– Non, non, mais crois-moi, ils approuvaient les idées de Voldemort, ils étaient tous partisans de purifier la race des sorciers, de se débarrasser de ceux qui venaient de familles moldues et de mettre les sang-pur au pouvoir. Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls, beaucoup de gens, avant que Voldemort montre sa vraie nature, étaient persuadés qu’il avait raison… Ils ont été un peu refroidis en voyant ce qu’il était prêt à faire pour prendre le pouvoir. Mais au début, quand il s’est engagé, je suis sûr que mes parents voyaient en Regulus un brave petit héros…
– Il a été tué par un Auror ? demanda Harry d’une voix hésitante.
– Oh non, répondit Sirius. Non, il a été assassiné par Voldemort. Ou sur ordre de Voldemort, plus vraisemblablement. Je doute que Regulus ait jamais été assez important pour que Voldemort se donne la peine de le tuer lui-même. D’après ce que j’ai su après sa mort, il l’a suivi jusqu’à un certain point, puis il a été pris de panique devant ce qu’on lui demandait de faire et il a essayé de se retirer. Mais on ne quitte pas Voldemort en lui écrivant une simple lettre de démission. Avec lui, il faut servir ou mourir.
– Le déjeuner est prêt, annonça la voix de Mrs Weasley.
Elle tenait à bout de bras sa baguette magique sur laquelle reposait en équilibre un énorme plateau chargé de sandwiches et de gâteaux. Le teint écarlate, elle semblait toujours en colère. Les autres s’approchèrent d’elle, affamés, mais Harry resta à côté de Sirius qui s’était penché sur la tapisserie.
– Ça fait des années que je ne l’ai pas regardée. Voilà Phineas Nigellus… mon arrière-arrière-grand-père. Tu vois ?… Le directeur le moins aimé de toute l’histoire de Poudlard… Et là, c’est Araminta Meliflua… une cousine de ma mère… elle a essayé de faire passer une loi au ministère pour autoriser la chasse aux Moldus… et cette chère tante Elladora… c’est elle qui a inauguré la tradition de décapiter les elfes de maison quand ils étaient trop vieux pour porter les plateaux de thé… Bien entendu, chaque fois qu’un membre de la famille se révélait à peu près fréquentable, il était renié. Je vois que Tonks n’est pas là. C’est sans doute pour ça que Kreattur refuse de lui obéir – il est censé faire tout ce que lui demandent les membres de la famille…
– Tu es parent avec Tonks ? s’étonna Harry.
– Oh oui, Andromeda, sa mère, était ma cousine préférée, répondit Sirius en examinant attentivement la tapisserie. Non, Andromeda n’est pas là non plus, regarde…
Il montra un autre petit trou entre les noms de Bellatrix et Narcissa.
– Les sœurs d’Andromeda y sont toujours parce qu’elles se sont mariées à de charmants et respectables sang-pur, mais Andromeda a épousé un sorcier d’origine moldue, Ted Tonks, alors…
Sirius mima le geste par lequel on avait brûlé le nom d’un coup de baguette magique puis il eut un rire amer. Harry, en revanche, ne riait pas, il était trop occupé à lire les noms qui figuraient à droite de la marque noircie d’Andromeda. Un double trait brodé d’or liait Narcissa Black à Lucius Malefoy et une ligne verticale unique menait au nom de Drago.
– Tu es parent avec les Malefoy !
– Les familles de sang-pur sont toutes parentes, expliqua Sirius. Si tu ne laisses tes enfants se marier qu’avec d’autres sang-pur, le choix devient vite très limité. Nous ne sommes plus très nombreux. Molly est ma cousine par alliance. Arthur est quelque chose comme mon deuxième cousin au deuxième degré. Mais inutile de les chercher sur cet arbre – s’il y a jamais eu une famille qui soit considérée comme traître à son sang, c’est bien les Weasley.
Mais Harry regardait à présent le nom qui figurait à gauche de la marque d’Andromeda. Bellatrix Black était reliée par un double trait à Rodolphus Lestrange.
– Lestrange…, lut Harry à haute voix.
Le nom évoquait quelque chose dans sa mémoire, il l’avait déjà entendu quelque part mais, pour le moment, il ne pouvait se rappeler où. Une étrange sensation s’insinua cependant au creux de son estomac.
– Ils sont à Azkaban, dit sèchement Sirius.
Harry le regarda avec curiosité.
– Bellatrix et son mari Rodolphus y sont entrés en même temps que Barty Croupton junior, poursuivit Sirius du même ton brusque. Rabastan, le frère de Rodolphus, était également avec eux.
Harry retrouva alors la mémoire. Il avait vu Bellatrix Lestrange dans la Pensine de Dumbledore, l’étrange objet dans lequel on pouvait conserver ses pensées et ses souvenirs : une grande femme brune, avec des paupières lourdes, qui avait comparu devant le tribunal en proclamant sa fidélité à Voldemort, sa fierté d’avoir tenté de le retrouver après sa chute et sa conviction qu’elle serait un jour récompensée de sa loyauté.
– Tu ne m’as jamais dit qu’elle était…
– Quelle importance qu’elle soit ma cousine ? répliqua brutalement Sirius. En ce qui me concerne, je ne les considère pas comme ma famille. Elle particulièrement. Je ne l’ai pas revue depuis que j’avais ton âge, sauf si on compte le bref instant où je l’ai aperçue le jour de son arrivée à Azkaban. Tu crois vraiment que je suis fier d’avoir une parente comme elle ?
– Désolé, dit précipitamment Harry, je ne voulais pas… J’étais simplement surpris, c’est tout.
– Ça n’a pas d’importance, ne t’excuse pas, grommela Sirius.
Les mains enfoncées dans ses poches, il se détourna de la tapisserie.
– Je n’aime pas être ici, dit-il en contemplant le salon. Je n’avais jamais pensé que je serais un jour à nouveau enfermé dans cette maison.
Harry le comprenait parfaitement. Il savait ce que lui-même ressentirait si, devenu adulte, il était obligé de retourner vivre au 4, Privet Drive après avoir cru en être libéré à tout jamais.
– Bien sûr, c’est idéal pour installer un quartier général, dit Sirius. Lorsqu’il y habitait, mon père a doté la maison de tous les systèmes de sécurité connus dans le monde de la sorcellerie. Elle est incartable et donc les Moldus ne pourraient jamais la localiser – comme s’ils en avaient envie ! – et maintenant que Dumbledore a ajouté sa propre protection, on aurait du mal à trouver une maison plus sûre. Dumbledore est le Gardien du Secret au sein de l’Ordre – ce qui signifie que personne ne peut découvrir le quartier général s’il ne lui révèle pas personnellement son emplacement. Ce petit mot que Maugrey t’a montré hier soir était de la main de Dumbledore.
Sirius eut un rire bref, semblable à un aboiement.
– Si mes parents pouvaient voir à quoi sert leur demeure à présent… Le portrait de ma mère te donne une idée de ce qu’ils en penseraient.
Il fronça les sourcils puis soupira.
– Ça me serait égal si au moins j’avais la possibilité de sortir un peu de temps en temps pour faire quelque chose d’utile. J’ai demandé à Dumbledore si je pouvais t’accompagner au ministère le jour de ton audience – sous la forme de Sniffle, bien sûr – pour t’apporter un peu de soutien moral. Qu’en penses-tu ?
Harry sentit soudain son estomac chavirer. Il n’avait plus pensé à sa convocation depuis le dîner de la veille. La joie de revoir les êtres qui lui étaient le plus chers et l’excitation de savoir enfin ce qui se passait l’avaient complètement chassée de son esprit. En entendant les paroles de Sirius, la peur l’accabla à nouveau. Il regarda Hermione et les Weasley, tous occupés à manger leurs sandwiches, et se demanda ce qu’il éprouverait s’ils retournaient à Poudlard sans lui.
– Ne t’inquiète pas, dit Sirius.
Harry leva les yeux et s’aperçut que Sirius l’observait.
– Je suis sûr qu’ils t’innocenteront. Il y a bel et bien dans le Code international du secret magique un article qui autorise l’usage des sortilèges si ta vie est menacée.