Elle riait de satisfaction, excitée à l’idée de la transformation qu’elle s’apprêtait à subir, confiant à quelques mèches décolorées le soin de lui requinquer le look et le moral. Ses petits doigts boudinés roulaient de plaisir dans les airs.
Dans le grand miroir du fond, je me suis aperçue. Moi, mon fond de tête blanc, ma pose de petite madame bien comme il faut. J’étais là pour l’illusion, comme les autres.
«Allô, Diane!
— Allô!
— Pis, qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui?
— J’aimerais ça revenir à ma couleur naturelle.
— Tu trouves ça trop foncé?
— Non, ma vraie couleur naturelle.
— Je comprends pas.
— Blanc.
— T’es sérieuse?
— Oui.»
Elle m’a regardée dans le miroir pour essayer de comprendre ce qui se passait. Normal, les femmes essayent généralement de fuir leur âge, pas de s’y lancer à corps perdu. Elle ne me ferait pas de discours. Sabrina pose peu de questions, travaille vite et bien, ne me raconte pas sa vie.
«Je vais te faire des mèches blanches, le plus proche de ta couleur naturelle possible. Ça va te donner le temps de les voir venir. On refait des mèches aux deux ou trois mois. Dans deux ans, tu vas les avoir blancs, pleine longueur.
— J’aimerais mieux qu’on les coupe tout de suite.
— Couper comment?
— Une petite coupe au carré, à la hauteur du menton. Y vont être tout blancs plus vite, non?
— Je pense que ce serait écœurant. Mais je veux que tu me promettes que tu le regretteras pas.»
Elle a fait pivoter la chaise pour me regarder dans les yeux, les sourcils levés.
«Promis.
— J’ai une cliente qui est débarquée y a une couple de mois pour se faire couper les cheveux. À voulait la nouvelle petite coupe à la Jennifer Lawrence…
— Je sais pas c’est qui.
— Pas grave. La fille avait les cheveux dans le milieu du dos, pis à les voulait courts.
— Oh!
— J’y ai fait sa coupe, c’était écœurant, tout le monde capotait dans le salon quand est partie, on a pris des photos pis toute, sauf qu’est revenue une semaine plus tard… pour m’engueuler!
— Ben voyons!
— Ç’a l’air qu’à le regrettait, qu’à filait pas le jour où était venue pis que j’aurais dû l’empêcher de faire ça.
— Pauvre toi.
— Je vends pas des bébelles qui se remboursent, je recolle pas les cheveux coupés!
— Qu’est-ce que t’as fait?
— Je l’ai fait asseoir pour la calmer pis j’y ai montré comment les placer, avec de la mousse coiffante pis toute, pauvre fille, elle avait pas le tour pantoute de s’arranger, elle avait une espèce de galette aplatie su’a tête, c’était épouvantable, faut travailler ça, une coupe de même. J’y ai donné un pot de gel sculptant.
— T’es fine.
— Pis j’y ai dit de me laisser son calendrier de menstruations pour les prochaines fois.
— Pfff… Inquiète-toi pas pour moi, ça va.
— Tant mieux. OK, on se lance.»
Deux heures et demie plus tard, j’ai fait mon tout premier selfie avec ma coiffeuse qui m’a montré comment partager une photo sur Facebook. Tout le monde me trouvait écœurante. Les «j’aime», «j’adore», les cœurs et les beaux petits commentaires ont fusé de partout. Personne ne ferait le saut en me voyant. Mes proches et moins proches pourraient discuter de mon changement de look en mon absence et se faire une idée de mon état mental. C’est ce qui est bien avec les réseaux sociaux, l’étape du premier choc, qu’il s’agisse d’une séparation, d’un bébé ou d’une coupe de cheveux, se vit par écrans interposés.
«Connais-tu un bon agent immobilier? Un vrai bon, un gentil?»
Elle m’a pointé un porte-cartes qui traînait à côté de la caisse.
«C’est un ami à moi, super pro, super fin, pas le genre agent d’immeubles pour deux cennes.
— Merci. J’y dis que je te connais?
— Oui. C’est un ami de mon frère.
— J’en ai rencontré un la semaine passée, c’était l’horreur. Juste son odeur, j’étais pas capable.
— Tu vas voir, c’est une vraie soie. Maudit que ça te fait bien, cette tête-là! Je sais pas pourquoi on y a pas pensé avant!»
Ma coiffeuse fait dehors ce que ma psy fait dedans: elle m’aide à me trouver belle.
Quand la mère de la jeune fille aux mèches est arrivée, elle a eu une petite surprise.
«Comment ça? Quelle couleur?
— On y fait un beau dégradé de… tu savais pas?
— Dis-moi que tu me niaises.
— My god!
— C’est quoi, la couleur?
— Rose.
— Un dégradé de rose?
— C’est la grosse mode.
— Pis ça coûte combien, la grosse mode?
— Assis-toi avant.
— Non non non, combien?
— Y a fallu faire une double décoloration, trois étapes de mèches…
— …
— Deux cent quarante-cinq dollars..
— QUOI? Ah ben calvaire! Elle a du front tout le tour de la tête! Comme si j’en chiais, de l’argent! Je me payerais jamais ça!»
La femme que j’avais devant moi, dans le miroir, avait de magnifiques mèches blanches payées avec l’argent de sa mise à pied. À contre-courant de la tendance au rajeunissement.
Elle n’avait pas l’air malheureuse.
Je tenais absolument à le voir arriver. On dira ce qu’on voudra des moines et du caractère peu fiable de leurs habits, je pense qu’une petite étude rapide de l’enveloppe donne une bonne idée du contenu.
Il s’est pointé à l’heure, ponctuel comme un détective privé, dans une Subaru Outback striée de boue sur les côtés. Sans le faire exprès, j’ai remarqué que ses roues n’étaient pas montées sur des Mags (Antoine m’avait déjà expliqué qu’un gars de char ne s’expose jamais – la voiture étant une extension de lui-même – sans Mags). Il portait un jeans foncé et un polo marine. Pas de veston ni de souliers vernis. Un look relax, même un peu trop à mon goût. J’avais l’air très habillée à côté de lui. Il était plus jeune que je m’y attendais. Fin trentaine, peut-être. Sourcils en broussaille. S’il avait laissé pousser ses cheveux, sa tête aurait été auréolée d’une couronne de moine.
«Bonjour! Madame Delaunais?
— Stéphane?
— Oui.
— On peut se tutoyer?»
Nous nous sommes installés dehors, sur des chaises bien sèches. J’avais besoin de savoir à qui j’avais affaire avant de le laisser poser son œil professionnel sur mon intérieur. J’avais fait la même chose avec mon dentiste.
Il a sorti une tablette de feuilles lignées et un crayon à mine HB, comme ceux que j’achetais aux enfants pour l’école. L’agent rencontré la semaine précédente m’avait étourdi avec ses présentations numériques et des logiciels de visites 3D, avant même qu’on ait décidé de travailler ensemble. Dès son premier «ma petite madame», j’aurais dû le foutre dehors. Celui-là, avec ses dents non blanchies et sa face de bon élève, me plaisait beaucoup. Il m’a regardée dans les yeux avec un air sérieux.
«Est-ce que je peux te poser une question indiscrète?
— Non.»
Il a postillonné en pouffant de rire. On s’en tiendrait à l’essentiel, ce serait bien suffisant.
«Pas de problème. Désolé.
— Je veux vendre la maison parce que je veux déménager. C’est tout.»
J’ai dû avoir l’air bête. Tant pis. Je n’avais aucune envie de lui raconter mes déboires conjugaux. Pas plus à lui qu’à qui que ce soit. Aux clients désireux de savoir pourquoi je vendais, il pourrait répondre ce que je venais de lui dire, qui était la stricte vérité: j’avais envie de déménager. Les raisons qui me motivaient à faire ce choix ne regardaient personne.