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— Nous toucherons le sol dans trois heures, dit-il. Vous voudrez bien rester consigné dans votre chambre. Un homme viendra vous faire sortir et vous escortera à votre lieu de séjour.

— Un instant, dit Baley la voix étranglée.

Ficelé comme il l’était, il se sentait totalement impuissant.

— A l’arrivée, ce sera quelle période du jour ?

Aussitôt le robot lui répondit : « Selon l’heure standard galactique, il sera…

— L’heure locale, mon garçon, l’heure locale, Jehoshaphat !

Le robot continua, d’un ton monocorde :

— Le jour, sur Solaria, a une durée de vingt-huit heures trente-cinq minutes. L’heure solarienne se divise en dix dixièmes, chaque dixième en cent centièmes. L’horaire prévoit notre arrivée à l’aéroport au vingtième centième du cinquième dixième.

Baley se mit à détester le robot pour son inaptitude à comprendre, car maintenant il se trouvait obligé de poser la question en termes nets et de révéler son point faible.

Il fallait la poser, et carrément :

— Fera-t-il jour ? !

Et après toutes ces circonlocutions précédentes, le robot répondit :

— Oui, monsieur.

Et il s’en fut.

Il ferait jour. Il allait sortir à l’air libre, sur la surface nue d’une planète, en plein jour !

Il n’était pas sûr de ce qu’il allait éprouver. Il avait eu l’occasion d’entrevoir des surfaces libres de sa planète, de certains points de la ville. Il lui était même arrivé de sortir à l’air libre un court instant. Mais, toujours, entouré de murs ou tout à proximité.

L’asile où se protéger était toujours à portée de main.

Mais où allait-il trouver asile maintenant ? Il n’y aurait même pas le mur fallacieux des ténèbres.

Et parce qu’il ne voulait pas faire montre d’une seule faiblesse devant les Spaciens – il s’en serait voulu sa vie durant – il se contracta contre les sangles qui le protégeaient des forces gravitationnelles, ferma les yeux et se mit à lutter obstinément contre la panique.

2

Un ami retrouvé

Baley perdait pied. La raison seule ne suffisait pas à refréner sa panique.

Il se répétait inlassablement :

— Des hommes vivent au plein air toute leur vie. C’est ce que font les Spaciens maintenant ; c’est ce qu’autrefois ont fait nos ancêtres sur Terre. Il n’y a pas de danger réel à se trouver hors des murs. C’est mon esprit seul qui s’obstine à croire le contraire.

Mais rien n’y faisait. Quelque chose en lui, de plus fort, de supérieur à la raison, réclamait les murailles et refusait l’air libre.

A mesure que le temps passait, il sentait bien qu’il n’arriverait pas à contrôler sa frayeur. Il ne serait qu’une épave tremblante, lâche et pitoyable. Les Spaciens qu’on allait envoyer à sa rencontre (avec des masques faciaux pour se préserver des germes et gantés pour éviter tout contact) n’auraient même pas à le mépriser. Ils n’éprouveraient que du dégoût.

Il continua de lutter, en serrant les dents.

L’astronef se posa. Les sangles antigravitationnelles se relâchèrent automatiquement, tandis que l’amortisseur hydraulique basculait à l’intérieur de la paroi. Baley resta assis dans le fauteuil. Il avait une peur atroce mais était bien résolu à ne pas la montrer.

Il détourna la tête dès qu’il entendit le léger bruit que fit la porte de la pièce en s’ouvrant. Du coin de l’œil, il avait pu entrevoir une haute silhouette bronzée qui s’avançait : un Spacien, un de ces arrogants descendants de Terriens qui avaient renié leur planète mère.

Le Spacien parla : « Bonjour Elijah. »

Baley, avec un brusque sursaut, se retourna vers celui qui venait de parler ; son regard vacilla et il se leva de son siège presque à son insu.

Il dévisageait son interlocuteur, retrouvant les larges pommettes altières, les traits d’un calme marmoréen, la symétrie de tout le corps, et surtout ce regard droit et pur d’yeux bleus qui ne cillaient pas.

— Daneel !

L’être de l’Espace répondit :

— Il m’est agréable que vous veuillez bien vous souvenir de moi, Elijah.

« Me souvenir de vous. » Baley sentit un immense soulagement l’envahir : devant lui se dressait un écho de la Terre, un ami, un réconfort, un messie. Il avait un irrésistible désir de le serrer dans ses bras, de l’étreindre, de rire en lui tapant dans le dos, toutes ces stupidités si sentimentales que se font deux vieux amis qui se retrouvent après une séparation.

Mais il se contint. Ce n’était pas possible. Il ne pouvait que s’avancer, tendre la main et dire :

— Il est peu probable que je vous oublie jamais, Daneel.

— J’en suis très heureux, dit Daneel, hochant sérieusement la tête. Quant à moi, vous ne l’ignorez pas, tant que je serai en bonne condition, il me sera absolument impossible de vous oublier. Aussi, suis-je heureux de vous revoir.

Il prit la main de Baley dans la sienne, ferme et fraîche, ses doigts serrant, avec une force agréable, sans être douloureuse, puis relâchant leur pression.

Baley souhaitait ardemment que Daneel fût réellement incapable de capter les folles idées qui venaient juste de lui traverser l’esprit et qui n’étaient pas encore dissipées, ce cri intérieur d’une intense amitié, presque d’un véritable amour.

Après tout, on ne pouvait aimer comme un ami ce Daneel Olivaw ; ce n’était pas un homme, ce n’était qu’un robot humanoïde.

Le robot, qui avait tellement l’air d’un être humain, parla :

— J’ai demandé qu’un véhicule de surface, piloté par un robot, soit relié par sas externe.

Baley fronça les sourcils :

— Un sas externe ?

— Oui. C’est un engin courant, souvent utilisé dans l’espace pour transférer du personnel ou du matériel d’un astronef à l’autre sans qu’il soit besoin de l’équipement spécial antivide. Il semblerait que vous n’êtes pas familiarisé avec ce genre d’instrument.

— En effet, dit Baley. Mais je me représente assez bien la chose.

— Bien sûr, il est assez difficile de l’utiliser entre un astronef et un véhicule de surface, mais j’ai exigé que ce soit fait. Heureusement, la mission où vous et moi nous nous trouvons engagés a priorité absolue : les problèmes se résolvent très rapidement.

— Vous êtes désigné pour enquêter sur ce meurtre, vous aussi ?

— On ne vous l’avait pas dit ? Je regrette de n’avoir pas réparé aussitôt cette omission.

Evidemment, les traits impassibles du robot ne marquèrent aucun regret.

— C’est le Dr Han Fastolfe, que vous avez rencontré sur la Terre, au cours de notre précédente enquête en commun, et dont j’espère que vous vous souvenez, qui a suggéré le premier que vous seriez un enquêteur particulièrement qualifié pour ce genre d’affaire. Il mit comme condition que nous soyons, de nouveau, désignés tous les deux pour enquêter.

Baley réprima un sourire. Le Dr Fastolfe était originaire d’Aurore, le plus puissant des Mondes Extérieurs. Et visiblement l’avis d’un savant d’Aurore était chose d’importance.

— Il ne faut pas détruire une bonne équipe, hein, dit Baley.

La joie instinctive qu’il avait ressentie en voyant Daneel commençait à s’estomper et il se sentait de nouveau oppressé.

— Je ne sais pas s’il avait particulièrement cette idée en tête, Elijah. D’après la nature des ordres qu’il m’a donnés, je croirais plutôt que ce qui lui importait fût que votre coéquipier eût l’expérience de votre monde et, en conséquence, fût au courant de vos petites manies.