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San-Antonio

Y'a de l'action

À Monique et Jean DE CARO

cette crème renversée franco-suisse,

avec l’affection de leur San-A.

PREMIERE PARTIE

L’HYÈNE

CHAPITRE PREMIER

Elle avançait dans sa robe du soir comme lorsqu’on s’obstine à passer deux dans une porte-tambour.

Le Vieux me prit le bras.

— C’est elle ? murmurai-je.

— Non, me répondit-il, c’est LUI !

Elle vient de descendre d’une superbe Costa-Brava 68 cylindres à quadruple arbre à came (le constructeur se droguait), d’un noir aussi étincelant que la Nationale 7 sous la pluie.

Un chauffeur en livrée blanche et casquette bleue n’en finit pas de tenir la portière ouverte. On se demande si, par hasard, un petit chien ne se ferait pas tirer la queue pour sortir. Que non pas ! Au lieu d’un pékinois, c’est un vieillard qui s’extrait de la chignole. Le genre fin de série, dernier arrêt avant le Père-Lachaise. Ça n’est plus qu’un petit tas de vieillard qui n’a de coloré que sa rosette. Il porte un smoking et une cape de soie, façon magicien des années 20. Il s’appuie sur une canne à pommeau d’argent et se meut péniblement dans le crissement de ses targettes vernies. Ce gus, croyez-moi, on a l’impression qu’on venait de lui faire sa toilette mortuaire et qu’il est descendu de son catafalque pour une ultime promenade. La personne qui l’accompagne le précède, si j’ose dire, sans s’occuper de lui. Une magnifique créature, mes fils. Grande, mince, avec une avant-scène modelée par un sculpteur n’ayant travaillé qu’à des sirènes ou à des bustes de Marianne. La robe que je vous cause est en lamé blanc bordé d’hermine avec, dans le dos, un décolleté qui s’arrête juste au milieu des accumulateurs. (En se penchant, on pourrait vérifier si elle a la raie au milieu). Elle tient son étole sur son bras et porte de longs gants blancs dans le genre de ceux qu’enfilent les gardiens de la paix de gala, mais de meilleure qualité, semblerait-il. Elle est blonde, coiffée en hauteur. Avec le fric qu’ont dû coûter ses boucles d’oreilles, vous pourriez changer votre R4 contre une Rolls, troquer votre clapier contre un hôtel particulier, envoyer le petit garçon de votre concierge au sanatorium, vous faire livrer le caviar par un Strader Berliet, partir en vacances à Tahiti à bord de votre yacht personnel, engager Sa Sainteté Paul VI comme secrétaire, remplacer la moquette du salon par de la zibeline et même, même, vous acheter des boucles d’oreilles identiques.

— Vous êtes sûr que c’est un homme, patron ? lâché-je dans les caisses enregistreuses du Vieux.

— Certain !

Je refrène mon admiration et m’efforce de gommer toute concupiscence de mon regard. Maintenant, la merveilleuse créature (je préfère, malgré son sexe, lui donner un qualificatif féminin) gravit majestueusement l’escalier du Palais du Festival, parce qu’au fait, oui, que je vous le précise : nous sommes à Cannes, Alpes-Maritimes, en pleine pelloche[1]. Le Vieux, tenez-vous bien, fait partie du jury. On s’est tous demandé à la Grande Cabane ce qui lui prenait, au Tondu, d’aller se faire flasher sur la Croisette.

On s’est dit qu’en vieillissant il prenait la mentalité vanneur ou que ça lui chantait d’aller s’assurer sur place que les bottes à Lollo ne sont pas gonflées au gaz de Lacq. Notez qu’on le comprenait, mister Big Chief. Un bosseur de sa trempe, il n’y en a plus lerche dans l’administration. Il lui était permis de se donner un peu de bon temps sous les palmiers et, entre deux projections, d’aller faire dorer sa belle casquette en formica. Ça nous faisait poirer de mater sa bouille dans France-Soir, ou de le voir palabrer avec M. Trucmuche de l’Académie françouaise ou baise-mainter la Calbasse, la seule cantatrice au monde à pouvoir monter la gamme sur ses épaules. Et puis voilà que, soudain, un télégramme atterrit en vol plané sur mon bureau entre un mégot de Pinuche et un trognon de saucisson de Béru : « Venez me rejoindre d’urgence hôtel Cinoche, Cannes. » Sec comme un coup de trique. Tellement impératif qu’il avait omis de signer, le Respectable. C’est uniquement parce que je suis un sagace que j’ai pigé la provenance. Le temps de vérifier que le Dabe était bien l’auteur de ce poulet et je sautais dans l’avion pour Nice-Côte d’Azur…

— Écoutez, boss, je soupire en reboutonnant ma veste de smoking, j’ai déjà vu des travestis qui ressemblaient à des nanas au point que j’avais des idées par-en-dessous-la-tête à ne plus savoir où les mettre ; mais un garçon aussi magistralement, aussi indéniablement, aussi irrévocablement pin-up, alors là, je n’en ai jamais rencontré et je sais que je n’en rencontrerai plus.

Il rit.

— Et pourtant, c’est un homme, affirme le Pelé, du ton dont usa notre regretté camarade Galilée pour certifier que « pourtant elle tournait ».

— Vous n’allez pas me dire que le vieux débris qui l’escorte est une blue-bell girl déguisée ?

Le chef sourit de re-chef en branlant le chef.

— Oh, lui, ça n’est qu’une vieille tante, dit-il. D’ailleurs, vous l’avez sûrement reconnu, il s’agit de Simon Cutepley !

Je ne manque pas de m’exclamer :

— Simon Cutepley, le fameux producteur de films ?

— Soi-même ! Il fait également partie du jury.

J’ai idée qu’avec un tel aréopage, ils vont couronner la Coltineuse de bread, c’t’année, à Cannes.

Cutepley gravit misérablement les marches, en prenant un bol d’air à chaque degré. Une momie parcheminée. Déjà vert pour son âge ! Dans sa cape noire, il fait « en rupture de caveau ». Ce qui m’afflige, c’est de penser qu’il continue de pédoquer à tout va. La famille pédaloche, moi, après tout, j’ai rien contre : c’est dans la contre-nature des choses. Chacun prend son fade où il le trouve, les gars. Faut prêcher la tolérance à outrance : qu’on puise son extase dans un corps d’albâtre ou dans un pot de moutarde, quelle importance, racontez ? Mais c’est l’abondance de carats qui, chez ce vieux, rend la perspective déplaisante. Il a plus rien du pâtre grec, Cutepley, ni du minet frétillant. Il ressemble à un champignon déshydraté, moisi, vénéneux. Faut de la santé pour s’occuper encore de ses problèmes sexuels, pour les lui résoudre ! Mort de mes os, le gamin qui l’entreprend, il mérite son bain d’OBAO.

M’est avis qu’il mâche du chewing-gum pour s’entraîner…

C’est de la nécrophagie impure et simple ! De la violation de sépulture ! Moi, je préférerais m’envoyer en l’air avec une bouche d’égout, parole !

Les flashes crépitent, embrasent, aveuglent. Les gus en smoking grouillent ; les voitures dûment poncées font queue maintenant devant le perron.

Faut dire que, ce soir, y a projection exceptionnelle, le jury visionne une superproduction hollywoodienne intitulée « Fume, c’est du Belge », histoire d’un agent secret pygmée qui, traqué dans Bruxelles, prend la place du « Manneken-Pis » pour échapper aux polices secrètes qui le cernent. Seulement, il souffre de la prostate, d’où raréfaction du débit. La municipalité envoie le plombier… La suite sur l’écran ! Une grande œuvre dans l’histoire du septième art, affirment les affiches.

Maintenant, la femme, (point d’interrogation) en lamé-bordé-d’hermine et son gâtouillard ont disparu. Je conserve encore dans le coin gauche de ma rétine, juste derrière la cornée, vous ne pouvez pas vous gourer, la vision de cet être splendide.

— J’avais déjà entendu parler de l’Hyène, fais-je au boss, je savais que sa grande spécialité, c’était le travesti féminin, mais je ne pensais pas trouver une telle perfection.

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Pellicule.