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J’étais en bonne route pour une mort violente par autovidange quand j’ai senti une main se refermer sur mon bras.

«Diane! Diane!»

Le beau tatoué du chantier d’à côté était accroupi à côté de moi, la tête baissée pour me regarder par en dessous.

«OK, ça va, ça va…»

J’haletais comme si je venais de courir le marathon. Mon visage était couvert de larmes, de morve, de bave, de tout ce que les orifices sécrètent en état d’urgence. Au mouvement empâté de mes yeux et de ma bouche, je devinais l’enflure de mon visage. Les veines de mes tempes pulsaient au rythme de mon cœur affolé.

«OK, t’as mal à quèque part?»

J’ai balayé l’air, de gauche à droite. À part un gros mal de gorge et de tête, et un engourdissement des pieds, rien à déclarer.

«Veux-tu aller à l’hôpital?

— Non.

— À la clinique?

— Non.

— Veux-tu que j’appelle quelqu’un?

— Non.

— Penses-tu pouvoir sortir de l’auto?

— Non.

— OK, je m’en occupe. Veux-tu des Kleenex?»

Ça devait être pire que je le croyais.

«Oui.

— DES KLEENEX, S’IL VOUS PLAÎT! PAS D’AMBULANCE! JUSTE DES KLEENEX!»

Madame Nadaud est accourue avec une débarbouillette humide et une boîte de papiers-mouchoirs. Sa main libre tenait le col de sa petite veste. Elle m’a fait penser à ma mère, morte depuis si longtemps que j’avais perdu l’habitude de penser à elle dans les moments difficiles. J’ai dit «maman» tout bas, pour sentir l’effet de ce vieux mot dans ma bouche. L’envie de pleurer a jailli comme un geyser, de mes lointains trente ans. Je me suis mouchée très fort pour enterrer mes sanglots. Maman.

Malgré le carnage de mon visage, mon tatoué s’en est approché à quelques pouces. Je pouvais sentir la chaleur de son corps. Je ne m’étais pas rendu compte que j’étais complètement gelée.

«Aimerais-tu ça rentrer chez vous?»

J’ai jeté un œil à ma maison au-dessus de sa tête pour donner un ancrage à sa proposition. Ma maison était derrière lui, à des années-lumière de moi.

«Hum hum.

— OK, accroche-toi à mon cou, ma grande, je t’amène.

— Mais non…

— Mais oui, tu peux pas rester là.»

Avant même d’avoir eu le temps d’ajouter quoi que ce soit, son bras de béton s’était glissé sous mes jambes pour me soulever. Heureusement, je ne m’étais pas pissé dessus. Le jour de mon anéantissement total, je suis entrée chez moi comme une jeune mariée.

«Belles pantoufles.»

Il m’a déposée dans le fauteuil du salon et s’est agenouillé devant moi. Si ça ne m’avait pas rappelé la grande demande de Jacques, classique jusqu’au trognon, j’aurais trouvé ça mignon.

«Y a sûrement quelqu’un que t’aimerais appeler?»

— Pas tout de suite.

— Je pense pas que tu devrais rester toute seule.

— J’suis juste fatiguée, tellement fatiguée…

— C’est fatigant, les mauvaises nouvelles.

— Oui.

— OK. Faut que je retourne au chantier, mais j’suis juste à côté. Si ça va pas, fais-moi signe.

— J’ai juste à crier.»

Ses lèvres se sont retroussées pour laisser passer un petit rire. Il s’est avancé encore plus près et m’a prise dans ses bras, comme une vieille amie. Il m’a serrée contre lui très fort et tenue si longtemps que j’ai fini par fermer les yeux et poser ma tête sur son épaule, dans un abandon délicieux. Enfouis dans ses bras majestueux, mes malheurs se sont faits tout petits. Les miettes de mon âme éclatée se sont déposées une à une dans les replis de son cou, en amas de douleur à balayer. Mon corps buvait sa chaleur, son calme, sa douceur.

Si ce n’avait été de la femme tout en cheveux de flammes qui veillait au grain sous sa veste à carreaux, on se serait peut-être embrassés. Sa joue râpeuse a doucement longé la mienne avant de s’éloigner. Nos lèvres se sont presque touchées. J’ai pris tout ce qu’il pouvait m’offrir.

Quand il est parti, Chat de Poche est sorti de sa cachette pour venir se blottir dans mon cou. Il a mordillé ma boucle d’oreille avant de se replonger dans un sommeil lourd, plein de spasmes nerveux. Je me suis endormie avec lui, reconnaissante, après mille caresses réparatrices.

J’ai ouvert les yeux sur Claudine qui tenait un grand plateau de sushis au-dessus de moi, avec son sourire triste des pires journées.

«Enweille, on fête ta nouvelle vie. J’ai amené une bonne bouteille de solution temporaire.

— …

— Je sais, t’as pas le goût, mais ça va te faire du bien. Bouge pas, je m’occupe de tout!

— Claudine?

— Quoi, ma belle?

— J’ai perdu mon petit tremplin.

Pfff…»

20 Où je me vois dans le miroir.

Ma coiffeuse avait pris du retard cette journée-là. Je me suis installée sur son divan Louis XVI pour faire semblant, comme d’habitude, de me chercher une nouvelle coupe, une nouvelle couleur dans l’une des nombreuses revues de mode qui s’entassaient dans un désordre rangé sur la table de desserte. Peu importaient les résolutions que je prenais dans ces moments de hardiesse qui précédaient la vue des ciseaux, elles s’évanouissaient, immanquablement, quand je posais les fesses sur la chaise de Sabrina. Mes prétentions à épouser la «tendance» ne résistaient jamais longtemps à l’appel de ma nature de femme plate qui se révélait jusque dans ma gestion du cheveu.

«Pis, qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui?

— Bof! Comme d’habitude.»

La cliente que Sabrina finissait de coiffer et qui l’avait mise en retard s’extasiait devant le dégradé de rose qui venait d’apparaître, après de nombreuses étapes de décoloration et de coloration, dans les dix derniers pouces de ses cheveux.

«C’est tellement ça que je voulais! Je capote! Mes amies vont être trop jalouses! Ma mère va venir te payer tantôt.»

Un peu plus loin, une dame ronde comme une bille consultait Ève, l’autre coiffeuse.

«J’ai envie de changement, je trouve que je fais dur. Penses-tu que ça m’allongerait un peu le visage de faire quelques mèches de couleur sur les côtés?

— T’as pas beaucoup de longueur pour ça. Faudrait peut-être jouer avec la coupe pour donner un effet allongeant.

— Mais ici, sur le dessus, si on mettait un peu de rouge? Ça ferait lumineux, non?»

Cette femme-là avait réussi, par autosuggestion, à se convaincre que des mèches de couleur lui feraient perdre quelques kilos. L’humain vit d’espoir, c’est l’un de ses plus grands talents. Les illusions dont il se gave lui permettent d’échapper, au moins pour un temps, à la cruelle réalité.

«Oui, ça pourrait être beau. Mais va falloir décolorer pour aller chercher la bonne teinte.

— Ça vaut la peine?

— Si tu veux avoir un beau rouge, on a pas vraiment le choix.

— Bon, ben go