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— Un sac que je vais pas au tapis le premier, Myriam…

J’ai pas besoin de regarder où est le .44. Je sens où il est. Je laisse pendre les bras, les épaules basses et les doigts souples.

— Tenu, je l’entends dire au fond d’un puits.

Elle a changé. Elle est dure, sûre d’elle et en même temps amère, mortellement amère et fatiguée. J’essaie pas d’argumenter, de savoir pourquoi et comment, ni de quel côté elle a joué sa partie, ni depuis quand. J’essaie de pas penser non plus au dégât que ça va faire, du .44 Magnum, pas tellement à l’entrée mais dans son dos à la sortie, le fracas…

Elle glisse l’étui dans sa poche. Elle me regarde.

Maintenant.

J’aurais jamais eu le temps, jamais. J’ai les semelles collées au sol, les deux, à plat. Elle rit comme on pleure en se déchirant et elle m’envoie le pistolet en travers de l’estomac ; j’arrive à peine à la bloquer, elle renverse la tête en arrière comme si elle hurlait mais pas un son ne sort de sa bouche, ou alors je l’entends pas ; de chaque côté de son cou, les tendons, les muscles saillent comme des cordages prêts à casser.

Je m’approche, comme un somnambule, je m’approche. Elle ne bouge pas : elle reste où elle est, elle se contente de baisser la tête, de me regarder.

J’aurais jamais eu le temps parce que je n’aurais pas fait un geste, elle ne le sait pas, mais moi je le sais : j’aurais pas tiré. Je me passe la main sur la figure, peut-être pour y effacer quelque chose que je veux pas qu’elle voie. Je m’approche encore, je la prends par les cheveux.

Elle pose les deux paumes à plat contre ma poitrine, pas pour me repousser, elle crispe son visage.

— J’aurais pu te descendre, chérie, je dis en tâtonnant.

— C’est peut-être ce que je voulais.

Je fourre le pistolet dans ma ceinture, derrière. Je sais que je lui fais mal, je sais aussi qu’on n’a pas le temps, qu’on a autre chose à foutre. Je sais aussi qu’elle n’a rien sous la robe. J’avance et elle recule jusqu’au moment où elle sent le mur contre son dos.

Je prends même pas le temps de défaire les boutons, je lui remonte la robe par en dessous, devant, presque jusqu’au nombril, je lui prends les hanches à pleines mains, elle s’adosse en écartant les genoux.

— Simon, elle gémit, Simon…

En même temps, ses doigts s’affairent fébrilement.

On entend l’eau qui goutte des chéneaux ; le reste, c’est du silence meublé par deux souffles qui se cherchent et se calment, mais pas très vite. Elle m’a ouvert la chemise, elle a posé ses lèvres contre ma peau ; elles sont souples et brûlantes, faites pour dire et faire des millions de choses, merveilleusement vivantes.

J’essaie de pas écouter ce qu’elles me racontent.

Il reste un truc.

Peut-être pas le plus marrant.

Je l’emmène au sous-sol en la tirant par le bras. C’est la puanteur qui nous accueille, une odeur collante et vaguement sucrée, douceâtre, gonflée, le genre d’odeur qui s’insinue partout et imprègne les fringues. Il y a des soupiraux plus ou moins grillagés ; de place en place, je balaie le passage devant avec la torche.

La resserre à charbon est au fond, une porte en bois à claire-voie. On avance et, brusquement, quelque chose nous déboule dans les jambes en couinant. Myriam hurle ; ça me remplit les oreilles : un hurlement strident ; je pousse la porte du pied, je braque la torche au petit bonheur.

Un tas de charbon.

Ce qui a été une jambe.

J’ai jamais vu un tas de charbon grouiller. Le cri monte jusqu’au toit, il rebondit contre les murs. Ils sont une bonne vingtaine, des gros à la queue longue et luisante et aux yeux couleur de haine, une vingtaine à s’arracher quelque chose qui a été un homme dans un passé pas trop lointain, c’est tout juste s’ils font gaffe à nous, des importuns qui viennent foutre le boxon dans leur raout. La gosse a la main devant la bouche et je ris, je ris comme un dingue ; je suis sûr que Verlaine apprécierait la blague. Bouffé par les rats… Une sacrée blague… Nettoyé jusqu’à l’os…

Je me marre et en même temps je pense à sortir le Browning, à tirer dans le tas, à les envoyer au diable, à les écrabouiller, Je lâche la gosse, je vais les négocier à coups de torche, à coups de godasses, je me marre toujours, de plus en plus fort, je suis complètement bourré de haine, je sens les ongles de la gosse dans mon épaule, elle me tire, j’ai la torche dans la main droite, le Browning dans la gauche.

— Non, Simon ! elle hurle.

Je la secoue ; je sens qu’elle trébuche. J’abaisse le museau du Browning sur le tas, à pas trois mètres. Une jambe de treillis ; le jaune, c’est les tendons. Merde ! elle s’accroche à moi…

Quand je reviens dans l’axe, on est en train de se tirer à reculons ; on remonte les marches, je verrouille la porte, Myriam s’abat contre moi, elle pleure, elle pleure, elle m’embrasse la figure, elle bafouille des trucs parfaitement incohérents ; je me sens aussi crevé, aussi vidé, que si j’avais trop baisé. Je balance la torche au hasard, je prends la gosse à la taille et on se tire.

Dans la voiture, elle me rend l’étui. Entre les nuages, du côté du couchant, il y a une grande déchirure d’un bleu lavé et du soleil frais et limpide darde ses grands rayons roux droit devant lui.

On abandonne la 504 sur le parking de la gare. J’ai laissé le .44 et les papiers de Guyenne sous le siège du conducteur, et j’ai rangé la voiture bien en vue sous le nez des flics qui font la circulation, le soir, devant la salle des pas perdus.

18

Une heure après, il y a un express pour Paris, avec supplément. Je prends deux premières, j’acquitte le supplément, je chinoise juste assez pour que la fille se rappelle éventuellement un grand escogriffe avec une sale gueule et des cheveux blancs, flanqué d’une jolie petite à la robe froissée, je paie avec du fric que je tire d’une liasse de billets de cinq cents balles.

La fille, c’est une Antillaise maigre dont les yeux rougeâtres disent clairement qu’elle en a vu d’autres et ça m’évite d’en remettre.

On se dirige vers les quais, on descend dans le passage souterrain, seulement on ressort par les arrivées. Au volant de sa Mercedes, il y a un maigrichon qui s’emmerde à cent sous de l’heure, le drapeau en bas. Il glisse sa revue de sports cérébraux sous le pare-soleil, on charge les sacs dans le coffre et il profite de ce qu’il est penché pour jeter un regard par en dessous aux jambes de la gosse.

Il a trop de dents en or pour être vraiment dangereux. On monte, il se retourne à peine, en rallumant une Gitane maïs avec son zipo :

— Où c’est qu’on vous amène ?

— À Lyon, je rigole.

Au risque de se bousiller la colonne, il se retourne d’un coup. J’ai un bras autour des épaules de la gosse, l’autre libre. Je cherche dans la poche de poitrine de ma chemise.

— Ça va vous coûter les yeux de la tête. En plus, faut que j’avertisse le standard…

Je ressors la liasse, j’en détache deux belles images, je les fourre dans son col. Il les prend avec précaution, il les défroisse.