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– Non; quelqu’un viendra vous chercher pour vous conduire chez elle. Mais soyez discret et venez seul.

– Oui.

– Vous le promettez?

– Je vous donne ma parole.

– Adieu donc. Surtout ne me suivez pas.

Elle fit une révérence profonde et sortit aussitôt.

– Eh bien! que te voulait cette noble entremetteuse? demanda le capitaine lorsque son frère fut remonté et le maître de guitare parti.

– Oh! rien, répondit Mergy d’un air d’indifférence, et regardant avec beaucoup d’attention la madone dont il a été parlé.

– Allons, point de mystère avec moi. Faut-il t’accompagner à un rendez-vous, garder la rue, et recevoir les jaloux à grands coups de plat d’épée?

– Rien, te dis-je.

– Oh! comme il te plaira. Garde pour toi ton secret, si tu veux; mais, tiens, je gage que tu as pour le moins autant envie de me le conter que moi de l’apprendre.

Mergy pinça d’un air distrait quelques cordes de sa guitare.

– À propos, George, je ne puis aller souper ce soir chez Mr de Vaudreuil.

– Ah! c’est donc pour ce soir? Est-elle jolie? est-ce une dame de la cour? une bourgeoise? une marchande?

– En vérité, je ne sais. Je dois être présenté à une dame… qui n’est pas de ce pays… Mais à qui… c’est ce que j’ignore.

– Mais tu sais au moins où tu dois la rencontrer?

Bernard montra le billet, et répéta ce que la vieille venait de lui dire.

– L’écriture est contrefaite, dit le capitaine, et je ne sais que penser de toutes ces précautions.

– Ce doit être quelque grande dame, George.

– Voilà bien nos jeunes gens, qui, pour le plus léger motif, s’imaginent que les dames les plus huppées vont se jeter à leur tête.

– Sens donc le parfum qu’exhale ce billet.

– Qu’est-ce que cela prouve?

Le front du capitaine se rembrunit tout d’un coup, et une idée sinistre se présenta à son esprit.

– Les Comminges sont rancuniers, dit-il, et peut-être cette lettre n’est-elle qu’une invention de leur part pour t’attirer dans quelque réduit, à l’écart, où ils te feront payer cher le coup de poignard qui les a fait hériter.

– Bon! quelle idée!

– Ce ne serait pas la première fois qu’on aurait fait servir l’amour pour la vengeance. Tu as lu la Bible; souviens-toi de Samson trahi par Dalila.

– Il faudrait que je fusse bien poltron pour qu’une conjecture aussi improbable me fît manquer un rendez-vous qui peut-être sera délicieux! Une Espagnole!…

– Au moins vas-y bien armé. Si tu veux, je te ferai suivre par mes deux laquais.

– Fi donc! faut-il rendre la ville témoin de mes bonnes fortunes?

– C’est assez l’usage aujourd’hui. Que de fois ai-je vu d’Ardelay, mon grand ami, allant voir sa maîtresse avec une cotte de mailles sur le dos, deux pistolets à sa ceinture!… et derrière lui marchaient quatre soldats de sa compagnie, chacun avec un poitrinal chargé. Tu ne connais pas encore Paris, mon camarade; et crois-moi, le trop de précautions ne nuit jamais. On en est quitte pour ôter sa cotte de mailles quand elle devient gênante.

– Je suis tout à fait sans inquiétudes. Si les parents de Comminges m’en voulaient, ils auraient pu facilement m’attaquer la nuit dans la rue.

– Enfin, je ne te laisserai sortir qu’à condition que tu prendras tes pistolets.

– À la bonne heure! mais on se moquera de moi.

– Maintenant ce n’est pas tout; il faut encore bien dîner, manger deux perdrix et force crêtes de coq en pâté, afin de faire honneur ce soir à la famille des Mergy.

Bernard se retira dans sa chambre, où il passa quatre heures au moins à se peigner, se friser, se parfumer, enfin à étudier les discours éloquents qu’il se proposait de tenir à la belle inconnue.

Je laisse à penser s’il fut exact au rendez-vous. Depuis plus d’une demi-heure il se promenait dans l’église. Il avait déjà compté trois fois les cierges, les colonnes et les ex voto, quand une vieille femme, enveloppée soigneusement dans une cape brune, lui prit la main, et, sans dire un seul mot, l’emmena dans la rue. Toujours observant le même silence, elle le conduisit, après plusieurs détours, dans une ruelle fort étroite et en apparence inhabitée. Elle s’arrêta tout au fond, devant une petite porte en ogive et fort basse, qu’elle ouvrit avec une clef qu’elle tira de sa poche. Elle entra la première, et Mergy la suivit, la tenant par sa cape à cause de l’obscurité. Une fois entré, il entendit tirer derrière lui d’énormes verrous. Son guide le prévint alors à voix basse qu’il était au pied d’un escalier, et qu’il y avait vingt-sept marches à monter. L’escalier était fort étroit, et les marches tout usées et inégales manquèrent plus d’une fois de le faire tomber. Enfin, après la vingt-septième marche, terminée par un petit palier, une porte fut ouverte par la vieille, et une vive lumière éblouit un instant les yeux de Mergy. Il entra aussitôt dans une chambre beaucoup plus élégamment meublée que ne l’annonçait l’apparence extérieure de la maison.

Les murailles étaient tendues d’une tapisserie à fleurs, un peu passée, il est vrai, mais encore fort propre. Au milieu de la chambre il vit une table éclairée par deux flambeaux de cire rose, et couverte de plusieurs espèces de fruits et de gâteaux, avec des verres et des flacons de cristal, remplis, comme il semblait, de vins de différentes espèces. Deux grands fauteuils placés aux deux bouts de la table paraissaient attendre des convives. Dans une alcôve à moitié fermée par des rideaux de soie, était un lit très orné et couvert de satin cramoisi.

Plusieurs cassolettes répandaient un parfum voluptueux dans l’appartement.

La vieille ôta sa cape, et Mergy son manteau. Il reconnut aussitôt la messagère qui lui avait apporté la lettre.

– Sainte Marie! s’écria la vieille en apercevant les pistolets et l’épée de Mergy, croyez-vous donc que vous allez avoir à pourfendre des géants? Mon beau cavalier, il ne s’agit pas ici de frapper de grands coups d’épée.

– J’aime à le croire; mais il se pourrait que des frères ou un mari d’humeur chagrine vinssent troubler notre entretien, et voilà pour leur jeter de la poudre aux yeux.

– Vous n’avez rien de semblable à craindre ici. Mais, dites-moi, comment trouvez-vous cette chambre?

– Fort belle, assurément; mais je m’y ennuierais toutefois si je devais y rester seul.

– Quelqu’un va venir qui vous tiendra compagnie. Mais, d’abord, vous allez me faire une promesse.

– Laquelle?

– Si vous êtes catholique, vous allez étendre la main sur ce crucifix (elle en tira un d’une armoire); si vous êtes huguenot, vous jurerez par Calvin… Luther, tous vos dieux, enfin…

– Et que faut-il que je jure? interrompit-il en riant.

– Vous jurerez de ne faire aucun effort pour chercher à connaître la dame qui va venir ici.