grotesque dans un de ses costumes.

« Tu auras demain une garde-robe complète et, dès ce soir, un complet convenable. Voici le tailleur. »

Un chimpanzé de petite taille entrait, me saluant avec une grande courtoisie. J’appris que les plus célèbres tailleurs s’étaient disputé l’honneur de me vêtir, pendant mon évanouissement. Celui-ci, le plus réputé, avait pour clients les plus grands gorilles de la capitale.

J’admirai son adresse et sa célérité. En moins de deux heures, il avait réussi à me confectionner un costume acceptable. J’éprouvai une grande surprise à me sentir habillé et Zira me contemplait avec de grands yeux. Pendant que l’artiste faisait des retouches, Cornélius fit entrer les journalistes, qui se battaient à la porte. Je fus mis sur la sellette pendant plus d’une heure, harcelé de questions, mitraillé par les photographes, obligé de fournir les détails les plus piquants sur la planète Terre et la vie qu’y menaient les hommes. Je me prêtai de bonne grâce à cette cérémonie. Journaliste moi-même, je comprenais l’aubaine que je représentais pour ces confrères et je savais que la presse était pour moi un puissant appui.