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Comme ce voyage c’est du temps mort, je prends le parti le plus raisonnable : celui de piquer une ronflette. Il fait doux, l’air est pur, la route est large et le jeu de la bête à deux dos pratiqué cette nuit avec Sofia m’a un peu liquéfié.

Je croise mes pognes sur mon burlingue, comme un brave papa lorsqu’il a fini de lire la crise ministérielle du mois, et je baisse mes stores pour cause de ronflette. Le bercement de la voiture est adéquat. Rien de tel pour vous expédier au patelin des rêves. Surtout qu’avec un chauffeur comme Paul, on peut se laisser aller en paix.

J’en écrase comme ça un sacré bout de temps. Lorsque je m’éveille, nous roulons toujours à fond de ballon, sauf dans les villages où Paul, ne prenant aucun risque, s’aligne sur la vitesse prescrite.

— Où sommes-nous ? je demande.

— On a dépassé Rouen depuis un moment.

— Tu m’emmènes aux États, non ?

— Presque…

Je regarde l’heure à la breloque de cuivre argentée qui fait partie de mon personnage. Il est midi. L’heure du berger, d’accord, mais avant tout l’heure de la tortore pour les estomacs normalement constitués.

— T’as pas les crocs, Pourri ?

Il ralentit.

— Comment sais-tu qu’on m’appelle le Pourri ? Paul, je veux bien, ma nièce m’a donné ce nom, mais le sobriquet ?…

Comme quoi, les gars, sa méfiance est plus duraille que moi à endormir, et comme quoi itou on fait des choseries, même lorsqu’on s’appelle San-Antonio.

— Pas marle, je murmure, Fifi l’a assez gueulé hier lorsqu’on se pitrognait dans sa taule… T’avais les manettes obstruées pour pas avoir entendu !

Il enregistre, tout en conduisant. C’est un bonhomme qui aime bien regarder où il met les pieds.

— Tu savais que la taulière s’appelle Fifi ?

— Fifi-les-Belles-Noix, tu vois si je suis au parfum !

J’explique modestement :

— C’est ce pauvre Riri qui m’a parlé d’elle !

— Ah ! oui, Riri…

Il demande à brûle-pourpoint :

— Tu connais sa polka à Riri ?…

— Non…

— Elle s’appelle Bernadette-des-Andelys…

— Ah ! Elle est chouïarde ?

— Une vraie madone !

— Quand on se blaze Bernadette, c’est normal…

Mais mes calembours le laissent froid.

— Elle a une autor pour voir Riri… Quand on sera arrivé, j’y téléphonerai en lui disant qu’elle lui donne le bonjour pour toi.

S’il croit me blouser, il se met le salsifis dans l’orbite ! Et profond !

— C’est ça, je fais… Et quelle oublie pas d’ajouter que je suis en cheville avec tézigue, ça lui fera plaisir au Riri de savoir qu’un de ses pays se débrouille…

On ne dit plus rien, chacun ayant sa provision de gamberge à ruminer. C’est bibi qui, au bout d’un instant, demande :

— On bouffe avec les chevaux de bois ? Tu m’as pas répondu.

— On bouffera en arrivant.

— Et on arrive bientôt ?

— D’ici un quart d’heure.

Décidément il est maussade. Ce zouave commence à me battre les roustons ! Non seulement il est moche à faire sauver un régiment de cosaques, mais encore il fait une gueule épouvantable. Ça va être joyce si je dois me farcir plusieurs jours en tête à tête avec lui !

Je bigle un panneau indicateur qui annonce Le Havre à quinze bornes.

Peut-être qu’on va visiter le Liberté ?

Mais non, trois kilomètres plus loin, Paul ralentit et vire dans un petit chemin aimablement bordé de pommiers. C’est la belle Normandie grasse et douce comme une bergère !

Un vrai chromo pour jeune fille perturbée… Y a même des vaches plantureuses dans des enclos et des maisons avec des toits de chaume.

J’entonne :

— Je veux revoir ma Normandie… C’est le pays qui m’a donné le jour !

— Ta gueule ! ordonne Paul.

— T’aimes pas les voix de ténor ? je demande à Paul.

— Si, fait-il, au contraire…

Maintenant il roule molo à cause des ornières. Il tourne sur la gauche et stoppe devant une vieille propriété qu’on aperçoit au fond d’un parc ombreux. Une grille rouillée, aux barreaux en forme de lance, en interdit l’accès.

— On a drôlement pédalé, assure le Pourri en biglant son ognon.

Il appuie sur le Klaxon et réussit un très joli morceau de tagada-veux-tu ?

Au bout de l’allée la maison paraît silencieuse. Les volets sont fermagas et pas le moindre filet de fumée ne monte du toit — ce que je m’exprime bien, tout de même !

— On va chez la Belle au bois dormant, Paul ?

Il ne répond pas, se contente d’actionner à nouveau l’avertisseur en grommelant des trucs vagues.

Enfin, tout au fond, la porte de la cambuse s’ouvre. Un type balancé comme Rigoulot et vêtu d’une chemise jaune sur laquelle croît une palmeraie s’annonce à la grille.

Il a la démarche chaloupée des matafs et son œil droit est crevé. Il n’a pas poussé la coquetterie jusqu’à se mettre un lampion artificiel ; il a même négligé le port de verres teintés.

Décidément, l’équipe que je découvre constitue une fort belle cour des miracles : un borgne, un eczémateux…

La chemise aux palmiers ouvre la grille.

— Te presse pas ! rouspète Paul.

L’autre se marre.

— Y a pas le feu à ta bagnole, non ?

Nous passons en trombe devant lui. Paul roule jusqu’à la maison et la contourne. Derrière l’habitation se trouve un garage.

Il y range son tréteau.

— Ça va, dit-il, amène-toi.

Il sort et exécute quelques mouvements musculaires pour se désankyloser.

La chemise jaune nous rejoint. Le gros type a les douilles taillées en brosse et il a oublié de se raser. Il me regarde de son unique châsse.

— Du renfort ? interroge-t-il.

— Il s’appelle Bernard, dit brièvement Paul.

— Salut ! dit le gros qui paraît aimer la société. Moi c’est Jérôme, dit Nonœil. Heureusement que vous voilà, on commençait à salement se faire tartir… Enfin, maintenant nous pourrons faire la belote.

D’où je conclus qu’il y a un autre occupant.

Le quatrième larron est un Italien au visage triangulaire dont j’ai souvent biglé la frite au fichier de la Grande Turne.

Il se nomme Pantaroli et il est recherché pour meurtre par quatre ou cinq polices européennes. L’Interpol ne dort plus lorsqu’on prononce son blaze à haute voix.

C’est le genre hystéro. Il se bourre le pif de neige et pique des colères maison… Dans ces cas-là, les gens qui l’entourent perdent la vie.

Il est petit, mince, sournois, avec des yeux extrêmement mobiles qui vont et viennent sous de longs cils langoureux. Presque pas de lèvres. Un curieux petit naze en pied de chaudron… Et une chevelure calamistrée, style Vitabrille… Il doit faire fureur chez les soubrettes et les douairières.

Il me toise avec une lueur mauvaise dans ses châsses pétillants.

— Qu’est-ce té nous amène, Paolo ? fait-il en me désignant.

— Un nouveau, dit le Pourri. Et un vrai petit tueur, il a descendu un flic cette nuit, sous mes yeux…

Pantaroli devient cordial. On lui a balancé mes lettres de créance et ça lui suffit.

— Bene, dit-il en me tendant la main.

Sa pogne est froide comme celle d’un serpent, dirait André Billy. Ce contact m’est pénible et je m’essuie subrepticement la dextre après mon futal.

Jérôme le borgne est un franc luron. Il ne pense qu’à la tortore…