– Mais s’ils me renvoient quand même, dit Harry à voix basse, est-ce que je pourrai revenir ici et vivre avec toi ?
Sirius eut un sourire triste.
– On verra.
– J’aurais beaucoup moins peur de cette audience si j’étais sûr de ne pas être obligé de retourner chez les Dursley, insista Harry.
– Ils doivent être vraiment terribles si tu préfères vivre ici, remarqua Sirius d’un air sombre.
– Dépêchez-vous tous les deux, sinon il n’y aura plus rien à manger, leur lança Mrs Weasley.
Sirius poussa à nouveau un profond soupir, jeta un regard noir à la tapisserie puis rejoignit les autres en compagnie de Harry.
Cet après-midi-là, Harry fit de son mieux pour ne pas penser à sa convocation au ministère pendant le temps qu’ils passèrent à vider les armoires vitrées. Fort heureusement, ce travail exigeait une très grande concentration car la plupart des objets contenus dans le meuble n’avaient pas la moindre envie de quitter leurs étagères poussiéreuses. Sirius se fit mordre cruellement par une tabatière en argent. En quelques secondes, une sorte de croûte repoussante lui recouvrit la main, tel un gant dur et marron.
– Ce n’est rien, dit-il en examinant sa main d’un air intéressé avant de lui donner un petit coup de baguette magique qui lui rendit une peau normale. Il doit y avoir de la poudre à Verrue, là-dedans.
Il jeta la boîte dans le sac où ils rassemblaient le bric-à-brac trouvé dans les armoires. Quelques instants plus tard, Harry vit George envelopper sa propre main dans un chiffon et glisser la tabatière dans sa poche déjà remplie de Doxys.
Ils découvrirent un instrument en argent d’aspect assez déplaisant, une sorte de pince à épiler pourvue de nombreuses pattes, qui se mit à courir comme une araignée le long du bras de Harry et essaya de lui percer la peau. Sirius attrapa l’objet et l’écrasa avec un lourd volume intitulé Nobles par nature : une généalogie des sorciers. Il y avait également une boîte à musique d’où s’élevait une mélodie aigrelette et un peu sinistre lorsqu’on la remontait. En l’entendant, ils se sentirent étrangement faibles et somnolents jusqu’à ce que Ginny ait le bon sens de refermer le couvercle. Ils trouvèrent aussi un lourd médaillon que personne ne parvint à ouvrir, un bon nombre de sceaux anciens et enfin, dans une boîte poussiéreuse, une médaille de l’Ordre de Merlin, première classe, qui avait été décernée au grand-père de Sirius pour « services rendus au ministère ».
– Ça veut dire qu’il leur a donné un tas d’or, commenta Sirius avec mépris en jetant la médaille dans le sac.
À plusieurs reprises, Kreattur se glissa dans la pièce et tenta d’emporter des objets en les dissimulant sous son pagne. Chaque fois qu’il se faisait prendre, on l’entendait marmonner d’épouvantables malédictions. Lorsque Sirius lui arracha un anneau d’or qui portait les armoiries des Black, Kreattur éclata en sanglots furieux et quitta la pièce en pleurant et en grommelant à l’adresse de son maître des injures que Harry n’avait encore jamais entendues.
– Cet anneau appartenait à mon père, dit Sirius en l’expédiant dans le sac. Kreattur ne lui était pas aussi dévoué qu’à ma mère mais je l’ai quand même surpris la semaine dernière en train de serrer contre lui un de ses vieux pantalons.
Dans les jours qui suivirent, Mrs Weasley continua à les faire travailler dur. Il fallut trois jours pour assainir le salon. Finalement, il ne resta plus que deux éléments indésirables : la tapisserie représentant l’arbre généalogique de la famille Black, impossible à décrocher en dépit de tous leurs efforts, et le secrétaire qui continuait d’émettre des bruits suspects. Maugrey n’était pas encore repassé par le quartier général, ils ne savaient donc toujours pas avec certitude ce qui s’y cachait.
Ils passèrent du salon à une salle à manger du rez-de-chaussée où ils trouvèrent des araignées grandes comme des soucoupes cachées dans le buffet (Ron s’empressa de quitter la pièce pour aller faire du thé et ne revint qu’au bout d’une heure et demie). Sirius jeta sans cérémonie dans un sac-poubelle la vaisselle de porcelaine qui portait les armoiries et la devise des Black. Le même sort frappa une série de photos anciennes, conservées dans des cadres d’argent terni, et dont les sujets poussèrent de petits cris aigus lorsque le verre qui les protégeait se brisa dans leur chute.
Rogue pouvait toujours parler de « nettoyage » mais, aux yeux de Harry, il s’agissait en fait d’une véritable guerre menée contre la maison qui opposait une résistance acharnée, encouragée et soutenue par Kreattur. L’elfe ne cessait d’apparaître partout où ils se trouvaient, ses marmonnements devenant de plus en plus injurieux tandis qu’il s’efforçait d’arracher ce qu’il pouvait aux sacs-poubelle. Sirius alla jusqu’à le menacer de lui donner un vêtement mais Kreattur le fixa d’un regard larmoyant et dit :
– Le maître fait ce que le maître désire, avant de tourner les talons en marmonnant d’une voix forte : Mais le maître ne renverra pas Kreattur parce que Kreattur sait très bien ce qui se prépare ! Oh oui, le maître complote contre le Seigneur des Ténèbres avec ces Sang-de-Bourbe, ces traîtres, toute cette vermine…
Sur quoi, Sirius, sans prêter attention aux protestations d’Hermione, saisit Kreattur par son pagne et le jeta hors de la pièce.
La cloche de la porte d’entrée retentissait plusieurs fois par jour. Chaque fois, la mère de Sirius se mettait à hurler et Harry et les autres se précipitaient pour essayer d’entendre ce que disait le visiteur. Mais ils n’arrivaient pas à glaner grand-chose des images fugitives et des bribes de conversation qu’ils surprenaient car Mrs Weasley les rappelait aussitôt à leurs tâches. Rogue fit encore quelques allées et venues mais, au grand soulagement de Harry, ils ne se retrouvèrent jamais face à face. Harry aperçut également le professeur McGonagall qui enseignait la métamorphose à Poudlard. Elle était vêtue d’une robe et d’un manteau moldus qui lui donnaient une allure très étrange et paraissait elle aussi trop occupée pour s’attarder dans la maison. Parfois, cependant, l’un des visiteurs restait pour les aider.
Ainsi, Tonks se joignit à eux lors d’un après-midi mémorable au cours duquel ils découvrirent une vieille goule meurtrière qui se cachait dans les toilettes du dernier étage. Lupin, qui habitait dans la maison avec Sirius mais partait pendant de longues périodes pour accomplir de mystérieuses missions au service de l’Ordre, les aida à réparer une horloge de grand-mère qui avait pris la désagréable habitude de jeter de gros boulons sur quiconque passait à proximité. Mondingus remonta légèrement dans l’estime de Mrs Weasley en sauvant Ron de l’attaque d’une collection de vieilles robes pourpres qui avaient essayé de l’étrangler lorsqu’il les avait sorties d’une armoire.
En dépit d’un sommeil agité, toujours peuplé des mêmes rêves de couloirs et de portes verrouillées qui provoquaient des picotements le long de sa cicatrice, Harry, pour la première fois depuis le début de l’été, parvint à s’amuser un peu. Tant qu’il était occupé, il se sentait heureux. Mais, lorsque le rythme de ses activités se relâchait, lorsqu’il baissait la garde ou restait allongé sur son lit, épuisé, à regarder passer des ombres au plafond, sa convocation au ministère lui revenait en tête. La peur lui perçait les entrailles comme des aiguilles quand il se demandait ce qui se passerait s’il était vraiment renvoyé de Poudlard. C’était une idée si effrayante qu’il n’osait pas en parler à voix haute, pas même à Ron et à Hermione. Respectant ce silence, eux aussi s’abstenaient d’aborder le sujet bien que Harry les vît parfois chuchoter tous les deux en lui jetant des regards inquiets. Par moments, son imagination lui montrait malgré lui un fonctionnaire sans visage qui cassait sa baguette en deux et lui ordonnait de retourner vivre chez les Dursley… Mais il n’obéirait pas. Il était décidé à rester ferme sur ce point. Il reviendrait ici, square Grimmaurd, pour vivre avec Sirius.