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Et à ce même moment il sentit la main de Daneel sur son épaule. Son esprit brûlait d’un seul désir pendant cet instant irréel et vertigineux : il fallait qu’il voit, il fallait qu’il regarde tout ce qu’il pouvait voir ; et il y avait là Daneel pour l’empêcher de voir.

Mais jamais un robot n’aurait l’audace de faire violence à un être humain. Cette idée ne cessait de le hanter : Daneel ne pouvait l’en empêcher par la force, et pourtant Baley sentit les mains du robot l’obliger à se rasseoir.

Baley leva les bras pour écarter ces mains qui n’étaient pas de chair et perdit connaissance.

3

Quelques données sur la victime

Baley était de nouveau en sécurité, dans un espace bien clos. Le visage de Daneel paraissait flou à ses yeux, et marbré de taches plus sombres qui devenaient pourpres quand il clignait des yeux.

— Qu’est-il arrivé ? demanda Baley.

— Je regrette, dit Daneel, que vous vous soyez fait du mal bien que j’aie été présent. Les rayons du soleil, quand on les reçoit sans protection, sont nocifs aux yeux humains, mais je crois qu’en raison de la brièveté du moment où vous leur avez été soumis ils ne vous auront pas causé de troubles durables. Lorsque vous avez levé les yeux, il m’a fallu vous tirer en arrière, et c’est à cet instant que vous avez perdu connaissance.

Baley fit une grimace. Tout ceci ne résolvait pas la question de savoir s’il s’était évanoui de surexcitation, de terreur, ou après avoir été assommé. Il se tâta la mâchoire et la tête sans découvrir de point douloureux. Il préféra ne pas poser directement la question au robot. Dans un sens, il n’avait pas le moindre désir d’être édifié.

— Ce n’a pas été trop désagréable, dit-il.

— D’après vos réactions, Elijah, il me semble que vous ayez trouvé l’expérience déplaisante.

— Pas le moins du monde, répondit Baley avec entêtement.

Les marbrures qui dansaient devant ses yeux commençaient à se dissiper et ne lui causaient plus d’élancements.

— Je regrette simplement de n’avoir pu en voir davantage. Nous allions trop vite. Sommes-nous passés devant un robot ?

— Nous en avons dépassé un bon nombre. Nous traversons actuellement le domaine de Kinbald, qui est entièrement consacré à des vergers.

— Il faudra que j’essaye de nouveau, dit Baley.

— Vous ne le pourrez plus, moi présent, dit Daneel. Mais j’ai fait ce que vous aviez demandé.

— Qu’avais-je demandé ?

— Souvenez-vous, Elijah, avant d’ordonner au conducteur de baisser la capote, vous m’aviez demandé de me renseigner sur la distance en kilomètres qu’il nous restait à parcourir. Actuellement, nous sommes à quinze kilomètres de notre but et nous serons à destination dans six minutes environ.

Baley eut envie de demander à Daneel s’il était furieux de s’être laissé duper, n’eût été que pour le plaisir de voir ce visage imperturbable s’altérer, mais il se retint.

Evidemment, Daneel aurait répondu non, sans montrer de rancœur ou de gêne. Il aurait continué de demeurer assis, grave, calme, comme d’habitude, comme si rien ne s’était passé.

D’un ton parfaitement uni, Baley dit :

— Quoi qu’il en soit, Daneel, il faudra bien que je m’y fasse.

Le robot regarda son collègue humain :

— De quoi parlez-vous, s’il vous plaît ?

— Dieu Tout-Puissant, mais… mais de l’extérieur, puisqu’il n’y a que des espaces libres sur cette planète.

— Il n’y a nulle raison que vous fassiez attention à l’extérieur, dit Daneel.

Puis, comme si, pour lui, la question se trouvait résolue, il ajouta :

— Nous ralentissons, Elijah. Je crois que nous sommes à destination. Il va vous falloir attendre un peu, le temps que l’on applique un autre sas externe ; nous pourrons alors nous rendre à la demeure qui nous servira de centre pour notre enquête.

— Pas besoin de sas externe, Daneel. Il va bien falloir que je travaille à l’extérieur. Autant commencer l’entraînement tout de suite.

— Il n’y a nulle raison que vous travailliez à l’extérieur, Elijah.

Le robot se disposait à en dire davantage, mais Baley lui imposa silence d’un mouvement nerveux et définitif.

Pour l’instant, il n’était pas d’humeur à accepter les soins et les conseils de Daneel, ni les bonnes paroles ni les pieuses promesses que tout irait bien et qu’on prendrait bien soin de lui.

Ce qu’il voulait, c’était savoir s’il était capable de s’occuper de lui-même et de remplir sa tâche, sans qu’on soit sans cesse à le couver. Voir, sentir des espaces sans limite avait été un rude choc à supporter. Peut-être, quand le moment serait venu, n’aurait-il pas le courage de les regarder en face de nouveau, au risque d’avoir honte de lui-même à jamais et de mettre la Terre en danger. Et tout cela pour une question d’espace illimité.

Ses traits se durcirent à cette simple idée qui venait de l’effleurer : eh bien ! il ferait face au vent, au soleil, et au néant lui-même !

Elijah Baley se sentait dans l’état d’esprit de l’habitant d’une petite ville comme Helsinki, qui visite New York, et qui compte le nombre de niveaux avec un respect terrorisé. Il avait pensé que leur « demeure » allait consister en une simple pièce monobloc, mais ce n’était rien de comparable. Il passait de chambre en chambre, indéfiniment. Les fenêtres panoramiques étaient soigneusement voilées, ne laissant entrer aucune lueur dangereuse. Les lumières s’allumaient sans bruit par un dispositif dissimulé dès qu’ils passaient une porte et s’éteignaient avec la même discrétion quand ils sortaient de la pièce.

— Tant de pièces, dit Baley avec émerveillement, tant de salles. C’est presque une toute petite ville, Daneel.

— Si tel est votre avis, Elijah, dit Daneel sans se compromettre.

Tout cela semblait très étrange au Terrien. Pourquoi était-il donc nécessaire que tant de Spaciens vivent si près de lui ?

— Combien seront-ils à vivre dans cette demeure avec nous ? demanda-t-il.

— Il y aura moi, bien sûr, répondit Daneel, et un certain nombre de robots.

Il aurait dû dire : « Un certain nombre d’autres robots », pensa Baley. Et, de nouveau, il se rendit compte que Daneel avait bien l’intention de jouer le rôle d’un homme en tous points, même vis-à-vis de Baley, qui pourtant savait fort bien ce qu’il en était. Et d’un seul coup, cette idée disparut brusquement, écartée par une autre, plus pressante :

— Des robots, s’écria-t-il, mais combien d’humains ?

— Mais aucun, Elijah !

Ils venaient de pénétrer dans une pièce recouverte, du plancher au plafond, d’enregistrements visuels. Trois visionneuses à vues fixes, avec des écrans de soixante-dix centimètres, dressés verticalement, étaient installées dans trois coins de la pièce ; dans le quatrième, il y avait une chaîne vidéo.

Baley jeta un regard agacé sur toute la pièce.

— Ils ont fichu tout le monde à la porte pour me laisser traîner mes guêtres tout seul dans ce mausolée.

— Mais cette maison est réellement pour vous tout seul. Une résidence comme celle-ci, pour une seule personne, est très courante sur Solaria.

— Tout le monde vit ainsi ?

— Oui, bien sûr.

— Mais que font-ils de toutes ces pièces ?

— Il leur paraît normal d’utiliser chaque pièce pour un seul but bien défini : ceci est le salon de lecture : il y a également le salon de musique, la salle de gymnastique, la cuisine, la boulangerie autonome, la salle à manger, l’atelier de bricolage, diverses pièces consacrées aux réparations des robots et à leur réentraînement, deux chambres à coucher…