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Qui tient de père et mère n’est point bâtard

Lorsque l’enfant paraît… parents et amis se penchent sur le berceau, émerveillés ou faisant mine de l’être, et chacun y va de sa comparaison : « Il a le nez et les oreilles de son père », « les yeux et la bouche de sa mère », à moins qu’il ne soit le portrait craché de l’un et/ou de l’autre, etc., au point que l’on se demande si le pauvre rejeton a vraiment un trait qui lui soit personnel. Manière pour le père de sentir son honneur sauf (cet enfant est bien de moi !) et pour la mère d’éprouver une légitime fierté (nous ne saurions le renier !). Mais l’affirmation peut aussi être moqueuse pour dénoncer chez un rejeton les mêmes travers caractériels que ceux du père ou de la mère : avarice, tête de mule, égoïsme, orgueil, etc. L’expression, pleine d’un bon sens populaire (saveur du point) frisant la tautologie, vient alors affirmer haut et fort, sur un ton forcément goguenard, une vérité tenue pour première.

À la mode de Bretagne

Il est des arbres généalogiques dont les rameaux sont si écartés qu’on a parfois bien du mal à formuler le lien de parenté qu’ils indiquent : Isidore est le fils du cousin germain de ta mère. Pour toi, Isidore est donc un cousin issu de germain. CQFD. Pour des parents si éloignés que l’on ne fréquente que très peu, voire pas du tout, et qui ne portent le nom de cousin que par une sorte de bienveillance lexicale, grand-mère avait une expression : à la mode de Bretagne. Il est vrai que dans les familles bretonnes d’antan, les relations étaient étroites, même entre parents éloignés : « Nulle part la parenté ne s’étend aussi loin qu’en Bretagne : elle y dépasse le douzième degré, en se comptant double dans plusieurs cas », nous explique Pierre-Marie Quitard (1842) qui cite aussi cette anecdote : « On raconte qu’un capucin, prêchant à la prise d’habit de la fille de sa cousine germaine, s’écria : “Quel honneur pour vous, ô ma cousine, qui devenez la belle-mère du Seigneur, et quelle gloire pour moi qui vais être l’oncle du bon Dieu à la mode de Bretagne !” »

C’est son portrait tout craché

Pourquoi prenons-nous tant de plaisir à souligner les ressemblances entre parents, pourquoi nous en étonnons-nous toujours puisqu’après tout elles ne sont que naturellement normales compte tenu des lois de l’hérédité découvertes voici cent cinquante ans par Gregor Mendel ? Quand de telles ressemblances confinent à la copie conforme, l’expression convenue vient systématiquement aux lèvres : C’est son portrait tout craché ! Pourquoi donc cette idée de crachat que d’aucuns trouveraient peu ragoûtante ?

Cracher est souvent employé pour ce qui a trait à la parole, en particulier lorsqu’il s’agit d’exprimer une vérité que l’on aurait préféré garder pour soi : « Il a craché le morceau », dit-on d’un prévenu qui finit par avouer. De celui qui parle sans vous laisser parler, on dit qu’il vous « tient le crachoir  » et autrefois, par moquerie, on disait des latinistes qu’ils « crachaient du latin ». Par analogie entre la salive et la semence, un parallèle a été établi entre cracher et reproduire, la « reproduction » pouvant d’ailleurs être prise dans les deux sens du terme : génétique et pictural. Ce sens pictural est attesté dès le milieu du XVe siècle dans le Mistère du vieil testament :

« LE PAINTRE
Je le vous feray tout poché, Par Dieu et ne sçauriez dire Que ce ne fust il tout craché, Sans qu’il y ait rien à redire. »
(Tome VI, ch. XLV, vers 48571-48574.)

La famille tuyau de poêle

Tuyaux de poêle fut une expression d’argot désignant autrefois des bottes (de cavalier), un pantalon étroit de fantassin ou encore un chapeau haut de forme. Tuyau de poêle prend un sens tout différent et nettement moins convenable quand il s’agit d’une famille puisqu’il est alors question de relations incestueuses. L’image est crûment éloquente : les tuyaux de poêle s’emmanchent les uns dans les autres. Jacques Prévert nous donne une belle illustration d’une telle famille dans sa pièce justement intitulée La Famille tuyau de poêle ou Une famille bien unie (1933).

Je ne peux pas croire que notre pudique grand-mère comprenait l’exacte allusion sexuelle quand elle prétendait que les (Biiiiiiiip !) qui habitaient en face de chez nous étaient une famille tuyau de poêle.

IDEM

Bise mon cul, mon cul te bise

C’est ainsi que dans la famille on exprimait l’égalité, l’équivalence, l’identique : « Que préfères-tu, l’éclair au chocolat ou au café ? » Réponse du père : « C’est bise mon cul mon cul te bise. » Grand-mère était offusquée et nous éclations de rire. L’expression, plus espiègle que vulgaire, remplaçait avantageusement le banal « Ça m’est égal » ou l’indifférent « Comme tu veux ». Nous plaisait sa symétrie presque parfaite mettant l’accent sur ce gros mot frappé d’interdit.

De telles gauloiseries appartiennent à une tradition populaire remontant au moins à Noël du Fail chez qui baise mon cul est le surnom d’une épée : « Voilà, disoit-il, la levée du bouclier de l’épée seule, et de l’épée baise mon cul à deux mains » (Propos rustiques, 1547). Rabelais donne le même sobriquet à l’épée de Gymnaste : « Si sacque son espée Baise mon cul (ainsi la nommoit-il) à deux mains, et tranchât le Cervelat en deux pièces » (Quart Livre, ch. XLI, 1548-52). L’expression « miroir » entre aussi, chez Victor Hugo, dans la composition d’un surnom : « Cette affreuse face de Gribouille-mon-cul-te-baise […] » (Quatre-vingt-treize, deuxième partie, livre troisième, ch. VII, 1874). Il n’y a pas à dire, mon père avait des lettres !

C’est l’hôpital qui se moque de la charité

Avant d’être l’établissement public médical où l’on opère et soigne, l’hôpital fut un hospice (même étymologie), souvent baptisé hôtel-Dieu, où l’on soignait les indigents. Telle est bien la définition que propose Furetière (1690) : « Lieu pieux et charitable où on reçoit les pauvres pour les soulager en leurs nécessités. » La notion d’hôpital fut donc originellement liée à celle de charité. D’ailleurs, de nombreux établissements hospitaliers prirent le nom d’hôpital de la charité un peu partout dans le monde : Berlin, Séville (Hospital de la Santa Caridad), Paris, Dijon, Saint-Étienne et… Lyon. C’est à Lyon, en 1894, que serait née notre expression. Elle dénonce celui qui critique, chez autrui, un défaut qu’il pourrait se reprocher à lui-même.