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San-Antonio

Si ma tante en avait

Chronique bretonne

Le poète emploie tous les mots.

Louis SCUTENAIRE

A Bertrand POIROT-DELPECH,

héroïque défenseur de mes zœuvres, je dédie quelques-unes de ces pages, au choix.

Avec mon amitié,

San-A.

Si ma tante en avait, on l’appellerait mon oncle.

Roger PEYREFITTE
(De l’Académie française, par cousin interposé).

C PREMIER

DU GENRE CAUCHEMAR

Je regarde tomber la pluie.

Plus exactement, je regarde son ruissellement le long des façades de granit. De toute beauté. Chiant mais noble. Le granit, franchement, c’est payant pour le noir et blanc. Evidemment, si tu préfères tourner en couleurs, vaut mieux filmer une corrida.

La flotte dégouline le long des pavés inégaux. Au café de la Marine, y a un marin qu’est sorti pisser contre la borne à anneau qui servait dans les jadis à attacher les bourrins. Une vieille fille à mitaines qui radine en droite ligne de la messe de 8 heures 15, le pébroque en avant, la jupaille enroulée autour des fourchettes à fondue qui lui servent de jambes, crie au mataf qu’il est répugnant. J’entends pas, mais je devine car je sais lire sur les lèvres des vierges. Le pisseur se volte-face pour montrer son big zob transocéanique à la gonzesse. Il est chibré comme est encorné un cachalot, cézigue. La vioque se voile la face de son pépin et s’empresse de calter dans les bourrasques atlantiques. Le beffroi de l’église carillonne on ne sait quoi, ni pour qui. Marins perdus z’en mer, comme chantait papa, quand j’étais chiare et que je le croyais immortel, mon dabe. Et puis il est mort et des tas de marins se sont perdus z’en mer depuis, parce que la vie, t’as beau avoir du poil au cul, jolie madame, elle fonctionne comme ça et pas autrement.

Derrière moi, l’officier de police Le Guennec enregistre la déposition d’un petit loubard qui a chouravé l’album du King Elvis chez le disquaire de la Grand-Place.

Franchement, y a pas de quoi se filer des plumes d’autruche dans l’oigne pour gambiller le french concon. La vie te m’a une de ces gueules, ce matin !

« Et pourquoi qu’t’as volé ces disques, hé, tordu ? s’inquiète Le Guennec, c’serait été du Mozart, encore. Mais Elvouiss Pricelet, j’arrive pas à piger. Ça consiste en quoi dans ta pauv’ tête ? »

J’abandonne la fenêtre morose et toutes les tristeries bretonnantes qu’elle révèle. Le mieux, quand on veut se buter, c’est quoi, à ton avis ? La praline dans le temporal ? T’es sûr ?

Je quitte la pièce après un regard fraternel au lavedu en blouson de faux cuir, col de polyester, boutons de plastique. Sans les dérivés du pétrole, il irait à poil, ce petit gonzier. Il a une bouille pâlotte, des yeux de pêcheur breton qui ne pêche pas.

Je descends trois marches de l’escalier de pierre, puis je reviens dans le bureau. M’approche de la machine à écrire de Le Guennec. J’arrache le rapport du chariot d’un geste dingue.

— Allez, fous le camp, Ducon ! je lance au gamin.

Le Guennec est furax. Sa mâchoire se crispe à en produire des étincelles. Le môme se lève et me défrime sans y croire. Je lui balance une tarte qui le propulse contre la cloison.

— Si un jour on te ramène ici, je te massacre ! lui dis-je.

Il s’en va. Je frotte ma main cuisante contre la jambe de mon grimpant. L’officier de police Le Guennec se demande ce qui m’arrive.

— Je ne sais pas ce qui m’arrive, lui dis-je tout simplement. Vous n’avez jamais des coups de flou, vous ?

Il répond que si, mais je sais bien que ce n’est pas vrai. Sa vie est impec, magistrale de régularité.

Un con !

— Vous savez, Le Guennec, je lui murmure, c’est dur à assumer l’intelligence. Ça crée des servitudes.

Il rit con. Il perd pied. C’est un bon zig, un vrai vachard. Service, famille, patrie. Il va aller raconter partout que je ne tourne pas rond. Et alors là, il dira vrai. Ma matière grise fait des couacs depuis quelque temps. Le commissaire d’avant moi était un gros pas bileux qui laissait pisser le mouton en attendant sa retraite. Sa retraite est arrivée. Il cultive des géranias en attendant son cancer : au fumier de cheval, y a rien de tel. Seulement faut se gaffer des écorchures à cause du tétanos.

— Dites donc, Le Guennec, y a des putes, je suppose, dans ce pays ? J’ai envie d’aller me faire bricoler un petit brin, manière de m’éclaircir le mental.

Il en revient pas. Je vois des bulles de savon sortir de ses oreilles et de ses narines.

— Mais je…

— Ah non ! explosé-je, vous n’allez pas jouer les rosiers, mon vieux. Des putes, il y en a partout où s’opère une concentration urbaine. Alors dites-moi où se tiennent celles de Ploumanac’h Vermoh ?

Il rit con de nouveau. Note qu’il est con et que tout ce qu’il dit ou fait est con, mais, en supplément, il « décide » d’être con, alors ça gagne en intensité connesque, comprends-tu ?

— Les mieux, balbutie Le Guennec, sont celles de la rue de l’Abreuvoir.

— Numéro ?

— Y a pas de numéro, c’est la maison aux volets rouges.

— Merci. Vous venez vous faire faire une pipe, c’est ma tournée ?

— Heu… Non, merci, monsieur le commissaire.

Cette fois je me barre.

En bas, sur le banc de bois de l’entrée, j’avise un Troudeballe armé d’un Nikon. Il se lève en m’avisant et bredouille :

— Félix Guingande, du Phare de Ploumanac’h Vermoh. Vous êtes le nouveau commissaire, n’est-ce pas ? Le fameux commissaire San-Antonio de Paris ? Je voudrais vous demander de m’accorder une petite interviouve et aussi de prendre une photo afin de vous présenter à nos lecteurs.

— Préférez votre appareil, dis-je.

Il s’affaire. Pendant ce temps je déboucle ma ceinture ainsi que mon bénouze. A l’instant où il se met en batterie, j’en fais autant. Il a un cliché fabule de mon cul.

— Passez-le à la une, conseillé-je, ça fera grimper le tirage.

Et sur ces fortes paroles, je me met en quête de la rue de l’Abreuvoir.

CH DEUXIÈME

L’ÉVOCATION SACERDOTALE

Elles ressemblent à des naufragées sur un radeau, tant elles sont médusées, les ronfleuses à la mère Passepoil. Trois monotones pétasses de province reculée, suceuses de quincailliers et fouetteuses de notaires. Y a Irma-la-Rude, Blanche-Neige la noiraude, Barbara la vache blonde, pleine de cul et de nichons. Elles bivouaquent dans le salon aux volets clos. Irma joue « La lettre à Elise » sur un piano quart de queue (malgré le lieu) en plein désaccord avec lui-même. Blanche-Neige tricote une infamie rosâtre qui deviendra cache-nez une fois fini. Le nez qu’il aura à cacher doit être very volumineux si j’en crois les seize mètres de long qu’il mesure déjà. La Barbara lit une revue inconnue au bataillon des kiosquiers, couleur dégueulis de noce, dont la couvrante représente un garçon coiffeur italien câlinant farouchement une soubrette à la Kiraz (gratis).

La mère Passepoil ressemble tellement à une bordelière que même déguisée en religieuse au milieu de Saint-Pierre de Rome, tu l’aborderais pour lui demander le nom de sa meilleure pipeuse. Elle porte une jupe de velours noir, très longue, un chemisier de satin violé (pardon : violet) et des boucles d’oreilles que chacune représente un perroquet de jade sur un perchoir d’or accroché à une branche de palmier taillée dans une émeraude de Manufrance.