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Il se disculpe devant ses invités encore valides, soucieux de ne pas passer pour un peigne-zizi à leurs yeux sévères.

— Ce scotch m’a été offert par un de mes bons amis qui ne consomme que de celui-ci et prétend qu’il est meilleur que les marques courantes.

— Il vous en a offert beaucoup ?

— Une caissette de six bouteilles.

— Où sont les autres ? demandé-je au domestique.

— Une est vide, renseigne le loufiat. Celle-ci est entamée, les quatre autres sont là, non encore débouchées.

— Très bien, mettez-les-moi de côté, c’est pour emporter.

Là-dessus, Favier arrive, pas encore bien réveillé. Ses cheveux roux flamboient à la lumière des lustres. Il cligne des yeux et caresse ses joues où sa barbe de maïs a poussé.

Je l’attire à l’écart.

— Une affaire délicate, mon petit : drame de la bonne société.

Le rouquin me désigne les zigotos inanimés.

— Qu’est-ce qu’ils ont tous ?

— C’est toi qui me le diras. Analyse le contenu de cette bouteille et des quatre autres que le larbin va te remettre. Je te rejoindrai tout à l’heure au laboratoire, fais vite.

Il obéit, docile. Une bonne pâte, ce gars Favier. Toujours prêt, jamais mécontent. Et puis c’est tout à coup le brouhaha. Quatre ambulances radinent dans la rue en cornant tout ce qu’elles savent. Petit-Littré est dans ses tout petits souliers.

Il se rend compte que ça va être bougrement duraille d’écraser le scandale. Vingt brancards, ça fait du bidule. La réception mondaine tourne franchement à la catastrophe ferroviaire. Dehors, tout le quartier commence à se masser devant son hôtel.

Je le prends en pitié.

— Faites courir le bruit qu’une conduite de gaz a crevé, et tout le monde a été incommodé.

Il me pétrit l’avant-bras (il n’est pas assez grand pour m’empoigner au-dessus du coude).

— Mais oui, merci ! Le gaz ! C’est cela : le gaz !

— Donnez-moi donc le nom de l’ami qui vous a offert les six bouteilles de whisky, pendant que nous y sommes.

Du coup son enthousiasme flanche.

— Mais qu’allez-vous imaginer ! C’est quelqu’un qui est au-dessus de tout soupçon !

— Vous aussi, monsieur Petit-Littré êtes au-dessus de tout soupçon, et pourtant cette surprenante aventure a eu lieu chez vous !

— C’est un fait, reconnaît le nabot.

— Alors ?

À regret, il murmure :

— C’est un important industriel, M. Charles Olivieri…

— Qui habite ?

— 212, avenue Henri Martin.

— Merci.

CHAPITRE II

Dans lequel je joue la mouche du Scotch

Favier est seul dans la lumière blafarde de son labo. Sa blouse ex-blanche ressemble à la palette de Van Gogh. Il a les yeux cernés et les gestes fantomatiques.

À mon entrée il ne relève pas la tête, ayant reconnu mon pas, et se contente de murmurer :

— Ça va y être, M’sieur le Commissaire. M’sieur le Commissaire dit « merci », prend une chaise et s’y assied à califourchon. Je pense à la môme Irène qui doit en écraser dans mon pucier ; Je pense au minuscule Petit-Littré qui doit bourdonner dans la clinique du prof’ Baldetrou… Je pense… à la vie. Marrant ! Tous ces gens que je ne connaissais pas quelques heures plus tôt et qui, maintenant, sont au centre géométrique de mes préoccupations… je n’avais jamais vu Irène et, logiquement, je n’aurais jamais dû la connaître.

Pourtant je lui ai roulé la galoche princière entre deux wagons de la S.N.C.F. et, à l’heure où je vous cause, elle roupille chez moi. J’avais entendu parler de l’éditeur et de certains de ses invités, mais pour moi ils étaient des espèces d’entités.

Un petit poste à transistor diffuse en sourdine un truc d’Aznavour. Il aime bien le travail en musique, Favier.

Il achève de mater ses éprouvettes et fait un pas en arrière, comme un gastronome s’éloigne de la table après s’être assouvi.

— Héroïne, me dit-il.

— Raconte…

— Je ne puis encore vous donner les proportions, mais il y en a une quantité formidable dans ce whisky…

— Dans quelle bouteille ?

— Dans les cinq que j’ai apportées…

Je le regarde, un peu surpris tout de même.

— Tu veux dire que les bouteilles non décapsulées en contenaient ?

— Comme les autres !

Je me tais pour penser et il respecte mon silence. Au bout d’un instant d’intense gamberge, je le percute à nouveau.

— Le capsulage des bouteilles non débouchées était-il correct ou bien les avait-on bricolées ?

Favier sourit et s’éloigne en direction d’un petit réduit. Je l’entends barboter dans des bacs d’hyposulfite. Lorsqu’il réapparaît, il tient une photo toute ruisselante de format 13 x 18. Cette photo représente, grossi au moins quatre ou cinq fois, le goulot d’un flacon de Mac Herrel.

— Lorsque je me suis aperçu que les bouteilles pleines étaient droguées, j’ai tiré un cliché du capsulage avant de toutes les déboucher.

— Bravo, Favier.

Ça, c’est du flic consciencieux. C’est roux comme la Beauce en été et ça prend des initiatives du feu de Dieu.

— Ce cliché vous permet de constater que le capsulage était d’origine.

J’acquiesce.

— Tu crois que les convives de Petit-Littré risquent de passer l’arme à gauche ?

— Pas du tout. Ils élimineront très bien l’héroïne. Ils auront fait de beaux rêves, un point c’est tout.

— Eh bien, tâchons de les imiter. On va aller faire dodo, bonhomme.

Nous décarrons de la maison poulman. En bas, les gars du poste de garde me saluent :

— Alors ces vacances, déjà finies, M’sieur le Commissaire.

— J’en ai l’impression. Pas vous ?

Tout en pilotant ma petite M.G. je décide d’oublier cette affaire jusqu’à demain et de consacrer la fin de la notte, comme dirait M. Antonioni, au bonheur de la môme Irène.

Je dresse déjà la liste des félicités auxquelles elle aura droit. À une fille débarquant de sa province, faut un échantillonnage bien dosé.

Que diriez-vous par exemple du Ramoneur Savoyard, de la langue persillée hongroise, et du British Finger Incorpored ? Pour une prise de contact, ça me semble fort judicieux.

J’hésite à adjoindre à ces trois rubriques une quatrième qui fit mon succès : l’immatriculation rhodanienne, lorsque je tressaille. Pour regagner Saint-Cloud je n’ai pas pris par l’Etoile et le Bois ainsi que je le fais ordinairement, mais je suis passé par le Palais de Chaillot et l’avenue Henri Martin.

Vous mordez ? L’avenue Henri Martin, où demeure le zig ayant fourni le whisky drogué à Petit-Littré. Si après cela vous ne croyez pas à mon sixième sens, c’est que les cinq vôtres ont coulé une bielle.

Je coule pour ma part un regard à ma montre-bracelet, puis à celle de mon tableau de bord. L’une et l’autre sont d’accord sur un point : il est deux heures du matin.

On ne fait pas de visites à pareille heure et pourtant l’envie me démange d’aller discuter le bout de gras avec M. Olivieri. M’est avis que ce zigoto doit avoir, quand on sait lui parler, une conversation passionnante.