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Le père de Lorchen la tirait par le bras; il était hors de lui et criait:

– Tais-toi! tais-toi!… Te tairais-tu, bougre de chienne!

Mais elle le repoussa, et continua, de plus belle. Les paysans vociféraient. Elle criait plus fort qu’eux, d’une voix aiguë, qui crevait le tympan:

– D’abord, toi, qu’est-ce que tu as à dire? Tu crois que je ne t’ai pas vu tout à l’heure piler à coups de talons celui-là qui est quasi comme mort dans la chambre à côté? Et toi, montre un peu tes mains!… Il y a encore du sang dessus. Tu crois que je ne t’ai pas vu avec ton couteau? Je dirai tout ce que j’ai vu, tout, si vous faites la moindre chose contre lui. Je vous ferai tous condamner.

Les paysans, exaspérés, approchaient leur figure furieuse de la figure de Lorchen, et lui braillaient au nez. Un d’eux fit mine de la calotter; mais le bon ami de Lorchen le saisit au collet, et ils se secouèrent tous deux, prêts à se rouer de coups. Un vieux, dit à Lorchen:

– Si nous sommes condamnés, tu le seras aussi.

– Je le serai aussi, fit-elle. Je suis moins lâche que vous.

Et elle reprit sa musique.

Ils ne savaient plus que faire. Ils s’adressaient au père:

– Est-ce que tu ne la feras pas taire?

Le vieux avait compris qu’il n’était pas prudent de pousser à bout Lorchen. Il leur fit signe de se calmer. Le silence tomba. Lorchen seule continua de parler; puis, ne trouvant plus de riposte, comme un feu sans aliment, elle s’arrêta. Après un moment, son père toussota, et dit:

– Eh bien, donc; qu’est-ce que tu veux? Tu ne veux pourtant pas nous perdre?

Elle dit:

– Je veux qu’on le sauve.

Ils se mirent à réfléchir. Christophe n’avait pas bougé de place: raidi dans son orgueil, il semblait ne pas entendre qu’il s’agissait de lui; mais il était ému de l’intervention de Lorchen. Lorchen ne paraissait pas davantage savoir qu’il était là: adossée à la table où il était assis, elle fixait d’un air de défi les paysans, qui fumaient, en regardant à terre. Enfin, son père, après avoir mâchonné sa pipe, dit:

– Qu’on dise ou qu’on ne dise pas quelque chose, – s’il reste, son affaire est claire. Le maréchal des logis l’a reconnu: il ne lui fera pas grâce. Il n’y a qu’un parti pour lui, c’est qu’il file tout de suite, de l’autre côté de la frontière.

Il avait réfléchi qu’après tout, il serait plus avantageux pour eux que Christophe se sauvât: il se dénonçait ainsi lui-même; et, quand il ne serait plus là pour se défendre, on n’aurait pas de peine à se décharger sur lui de tout le gros de l’affaire. Les autres approuvèrent. Ils se comprenaient parfaitement. – Maintenant qu’ils étaient décidés, ils avaient hâte que Christophe fût déjà parti. Sans manifester aucune gêne de ce qu’ils avaient dit, un moment avant, ils se rapprochèrent de lui, feignant de s’intéresser vivement à son salut.

– Pas une minute à perdre, monsieur, dit le père de Lorchen. Ils vont revenir. Une demi-heure pour aller au fort. Une demi-heure pour retourner… Il n’y a que le temps de filer.

Christophe s’était levé. Lui aussi avait réfléchi, Il savait que s’il restait, il était perdu. Mais partir, partir sans revoir sa mère?… Non, ce n’était pas possible. Il dit qu’il retournerait d’abord en ville, qu’il aurait encore le temps d’en repartir dans la nuit, et de passer la frontière. Mais ils poussèrent les hauts cris. Tout à l’heure, ils lui avaient barré la porte, pour l’empêcher de fuir: maintenant, ils s’opposaient à ce qu’il ne prît pas la fuite. Rentrer en ville, c’était se faire pincer, à coup sûr: avant qu’il fût seulement arrivé, on serait prévenu là-bas; on l’arrêterait chez lui. – Il s’obstinait. Lorchen l’avait compris:

– C’est votre maman que vous voulez voir?… J’irai à votre place.

– Quand?

– Cette nuit.

– C’est vrai? Vous feriez cela?

– J’y vais.

Elle prit son fichu, et s’en enveloppa.

– Écrivez quelque chose, je lui porterai… Venez par ici je vais vous donner de l’encre.

Elle l’entraîna dans la pièce du fond. Sur le seuil, elle se retourna; et, apostrophant son galant:

– Et toi, prépare-toi, dit-elle, c’est toi qui le conduiras. Tu ne le quitteras pas, que tu ne l’aies vu de l’autre côté de la frontière.

– C’est bon, c’est bon fit l’autre.

Il avait aussi hâte que quiconque de savoir Christophe en France, et même plus loin, s’il était possible.

Lorchen entra avec Christophe dans l’autre pièce. Christophe hésitait encore. Il était déchiré de douleur, à la pensée qu’il n’embrasserait plus sa mère. Quand la reverrait-il? Elle était si vieille, si fatiguée, si seule! Ce nouveau coup l’achèverait. Que deviendrait-elle sans lui?… Mais que deviendrait-elle, s’il restait, s’il se faisait condamner, enfermer pendant des années? Ne serait ce pas plus sûrement encore pour elle l’abandon, la misère? Libre du moins, si loin qu’il fût, il pouvait lui venir en aide, elle pouvait la rejoindre. – il n’eut pas le temps de voir clair dans ses pensées. Lorchen lui avait pris les mains; debout, près de lui, elle le regardait; leur figure, se touchait presque; elle lui jeta les bras autour du cou, et lui baisa la bouche:

– Vite! vite! dit-elle tout bas, en lui montrant la table.

Il ne chercha plus à réfléchir. Il s’assit. Elle arracha à un livre de comptes une feuille de papier quadrillé, avec des barres rouges.

Il écrivit:

«Ma chère maman. Pardon! Je vais te causer une grande peine. Je ne pouvais agir autrement. Je n’ai rien fait d’injuste. Mais maintenant, je dois fuir, et quitter le pays. Celle qui te portera ce mot te racontera tout. Je voulais te dire adieu. On ne veut pas. On prétend que je serais arrêté avant. Je suis si malheureux que je n’ai plus de volonté. Je vais passer la frontière, mais je resterai tout près, jusqu’à ce que tu m’aies écrit; celle qui te remet ma lettre me rapportera ta réponse. Dis-moi ce que je dois faire. Quoi que tu me dises, je le ferai. Veux-tu que je revienne? Dis-moi de revenir! Je ne puis supporter l’idée de te laisser seule. Comment feras-tu pour vivre? Pardonne-moi! Pardonne-moi! Je t’aime et je t’embrasse…»

– Dépêchons-nous, monsieur; sans quoi, il Serait trop tard, dit le bon ami de Lorchen, en entr’ouvrant la porte.

Christophe signa hâtivement, et donna la lettre à Lorchen:

– Vous la remettrez vous-même?

– J’y vais, dit-elle.

Elle était déjà prête à partir.

– Demain, continua-t-elle, je vous porterai la réponse: vous m’attendrez à Leiden, – (la première station, au sortir d’Allemagne) – sur le quai de la gare.

(La curieuse avait lu la lettre de Christophe, par-dessus son épaule, tandis qu’il écrivait.)