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San-Antonio

Réflexions croustillantes sur nos semblables

Morceaux choisis recueillis par Raymond Milési

Je ne sais pas ce que j’ai fait au Seigneur pour qu’il m’affuble d’une tête comme la vôtre.

C’est un puissant quinquagénaire qui n’aurait aucune peine à mesurer deux mètres s’il avait vingt-huit centimètres de mieux. Il est puissant, noir de poil, débordant de tout, avec un air de vouloir paraître gentil qui mettrait sur ses gardes un mendiant aveugle. Ses joues tremblotantes ressemblent à des fesses. Il porte de grosses lunettes à monture d’écaille et jouit de sourcils touffus. Il débute chacune de ses phrases par une sorte de barrissement chargé, dirait-on, de « faire un tympan » à ses interlocuteurs. Il apostrophe, tonitrue. Affirme. Assène. Partout, il est en chaire. Sa vie est une tribune du haut de laquelle il se dit au monde médusé.

Cet homme a deux langages. Il parle des autres en style télégraphique, ayant un minimum de salive à leur consacrer, économisant les épithètes, rognant sur les articles et les pronoms, sautant les verbes. Mais il fait montre d’une complaisance torrentielle pour parler de lui. Il se chérit, se surenchérit, déborde d’adverbes et de qualificatifs, chausse les pires pléonasmes, pilonne à coups de redites, souligne par des onomatopées. Il est certain que tout ce qu’il énonce, pense, projette de dire et tait par manque de temps est d’un intérêt démoniaque. Son charme ne lui fait aucun doute. Il en est si plein qu’il s’en égoutte et nous en dégoûte.

LA GALERIE DES TRONCHES

Elle a des yeux découpés dans un morceau de ciel, un minois adorable et une bouche dessinée par un vicieux qui s’est complu à l’orner d’un bec-de-lièvre. Ses jambes sont bien faites, abondamment arquées, ce qui atténue sa claudication.

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Le portier a une tronche d’ivrogne qu’émiette un eczéma ravageur. Il porte une tunique bleue à épaulettes dédorées et une casquette dont les galons pendent comme des spaghettis d’une soupière.

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Un truc noir, accroupi derrière le tiroir d’un classeur, se développe brusquement dans le sens de la hauteur : c’est une demoiselle d’une soixantaine d’années, fortement vierge, qui ressemble à une cigogne en grand deuil.

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Il a une tête de Turc haineux et un pyjama de coton rayé qui l’apparente aux anciens détenus d’Alcatraz.

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Elle a du maintien dans le soutien-gorge, des bonnes manières dans l’intimité, du bleu au-dessus des yeux, du mauve au-dessous du nez, un sac de perles, un cache-nez de deux mètres sur le dos et un trottoir de quinze mètres en bas de l’hôtel.

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C’est un bonhomme rondouillard, rouge comme un Conclave, avec une brioche carrossée par Lustucru, des petites mains potelées, des lèvres luisantes, un nez fluorescent, des cheveux blonds malades étalés sur un crâne constellé de taches brunes, des joues flasques, des bajoues fluides, des yeux en apostrophe, une fossette profonde comme le fossé de Vincennes au menton, un col cassé, une cravate plantureuse et une voix de garçonnet enrhumé.

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Le gars avait cinquante ans de plus que sa femme, une gueule qui pendait comme les branches d’un sapin, un râtelier à changement de vitesse et un bandage herniaire.

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Elle est rousse, genre incendie de forêt, avec un regard couleur d’eau stagnante et quand elle parle on dirait qu’elle joue de la harpe.

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C’est un homme fiévreux, plein de tics et saboulé à la perfection par un tailleur anglais. Très brun, le nez long, portant d’énormes lunettes de vue aux verres surépais, la lèvre inférieure en gouttière, le geste vif, il marche sur nous d’un pas déterminé, tel un huissier hépatique venant saisir ton mobilier.

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Le vacancier était un grand maigre en bermuda, maillot de corps, chaussettes montantes, chaussures de ville et petite casquette « Tour de France ».

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C’est le genre de type obscur et besogneux qui s’achète un complet tous les dix ans, qui moud le café et essuie la vaisselle chez lui, tout en faisant ponctuellement un lardon à sa grognace.

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Le gardien de nuit se pointe, maussade, hirsute, vieux, malade. Ses tifs sont gris mais furent blonds. Son visage est ridé mais il fut altier. J’ai devant moi le spécimen type du décavé.

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Elle avait tout ce qu’il faut pour faire oublier le système fiscal à l’humanité souffrante : des roberts bien remontés, et un contrepoids à bascule à faire rêver un général de brigade.

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Le pasteur est un grand triste avec une serviette à fermeture Eclair sous l’aile et un air de racheter les péchés du monde aux meilleures conditions.

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Il a le cheveu noir et frisé, le regard à la fois préoccupé et cordial, un éternel sourire gentil aux lèvres. Il a des projets de barbe, mais celle-ci reste adolescente, et forme des touffes folles sur son menton.

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C’est un petit blond vachard qui se croit obligé de vérifier si la pointe de ses godasses est bien cirée lorsque vous lui parlez.

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Le brigadier est un homme élégant qui ne dépasse pas les cent dix kilos. Ses yeux injectés de sang ont une douceur quasi bovine et ses sourcils fournis ne sont qu’à trois centimètres et demi de ses cheveux graisseux.

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Imaginez une pauvre fleur de misère à l’air navré ; au nez en trompette bouchée et aux yeux tellement ternes qu’on les croirait couverts de poussière.

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Le patron est une espèce d’hippopotame, plus gras qu’une soupe au fromage, qui dort sur son ventre comme sur un édredon.

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Elle est bronzée comme un secrétaire d’acajou, avec une chevelure incandescente et des yeux qui vous perforent le futal de part en part.

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Notre chauffeur est un grand anguleux avec une mâchoire en os et des cheveux comme du jus d’orange.

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Elle vadrouille entre la quarantaine et la cinquantaine, poussant devant elle deux énormes mamelles qui l’empêcheront toujours de se noyer en cas de naufrage.

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Il a une gueule cuite au bain-marie, un nez énorme agrémenté de boutons prêts à éclore et des yeux qu’on a repêchés dans un bocal à cornichons.

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C’est un grand mec, brun de poil, beau gosse tel que les shampouineuses s’imaginent les beaux gosses ; c’est-à-dire qu’il a la mâchoire carrée, l’œil sombre, la bouche sensuelle, le sourcil ténébreux et la chevelure bourrée de reflets, comme un guidon de vélo au soleil.

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Entrée de la dame : une nature ! Un mètre cinquante, quatre mentons, un strabisme convergent, un parfum refusé par le groupement d’achats d’Uniprix et la cinquantaine dûment frappée.

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C’est un jeune homme myope et instruit, ça se voit immédiatement aux rayures de sa cravate.

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Il est maigre et se paie un pif en forme de bec. Ses lunettes corrigent mal un strabisme convergent qui lui permet de s’inscrire en faux contre cette sotte affirmation que des parallèles ne se rejoignent jamais.

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Le serveur le regarde engloutir l’alcool avec un œil dans lequel on lit de la réprobation, de l’incrédulité et un commencement de maladie de foie.