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Adamsberg prit un peigne sur la table de nuit et entreprit de la coiffer, une main restant appliquée sur son visage. Danglard s’assit sur la seule chaise de la chambre, s’attendant à une longue séance. Adamsberg ne renoncerait pas facilement à la vieille dame. Le médecin quitta la pièce avec un haussement d’épaules puis repassa une heure et demie plus tard, intrigué par l’intensité que mettait ce policier à ramener Léone vers lui. Danglard surveillait lui aussi Adamsberg, qui continuait à parler inlassablement, et dont le visage avait pris cette lueur qu’il connaissait bien en certains états rares de concentration, comme si le commissaire avait avalé une lampe qui diffusait sa lumière sous la peau brune.

Sans se retourner, Adamsberg étendit un bras vers le médecin pour empêcher toute intervention. Sous sa main, la joue de Léone était toujours aussi froide, mais les lèvres avaient bougé. Il fit signe à Danglard de se rapprocher. Un mouvement des lèvres à nouveau, puis un son.

— Danglard, vous avez bien entendu « hello » ? Elle a dit « hello », non ?

— Ça y ressemblait.

— C’est sa manière de saluer. Hello, Léo. C’est moi.

— Hello, répéta la femme de manière plus distincte. Adamsberg enveloppa sa main dans ses doigts, la secoua un peu.

— Hello. Je vous entends, Léo.

— Flem.

— Flem va bien, il est chez le brigadier Blériot.

— Flem.

— Il va bien. Il vous attend.

— Sucre.

— Oui, le brigadier lui en donne tous les jours, assura Adamsberg sans savoir. Il est très bien traité, on s’occupe bien de lui.

— Hello, reprit la femme.

Puis ce fut tout. Les lèvres se refermèrent et Adamsberg comprit qu’elle était au terme de son effort.

— Mes compliments, dit le médecin.

— De rien, répondit Adamsberg sans réfléchir. Pourriez-vous m’appeler si elle manifeste la moindre intention de communiquer ?

— Laissez-moi votre carte et n’espérez pas trop. C’est peut-être son dernier sursaut.

— Vous ne cessez, docteur, de l’enterrer avant son heure, dit Adamsberg en se dirigeant vers la porte. Rien ne vous presse, si ?

— Je suis gériatre, je connais mon métier, répondit le médecin en serrant les lèvres.

Adamsberg nota son nom inscrit sur son badge — Jacques Merlan — et quitta les lieux. Il marcha en silence jusqu’à la voiture et laissa Danglard prendre le volant.

— Où va-t-on ? demanda Danglard en mettant le contact.

— Je n’aime pas ce médecin.

— Il a des excuses. Ce n’est pas amusant de s’appeler Merlan.

— Ça lui va très bien. Pas plus d’émotion qu’un banc de poissons.

— Vous ne m’avez pas dit où on allait, dit Danglard qui conduisait au hasard dans les petites rues du bourg.

— Vous l’avez vue, Danglard. C’est comme un œuf qu’on a lancé par terre, et écrasé.

— Oui, vous me l’aviez dit.

— On va chez elle, à l’ancienne auberge. Prenez à droite.

— C’est curieux qu’elle dise « hello » pour dire bonjour.

— C’est de l’anglais.

— Je sais, dit Danglard sans insister.

Les gendarmes d’Ordebec avaient fait rapidement les choses et la maison de Léo avait été remise en ordre après inspection. Le sol de la salle avait été nettoyé et, s’il restait du sang, il avait été absorbé par les vieux carreaux rougeâtres. Adamsberg réintégra la chambre où il avait dormi pendant que Danglard s’en attribuait une à l’autre extrémité du bâtiment. En répartissant ses quelques affaires, le commandant guettait Adamsberg à travers la fenêtre. Il était assis en tailleur au milieu de la cour de ferme, sous un pommier penché, les coudes sur les cuisses et la tête baissée, et ne semblait pas avoir l’intention de bouger de là. De temps en temps, il attrapait quelque chose qui semblait l’agacer sur sa nuque.

Un peu avant 8 heures, sous le soleil déjà déclinant, Danglard s’approcha de lui, projetant son ombre aux pieds du commissaire.

— C’est l’heure, dit-il.

— Du Sanglier bleu, dit Adamsberg en levant la tête.

— Il n’est pas bleu. Ça s’appelle le Sanglier courant.

— Ça court, un sanglier ? demanda Adamsberg en tendant sa main vers le commandant pour se relever.

— Jusqu’à trente-cinq kilomètres à l’heure, je crois. Je ne connais pas grand-chose aux sangliers. Sauf qu’ils ne transpirent pas.

— Comment font-ils ? demanda Adamsberg en frottant son pantalon, sans s’intéresser à la réponse.

— Ils se souillent dans l’eau boueuse pour se rafraîchir.

— C’est comme ça qu’on peut voir l’assassin. Une bête souillée de quelque deux cents kilos, et qui ne transpire pas. Il va abattre son travail sans remuer un cil.

XXI

Danglard avait réservé une table ronde et il s’y assit avec satisfaction. Ce premier repas à Ordebec, dans un vieux restaurant aux poutres basses, marquait une pause dans ses appréhensions. Zerk les rejoignit à l’heure et leur adressa un léger clignement d’œil pour faire comprendre que tout allait bien dans la maison des bois. Adamsberg avait à nouveau insisté pour qu’Émeri les rejoigne et le capitaine avait finalement accepté.

— Le Pigeon a beaucoup aimé l’idée du pigeon, dit Zerk à Adamsberg à voix basse et naturelle, je les ai laissés en grande conversation. Hellebaud adore quand le Pigeon fait du yo-yo. Quand la bobine se pose au sol, il la picore de toutes ses forces.

— J’ai l’impression qu’Hellebaud s’éloigne de son chemin de nature. On attend le capitaine Émeri. C’est un grand type martial et blond à l’uniforme impeccable. Tu l’appelleras « capitaine ».

— Très bien.

— Il est le descendant du maréchal Davout, un type sous Napoléon qui n’a jamais été vaincu, et il y tient beaucoup. Pas de gaffe là-dessus.

— Ça ne risque pas.

— Ils entrent. Le type brun et gros qui l’accompagne, c’est le brigadier Blériot.

— Je l’appelle brigadier.

— Exactement.

Dès les entrées servies, Zerk commença à manger avant tous les autres, comme Adamsberg avait eu l’habitude naturelle de le faire avant que Danglard ne lui inculque les rudiments du savoir-vivre. Zerk faisait également trop de bruit en mâchant, il faudrait qu’il le lui signale. Il n’avait pas remarqué cela à Paris. Mais dans l’ambiance un peu guindée de ce début de soirée, il avait l’impression qu’on n’entendait que son fils.

— Comment va Flem ? demanda Adamsberg au brigadier Blériot. Léo a réussi à me parler aujourd’hui. Son chien la préoccupe.

— Parlé ? s’étonna Émeri.

— Oui. Je suis resté presque deux heures auprès d’elle, et elle a parlé. Le médecin, celui qui se nomme plus ou moins Flétan, n’a même pas paru satisfait. Ma méthode n’a pas dû lui plaire.

— Merlan, glissa Danglard.

— Vous avez attendu tout ce temps pour m’en parler ? dit Émeri. Qu’est-ce qu’elle a dit, bon sang ?

— Très peu de choses. Elle a dit bonjour plusieurs fois. Puis « Flem », et « sucre ». C’est tout. Je lui ai assuré que le brigadier donnait un sucre au chien tous les jours.

— Et je le fais, confirma Blériot, bien que je sois contre. Mais Flem se poste devant la boîte à sucre tous les soirs à 6 heures. Il possède l’horloge interne des intoxiqués.

— Tant mieux. Je n’aurais pas aimé mentir à Léo. Dès l’instant où elle parle, dit Adamsberg en se tournant vers Émeri, je crois prudent de placer une surveillance devant sa chambre.