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— C’est génial, admet le Tondu en se caressant la coupole.

Il y a un silence.

— Poursuivons notre raisonnement, décide le Dabe, ces caisses de whisky truqué ont été envoyées à la suite d’une erreur à Olivieri.

— Les contrebandiers se sont aperçus de la méprise et ont voulu les récupérer. Les choses ont mal tourné pour Olivieri. Ils l’ont tué et se sont emparés des caisses.

Dans le fond, l’affaire est simple à piger.

— Cette histoire concerne le Yard, soupire le Vioque avec regret, je téléphonerai au chief inspector Morrisson sitôt qu’il fera jour.

Il me regarde, je le regarde, on se regarde ; le tout dans le silence le plus épais. À la fin je me marre comme ce type qui a fait fortune en créant une fabrique de sacs tyroliens pour bossus.

— Qu’avez-vous ? s’informe le déplumé en s’efforçant de maintenir son sérieux.

— Je crois, patron, que nos pensées sont aussi parallèles qu’une voie ferrée…

— C’est-à-dire ?

Déjà, l’homme chauve sourit.

— C’est-à-dire que nous aimerions bien, pour le prestige de la police française, mener à bien cette enquête sans en parler aux gars du Yard et leur servir le dénouement enveloppé dans du papier cadeau avec un beau ruban tricolore en guise de faveur.

Le boss se lève, contourne son burlingue et vient poser sa main délicate (que je n’ose toutefois qualifier de menotte) sur ma puissante épaule.

— Nous nous sommes compris ! dit-il. Alors ?

— Alors, je vais aller faire une virée en Écosse, dis-je, c’est bien ce que vous souhaitez ?

— Oui, mon cher ami. Mais je vous recommande la plus parfaite discrétion. Vous serez là-bas à titre officieux, rigoureusement officieux.

La mouillette, c’est pas le genre de la Grande maison. Il a toujours peur de se faire cueillir, le Vieux. Avec lui faut toujours accomplir des tours de force dans l’anonymat et la dignité.

— Cet extraordinaire trafic a sa source à la distillerie de whisky puisque des bouteilles pourvues du capsulage d’origine contenaient de l’héroïne.

— Probablement…

— Allez là-bas ! Démasquez les tenants et les aboutissants de l’organisation et prévenez-moi. Trop souvent nos confrères d’Outre-manche se gaussent de nous.

— Je ferai l’impossible, monsieur le directeur.

— Je le sais…

Il attire à lui un flacon de whisky et mate attentivement la petite étiquette blanche collée à l’envers de la bouteille.

— Le Mac Herrel est produit par une dame, fait-il. Une certaine Helen-Daphné Mac Herrel habitant Mybackside-Ischicken près de Glasgow…

Je note le blaze de la donzelle sur un calepin.

Déjà le boss ligote des horaires d’avion.

— Vous avez un vol d’Air France en direction de Glasgow à sept heures vingt-deux. Je vais faire procéder à une réservation…

— À deux réservations, rectifié-je.

Il sourcille, ce qui constitue sa culture physique de la journée.

— Vous emmenez quelqu’un avec vous ?

— Oui. Je préfère. Comme je ne pourrai pas compter sur l’appui de la police britannique, étant donné le caractère occulte de ma mission, et que je peux avoir besoin d’aide, je préfère que nous soyons deux.

— Vous avez raison. Qui emmenez-vous ?

J’hésite. Pas longtemps.

— Bérurier, fais-je.

Le Vioque opine, puis, avec un petit sourire équivoque :

— Dites-moi, mon cher, pourquoi faites-vous toujours appel à l’inspecteur Bérurier ? Nos services, Dieu merci, sont riches en effectifs…

C’est la première fois que Monsieur Peau de Fesse me pose cette question et je suis embarrassé.

— Eh bien ! murmuré-je, c’est assez difficile à expliquer. Voyez-vous, boss, Béru n’est pas très intelligent. C’est un rustre, un soiffard, un butor, mais il a des qualités qui en font néanmoins mon plus précieux collaborateur. D’abord, il m’est attaché comme un chien ; ensuite il est bon, courageux, tenace. Et enfin, il a par instant une espèce de jugeote matoise qui équivaut à du génie. Et puis, mieux que tout encore : je l’aime bien. Je le chahute et ça me repose…

Le Dabuche lève les bras.

— Juste ciel ! Arrêtez ce panégyrique ! Et emmenez votre Bérurier. Je vous fais donc retenir deux places…

— À notre arrivée à Glasgow, j’aimerais bien disposer d’une voiture, fais-je.

— Je vais arranger cela. Je vous fais porter à l’aéroport les billets et les devises.

— Entendu.

On se malaxe les phalanges et on se quitte.

L’aurore sème des germes de soleil dans le ciel lorsque je quitte la maison Royco (les poulets qui ont vraiment des goûts de potaches). Je bigle ma montrouze. Il me reste trois heures pour aller faire ma valise et récupérer le Monstrueux Béru dans sa tanière.

Je droppe jusqu’à Saint-Cloud. La porte n’est pas fermée à clé, me rappelant brusquement que j’héberge une souris. Mille tonnerres ! Il va falloir que je l’évacue en pleine noye, la môme Irène. Comme hôte, je me pose là. Je drive cette souris jusqu’à la maison, au moment de lui faire le coup du facteur et de la lavandière, je me barre, et voilà qu’à quatre heures et demie du mat’, je vais la virer du lit pour l’abandonner sur le pavé mouillé de Paris…

« Ça se fait pas.

Je monte à ma chambre. Elle dort comme une bienheureuse, les couvrantes tirées jusqu’au menton, le souffle paisible.

Décidément, je n’ai pas le cœur de la réveiller. Je décroche deux costars et mon smok de la penderie. Je vide le tiroir d’une commode pour y piquer mes plus belles lingeries et je vais faire ma valoche dans la chambre de Félicie. Avant de me tailler, j’écris un mot à l’intention de la roupilleuse :

« Chère Irène,

Un voyage d’affaires ! Je regrette. Vous laisserez les clés dans la boîte à lettres du jardin.

C’est bref, puissant, et ça dit éloquemment ce que ça veut dire. C’est bien la première fois que Votre San-Antonio casanovesque amène une grognace dans son pucier sans lui payer une croisière cosmique à bord de son vaisseau à carburant solide. Faut pas que j’y pense, parce qu’alors…

Je file.

Direction : le Béru’s office.

Une concierge en peignoir de pilou, aux cheveux enveloppés dans un foulard, traîne des poubelles sur le trottoir lorsque je stoppe devant les établissements Cornard and Co.

Elle se frotte le bas du dos en m’apercevant. C’est une dame mûre mais que personne ne doit cueillir. Elle a des seins qui font leur reddition et des valoches sous les yeux qui doivent provenir de chez Innovation.

Je file un coup de vasistas à l’intérieur des poubelles pour si des fois le Gros s’y trouverait ; mais il n’y est pas et je plonge sous le porche en lançant un joyeux : « Alors, on prend l’air ? » à la cerbère.

Elle m’interpelle :

— Vous allez chez Bérurier ?

— Oui.

— Je vous reconnais, assure-t-elle. Vous êtes son chef ?

— Voilà.

— Ils sont pas là !

Ça me stoppe dans le courant d’air sournois du porche.

— Où sont-ils donc ?

— L’été, ils couchent chez leur belle-sœur à la campagne.

— Où ?

— À Nanterre. Vous voulez l’adresse ?

— Et comment.

Elle ferme les yeux et récite :

— 228, avenue du général-Colombey.

— Mille mercis.

Il me reste une heure et demie pour retourner à Nanterre, choper le Gros au vol (si je puis dire) et le convoyer (toujours si je puis dire) Jusqu’à Orly. C’est faisable.