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San-Antonio

Le trouillometre à zéro

A Jérôme GARCIN,

qui est plein de dents pointues,

de talent et de poésie.

Pour lui dire mon amitié.

San-A.

CHAPITRE I

Putain ! ce que j'ai l'air vieux sur cette photo !

J'ai beau chercher, je ne me souviens plus du moment, non plus que du lieu, où elle a été prise.

Là-dessus, je fais vingt piges de mieux. Si c'est pas davantage !

Je te l'ai déjà dit : le vieillissement débute par les yeux. Ils deviennent différents, prennent une curieuse brillance gélatineuse et le pourtour se craquelle, quand tu morfles ce regard bizarre, les gens de par chez nous disent que tu as reçu.

Je regardais l'autre jour, sur la couvrante de Jours de France, la frite d'un ex-jeune premier de cinoche à la carrière casanovesque. Je dirai pas son blaze ici, ne voulant pas lui faire de peine. Il était en smok, rupinos, sûr de lui et dominateur, avec un sourire destiné à faire roussir les chaises des jeunes filles en rut. Dans la foulée, je me dis, l'apercevant : Tiens, ce gonzier ressemble à « X ».

Et c'était « X ». C'était « X » qui avait reçu. Et pas qu'un peu ! Ses lampions, t'aurais cru qu'on venait de les extraire d'une tête de veau avant de la servir gribiche.

On aurait cru qu'il était en train de chialer, malgré son sourire tranche d'orange. Mais non, il roulait à l'aise ; juste les carats de trop qui étincelaient dans ses orbites.

Déjà vioque, l'apôtre.

Le jour arrive. On n'y peut rien.

Et moi, donc, devant cette photo de ma pomme, je me sens pétrifié ! Merde ! j'ai reçu ! La volée de bois vert du temps ! Je viens de toucher mes lotos de vieillard !

Une chose aussi : les carreaux deviennent plus petits.

Alors je regarde ces drôles de mirettes sur cette drôle de photo, quand voilà un prodige : la photo bouge !

Vachement berlurant, non ? Ça fait comme ces portraits tirés sur des bandes verticales scintillantes et qui paraissent se déplacer en même temps que toi.

Je veux palper l'image ; elle disparaît pour se changer en une paume de main articulée de cinq doigts, comme l'écrirait la mère Durasoir.

Bon, j'ai compris : il s'agit pas d'une photo mais d'un miroir. C'est devant ma frime de l'instant que je suis en train de moroser comme un perdu !

Effectivement, je m'éloigne et le cadre reste sans mon visage, avec dedans, pour me remplacer avantageusement, un chiotte équipé de son rouleau fafatrain.

Je ne sais si je dois me réjouir de cette constatation ! P't'être que c'est passager, non ? qu'un jour je redeviendrai jeune ? Tous les vieux doivent garder cet espoir fou au fond du cœur ! Se dire que leur décrépitude n'est que momentanée, kif une mauvaise bronchite ou une grippe intestinale ; qu'ils récupéreront leurs forces, leur façade et leur bandaison de vingt ans ! que c'est juste un malentendu, un coup fourré du destin ; mais que l'existence va leur présenter des excuses pour cette maldonne et leur payer une nouvelle vitrine luxueuse, lisse et rose, avec des Mazda de cent watts !

Bon, faut que je descende discutailler de ça avec maman. Personne mieux qu'elle sait me remonter le bourrichon.

Je vais à la porte de ma chambre et c'est une monstre perplexité qui m'atteint de plein fouet. Au lieu du loquet familier, c' t'une manivelle qui en déclenche l'ouverture. Elle m'avait pas prévenu de ce changement, Féloche. Comment diable ne m'en suis-je pas aperçu en entrant ? Ah ! Oui : la lourde était ouverte !

J'empoigne la manouille pour déponer quand il me part un grand cri dans les cages à miel.

— Malheureux ! Ne touchez pas à ça !

Je me retourne. Au mitan de ma pièce, voilà une bioutifoule mégère à peine apprivoisée, blonde, presque un chouïa rouquemoute, avec des yeux d'or et des taches de son sur les pommettes. Elle est saboulée dans les bleus et porte un tablier coquin. Une nouvelle soubrette ? Cachottière de Félicie !

Elle aura largué Maria, l'Espingote qui me convoitait trop fort. Toujours à l'affût d'une tringlée, l'Ibérique, depuis le soir d'abandon où je lui ai opéré l'introduction du Barbier de Séville dans l'Ouverture du Trouvère ! La chair est faible et certaines heures dévergondantes.

— Vous êtes la nouvelle assistante de maman ? je lui questionne à l'en brûler le pourpoint.

Moi, je dis jamais « bonne », encore moins « domestique ». Ma nature sociale y répugne. Je veux bien payer pour me faire cirer les lattes, mais en camarade. Pied d'égalité, tout le monde, tu piges ? C'est parce qu'ils ont senti ça qu'il m'aiment bien à l'Huma, aussi. Les hommes naissent un et indivisibles, ou je sais plus quoi, mais je l'oublie pas.

Je prends les mesures de la blonde. Elle possède tout ce qu'il faut, où il le faut, bien comme il faut.

— Je pense que nous deviendrons une paire d'amis, les deux, lui assuré-je, sincère en supputant la couleur de son pelage intime.

— Alors lâchez cette porte !

— Mais je descends voir maman.

— Si vous l'ouvrez, nous descendrons tous voir maman ! elle dégurgite.

Et puis elle hèle comme ça :

— Yvon !

Et un mecton en uniforme se pointe. Mais il tombe d'où, cézigue ? Tu crois qu'ils fricotaient en douce, les deux ?

Il est grand, beau, brun, poilu des poignets, ça je remarque. Toujours des détails qui me sautent dessus : des poils noirs frisant autour de ses manchettes. Je les enregistre parce qu'il avance ses deux pattounes sur moi pour me saisir par les épaules ! Non, mais t'avoueras ! Ces privautés !

Gonflé, hein ?

— Qui êtes-vous ? lui demandé-je en l'étiolant d'un coup de genou dans les roustons.

Il verdit (et moi qui te causais du Trouvère y a pas cinq minutes !) et se chope les joyaux de la Couronne comme s'il entendait les extraire de son bénoche pour les offrir à une dame de ses relations privée d'abats.

La soubrette au tablier se met à égosiller. Ça rameute des gens qui semblent sortir des murs de ma chambre. Une flopée de « passe-murailles » !

La blonde clame. On se jette sur moi. Je regimbe. Je file des chtards, j'en prends ; dont l'un pile à l'endroit où la plupart des gens ont de la barbe à papa au lieu d'un cerveau. Je vois trouble, double, flou. Un zig carré comme un vaisselier breton, et qui porte également un uniforme, me donne un coup de boule en plein front.

J'entends le bruit et tout mon arrimage de cervelet, bulbe, lobe, pédoncule me choit dans la margoule. Un mille-pattes géant m'empare, m'entraîne, me porte.

On m'oblige à m'asseoir. On me maintient. Des voix cacophonent à n'en plus finir, loin au-dessus de moi, comme un vol de perroquets, le soir au-dessus des grands fromagers sous la Croix du Sud.

On me hurle dans une oreille : « Buvez ça ».

Quoi, ça ?

Un fumelard me pince le nez. Je sens le contact d'un verre sur mes dents.

Je voudrais tousser, repousser le breuvage, mais l'obligation de respirer me contraint à avaler.

Y a torpeur.

Y a hors-jeu.

Un grand silence gris et froid m'enveloppe.

CHAPITRE II

Il restait encore quelques feuilles mortes dans les arbres, mais plutôt le genre de celles qui se ramassent à la pelle dans les chansons de Prévert.

Pugnaces en diable, elles risquaient de s'accrocher jusqu'au printemps prochain et, chose paradoxale, ce serait la sève neuve qui, alors, les en délogerait : la vie nouvelle tue la vie usée.

Assis sur le banc, je flottais dans de louches suavités, maman venait de partir après m'avoir fait sa visite quotidienne et m'avoir tellement emmitouflé que je devais ressembler au gus qui s'est amusé à arpenter la banquise jusqu'au pôle Nord. A peine que j'avais encore froid au bout du pif. Pour le reste, j'étais paré.