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— Tu as bien fait, Jules. Continue.

— Donc j’étais là, près de l’entrée, à me demander ce que j’allais faire, quand j’ai entendu des hurlements. Ça provenait de la maison. C’étaient des hurlements atroces, qui glaçaient le sang ! Il y avait aussi le bruit d’une énorme bagarre.

— Qu’est-ce que c’était ?

— J’en sais rien parce que je me suis enfui… J’ai rebroussé chemin jusqu’au RER. Vous m’aviez laissé seul juge des décisions à prendre !

— Du calme, Jules. Je ne te reproche rien. Seul compte pour moi le fait que tu t’en sois sorti.

— Je vous ai entendue soupirer ! Mais je n’ai pas fini. Parce que, devant le RER, j’ai eu honte de moi… Comment est-ce que je pourrais être Agent à part entière, plus tard, si je déguerpis au premier signe de danger ? Alors je suis revenu sur mes pas.

— Bravo ! Je suis fière de toi.

— Vous voyez bien, mademoiselle Rose, que ma première réaction était nulle !

— Pas du tout, Jules. Je sais faire la différence entre le courage et la témérité. Tu as bien fait de battre en retraite quand tu ne te sentais pas prêt. Et tu as bien fait, aussi, de changer d’avis au moment où tu devais le faire. J’aurais désapprouvé que tu te lances tête baissée dans le premier guêpier venu. Et j’aurais été déçue si tu avais renoncé pour de mauvaises raisons. Maintenant… Dis-moi ! Pourquoi as-tu dit que c’était « dégueu » ?

— Je suis revenu sur mes pas. Les hurlements avaient cessé, la bagarre également. Je ne suis pas entré dans le parc par la grille principale. J’ai entrepris une vaste manœuvre de contournement. Ça m’a pris du temps mais j’ai trouvé un endroit pour franchir le mur. Je me suis approché de la bâtisse par l’arrière et j’ai repéré un lierre qui grimpait jusqu’à une fenêtre du premier étage. Les carreaux étaient cassés. Je suis monté et j’ai découvert une salle, avec des miroirs brisés et des rideaux déchirés. Une grande salle. Et des vampires. Sur le parquet. Par dizaines Tous morts.

— Morts ? !

— Morts. Baignant dans leur sang. Dégueu, je vous dis !

— …

— J’ai paniqué. J’ai sauté par la fenêtre. Et puis j’ai vomi contre un arbre.

— …

— Mademoiselle Rose ? Vous êtes toujours là ?

— Oui, Jules, excuse-moi. Morts, tu disais ? Et le chamane, le joueur de tambour ?

— Aucune idée. Je n’ai pas pris le temps de visiter la maison ! Et vous savez pourquoi ?

— Non, mais j’imagine que tu vas me le dire.

— Parce que ça sentait le soufre…

— Le soufre ? Tiens donc.

— Vous ne me croyez pas !

— Je te crois, Jules, mais… c’est étonnant. Très étonnant.

— C’est ce que j’ai pensé. Le mot « dégueu » m’est venu aussi très rapidement ! Juste avant celui de « fuite », rapport au soufre. Qu’est-ce que vous allez faire ?

— Dans l’immédiat, envoyer une équipe de nettoyeurs. C’est le plus urgent. Ensuite…

— Ensuite ?

— Le chamane, s’il a échappé au massacre, a pu laisser des traces.

— Je n’ai pas vérifié. Comme je vous le disais, je…

— Fais-le. Ça relève de tes compétences. Et si tes recherches s’avèrent positives, je veux que tu reprennes la traque.

— Ah bon ? Plus de « comme je le sens » et « je reste seul juge » ?

— Je suis désolée, Agent stagiaire Jules. Les états d’âme, c’est fini. La situation exige de remettre la main sur cet Oyun. Il est évident, à présent, que les événements que nous connaissons en ce moment sont tous, d’une manière ou d’une autre, liés à cet inquiétant personnage. Je pourrais te faire relever par Jasper ou Nina, si j’arrivais à les joindre ! Comme ce n’est pas le cas, je n’ai pas le choix et tu t’y colles.

— C’est vrai ? Pas de nouvelles de Nina ?

— Rien pour l’instant. Mais elle est toujours ma priorité, je te le promets.

— Bon… Je vais faire le maximum, mademoiselle Rose.

— J’attends de toi un rapport toutes les heures.

— Vous pouvez compter sur moi.

— Je sais. À tout à l’heure, Jules.

11

La station est presque déserte. On s’assied sur un banc, en bout de quai.

L’écran annonce le prochain départ dans quinze minutes. Largement le temps de souffler pour Nina. Et, pour moi, d’entrer en contact avec Fafnir.

Si le sortilège est toujours actif.

Et si ma nouvelle coéquipière me laisse les mains libres !

Ce qui n’est pas gagné puisqu’elle se serre contre moi, en frissonnant.

— Brrr, il fait à peine meilleur qu’en haut !

— Tu trouves ? je réponds. Tu exagères, c’est supportable.

Mon manteau est déboutonné et mon écharpe bâille. Je la défais complètement et la tends à Nina.

— Tu as vu comme tu te fringues, aussi ? je lui dis d’un ton critique. C’est joli, une veste en cuir cintrée, mais ce n’est pas chaud. Mets ça.

Elle hésite puis s’empare de l’écharpe.

— Je devais juste suivre le petit bonhomme dans le métro. Il n’était pas prévu que je reste des heures dehors à me geler. Mais… merci, Jasper !

— De rien.

— Alors ? continue-t-elle en l’enroulant autour de son cou.

— Alors quoi ?

— Ton plan. Pour continuer la mission.

— Ah ! c’est que… C’est délicat. Je dois… Autant être franc avec toi : je ne peux pas agir tant que tu es là !

— L’article 6 ?

— L’article 6.

— Je comprends, dit-elle en hochant la tête gravement, puis en se levant. J’espère seulement que ça ne sera pas trop… spectaculaire, termine-t-elle en me montrant les quelques personnes sur le quai.

— Ne t’inquiète pas, je réponds, rassuré par son attitude. Ça devrait prendre cinq minutes. Reste dans le coin.

Je plonge aussitôt mon visage dans mes mains, en essayant d’avoir l’air pensif ou fatigué pour ne pas attirer l’attention. Je murmure les quelques mots quenya destinés à mon scarabée espion. Pourvu que l’échec de ma dernière tentative soit lié aux circonstances particulières !

— Fafnir… Ma hlaratyë ni ? Fafnir… Ma hlaratyë ni ? Fafnir… Tu m’entends ?

Silence. Je serre les dents, m’attends au pire.

Puis le silence change de texture. Il devient plus profond.

Mon appel a créé un couloir au milieu des ténèbres. Un vortex à mon seul usage. Avec Fafnir à l’autre extrémité.

— Man felmelya ? Man felmelya ? Est-ce que tu vas bien ?

Le pauvre ! Qu’a-t-il vu, qu’a-t-il subi pendant que je dormais derrière la fenêtre ? Il a sûrement ressenti un choc, lui aussi, en découvrant la maison transformée en charnier.

Ce bête sortilège de localisation commence à occuper une sacrée place. Nous avons traversé des épreuves ensemble. Il m’a aidé, je l’ai aidé. On s’est épaulés comme des camarades.

Aussi, quand je capte une onde de réponse mêlant affection et reconnaissance, je me sens soulagé. Soulagé de le savoir en vie (ou quoi que ce soit d’autre qui y ressemble…).

— Massë nat ? Massë nat ? Où es-tu ?

Un éclair illumine l’intérieur de mon crâne. Je sursaute, comme si je sortais d’une somnolence. Tout à coup, je distingue une rue sombre. Puis un porche d’immeuble. Fafnir est perché devant, sur un panneau de sens interdit.

Mais chaque chose en son temps.

— Fafnir… A nyarë nin metimar lumi… Hantanyël ! Fafnir… A nyarë nin metimar lumi… Hantanyël ! Fafnir… Raconte-moi les dernières heures… Merci !

Fafnir est-il seulement capable d’effectuer un retour en arrière et de me montrer le film des événements passés ? Est-ce que je lui en demande trop ?