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Les enfants sont venus prendre les meubles dont ils avaient besoin ou qu’ils tenaient à garder. Ils ont minutieusement empaqueté leurs souvenirs de jeunesse pour en garnir leur vie – ou leur cave. J’avais orchestré le tout pour qu’ils viennent tous en même temps, le jour même de mon propre déménagement, pour me donner l’illusion que nous ne faisions que changer de maison ensemble. C’est ce qui m’a permis, sur le coup, de ne pas m’effondrer. J’ai seulement versé quelques larmes quand Alexandre m’a dit que ses souvenirs étaient dans sa tête, pas dans la maison. Je l’avais rarement vu aussi ébranlé, mon grand sensible. Qu’on le veuille ou non, une faille délimitait à présent, dans notre histoire familiale, l’avant et l’après. Je l’ai bercé debout, mon adorable premier. C’est tout ce que je pouvais faire pour nous. Les mots rassurants qui m’étaient venus naturellement toute ma vie pour le consoler sont restés hors d’atteinte. J’étais submergée par la douleur, incapable de tendre la main et de nous en extraire.

Je suis revenue le lendemain, toute seule, et j’ai longuement pleuré devant ma belle vieille maison canadienne. La vie que je m’étais inventée perdait ses derniers ancrages. Les dernières traces de l’avant s’étiolaient. Mes amours, tous mes amours, étaient partis se faire une nouvelle vie. Sans moi. Ils se construisaient des histoires dans des ailleurs qui ne me concernaient désormais pas. Je me sentais larguée, abandonnée, comme le blessé qu’on n’a pas le choix de laisser derrière pour sauver sa peau.

J’avais besoin d’une nouvelle histoire, d’une nouvelle vie. Bref, d’un grand reset.

Charlotte m’a laissé Chat de Poche.

Quand elle a vu ma nouvelle tête, ma psy a tout de suite su que nous ne nous reverrions plus. Paradoxalement, c’est en comprenant mieux son rôle que j’ai senti le besoin d’arrêter le traitement. J’étais entrée dans son bureau comme au confessionnal, croyant que je pourrais, moyennant rétribution – dîme ou honoraire, c’est du pareil au même –, me défaire proprement de mes ténèbres en les déchargeant dans une femme-égout. Il me plaisait de penser qu’elle s’en remettait au yoga pour se vidanger du surplus de confidences, comme les curés confiaient au vin de messe les bassesses qu’ils prenaient en charge au nom du divin père absent. Mais je n’avais rien compris: ce n’était pas un dépotoir, cette femme, mais un miroir. Avec elle, j’avais fini par entrevoir, entre deux ombres confuses, la femme que je pouvais encore être. Ce n’était pas dans les plans quand je m’étais mariée, bien sûr. Mais j’ai appris, depuis, que l’imprévisibilité de la vie est l’une de ses plus belles qualités. Personne ne s’embarque sur un bateau en acceptant d’emblée l’idée qu’il va couler. Pourtant, les bateaux coulent. Les fonds marins sont tapissés d’épaves que la faune et la flore digèrent doucement. La mer n’en est pas moins couverte, chaque jour, de bateaux de plus en plus nombreux, de voiliers majestueux. Ça se comprend, elle est si belle. L’amour, comme la mer, vaut bien le risque qu’il nous fait courir.

«Jacques m’a toujours protégée. Y est déjà sorti du char en plein hiver avec une barre de fer pour me défendre contre un gros colon que je venais de couper sur la route, pis qui voulait m’arracher la tête, pfff… Y m’a ramassée à la petite cuillère quand ma mère est morte, ç’a été tellement dur…, y m’a relevée de «nos» grossesses, comme y disait…, y voulait pas que je souffre, personne pouvait me faire du mal… Là, je vis la plus grosse peine de ma vie, je souffre comme je pensais même pas qu’y était possible de souffrir, mais y fait rien, y me regarde me vider de mon sang sans rien faire, c’est même lui qui m’a planté le couteau… Je m’imaginais tout le temps qu’y allait revenir, qu’y me prendrait dans ses bras pis qu’y me dirait qu’y s’était trompé…

— Pis maintenant?

— Y reviendra pas.

— Ça te fait peur?

— J’ai jamais eu autant la chienne de toute ma vie.»

21 Où je tricote, marche, danse.

«T’es qui, toi?

— Je m’appelle Diane. Toi, comment tu t’appelles?

— Simon.

— Tu restes où, Simon?

— Dans ma maison.»

Il me faisait des gros yeux méchants. Son doigt a pointé le bout de la ruelle.

«T’es tout seul?

— Sont où, les nains?

— Quels nains?

— Les nains qui étaient là!

— T’as perdu des nains?

— Non!

— T’as quel âge, Simon?

— Cinq ans et mi.

— Tu vas à la maternelle?

— Voui.

— Est-ce que tes parents savent que t’es ici?

— SI-MON!»

Une grande fille est arrivée à la course, cheveux au vent, les poings fermés. Elle n’avait pas l’air spécialement de bonne humeur.

«Simon! T’as pas le droit de traverser la rue tout seul! Maman est en beau maudit! Tout le monde te cherche. Viens-t’en! Tu vas te faire chicaner!

— Je pense qu’il cherche ses nains.

— Ah! Bonjour!

— Bonjour!

— C’est parce qu’y avait des nains ici, avant.

— Des vrais nains?

— Non, des nains de jardin. Y avait un jardin avec des nains pis plein d’affaires de nains…

— Une tite brouette.

— Oui, y avait des maisons, un puits, des brouettes, un moulin, des champignons, plein d’affaires.

— Sont yoù?

— Simon, y en a pus! Madame Nardella est partie!

— Je viens d’acheter le duplex avec une amie. J’habite le deuxième.

— Vous êtes chanceuse, y est neuf. Y ont complètement démoli la maison qui était là avant. Elle avait juste un étage.

— Oui, le contracteur m’a expliqué ça.

— Faut qu’on y aille, ma mère nous attend.

— T’es chanceux d’avoir une belle grande sœur comme ça, toi!

— Non.

— On est cinq enfants, pis c’est le seul gars, fait qu’y se trouve pas ben chanceux.

— Cinq enfants? De la même mère?

— Oui.

— ZAZIE, REGARDE, Y A UN CHAT!

Wouah! Un chat à trois pattes.

— C’est mon chat, Steve. Je l’appelle Chat de Poche, y me suit partout.

— Est où, sa jambe?

— Y a eu un accident.

— OH NON!

— C’est correct, ils l’ont soigné, pis là, y va super bien. Y court partout, y adore la ruelle, y a plein d’amis ici!»

J’ai cru bon garder pour moi qu’il m’avait ramené plusieurs oiseaux et deux souris depuis notre arrivée.

«Moi aussi, j’ai un chat.

— Ah oui? Y s’appelle comment?

— Patate-2.

— Patate-d’œufs? C’est ben drôle, ça!

— C’est parce que Patate-1 est mort.

— OK Simon, une autre fois, là, faut qu’on y aille. Maman nous attend.

— Mais je veux le flatter!

— Une autre fois.

— C’est quoi, ton nom?

— Isabelle. Tout le monde m’appelle Zazie.

— Moi, c’est Diane.

— Salut, Diane.»