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L’image d’Oliveira passa devant ses yeux et il appuya encore plus fort.

Malko ne serait pas le premier suspect décédé au cours d’un interrogatoire. De la clinique réquisitionnée, la D. I. N. A. n’avait conservé qu’un médecin. Bien utile pour signer des certificats de décès circonstanciés. Style arrêt du cœur. Sans préciser la cause, bien entendu.

Le corps de Malko eut un spasme furieux. Il venait d’avaler une grande goulée de pétrole.

* * *

Le colonel Federico O’Higgins était en train de changer la pile de sa bouillotte quand le téléphone sonna. Il décrocha de la main gauche. La droite le faisait de plus en plus souffrir. Livide, elle était recroquevillée comme une serre d’animal, les ongles bleuis. Entendant la voix de Jorge Cortez, il lui demanda de patienter quelques secondes et remit son gant de laine. Puis il reprit l’appareil.

Tout de suite son visage se figea, en écoutant le diplomate. Il répondit par monosyllabes, ne s’engageant pas, écoutant le Dominicain jusqu’au bout.

Puis, très poliment, il lui expliqua qu’il s’agissait très certainement d’un canular, d’une mauvaise plaisanterie… Qu’il le verrait le lendemain au Club et qu’ils en riraient ensemble. Mais Jorge Cortez n’avait pas l’air disposé à rire. Quand il mentionna le nom de David Wise, Federico O’Higgins se retint pour ne pas raccrocher et lui envoyer une équipe de la D. I. N. A. il y avait encore de la place dans les camps et dans les cimetières. Il fit un effort surhumain pour continuer d’une voix mondaine, plaisantant même. Assura qu’il allait se renseigner néanmoins. En raison de leurs excellents rapports. Mais qu’il n’y avait sûrement RIEN de vrai dans toute cette histoire. Dès qu’il eut raccroché, il poussa un grognement de rage, donna un coup de pied dans la corbeille à papier et commença à faire les cent pas dans son bureau, serrant la bouillotte japonaise à la briser.

Le salaud !

Il en bavait de rage. En confiant le message à un diplomate, Malko le mettait à l’abri des représailles de la D. I. N. A. Même le colonel O’Higgins ne pouvait pas faire arrêter le Premier Conseiller de l’ambassade dominicaine. Pas avec la réputation du Chili. Il se rassit, donna quelques coups de téléphone, fit le point…

Il avait très peu de temps pour agir. Ensuite, le processus serait irréversible. Il décrocha son téléphone et composa un numéro de son index mort.

La main qui appuyait sur la tête de Malko agrippa ses cheveux et le tira soudain vers le haut. Suffocant, mais encore conscient, il se dit qu’enfin la « Cavalerie » arrivait. Sa tête émergea du pétrole, il aspira avidement une bouffée d’air, entendit des voix qui vociféraient, des cris, des interjections furieuses. Puis il se mit à vomir et tout le reste lui fut égal. Il eut l’impression qu’il s’écoulait un temps infiniment long avant que des mains ne le soulèvent, ne l’arrachent à la baignoire et ne le jettent par terre. Ses yeux collés par le pétrole l’empêchaient de voir clairement. Il distinguait seulement des silhouettes. Quelqu’un jura en essayant de le prendre. Finalement, on le tira par les pieds dans une pièce voisine et on défit ses menottes.

Presque aussitôt, un violent jet d’eau le frappa en plein visage. Suffoquant de nouveau, il toussa, se débattit, le jet descendit sur tout le corps. On essayait de laver le pétrole. Ensuite, avec des chiffons, on le frotta vigoureusement, lui nettoyant surtout les yeux et le visage. Enfin, il put voir. Il se trouvait assis à même le sol d’une pièce carrelée. Deux carabinieros en manches de chemise, l’air dégoûté, le nettoyaient avec des éponges. Enfin, on lui jeta une serviette humide.

Il fit un effort prodigieux pour se mettre debout, s’appuya au mur et eut un vertige. Les carabiniers le regardèrent en ricanant.

— On se sent mieux après un bain, hein !

Il préféra ne pas répondre. Si on l’avait sorti du pétrole, c’est que son plan avait marché. Mentalement il bénit Jorge Cortez. Le diplomate avait tenu sa promesse. Sinon, Malko serait en train de mourir, les poumons pleins de pétrole. Une femme sans âge entra dans la pièce et lui tendit ses vêtements. Après lui avoir fait signer une décharge. La légalité ne perdait pas ses droits. Il se rhabilla tant bien que mal… Regarda sa montre. Neuf heures dix. Cela avait passé vite.

Un civil, le visage impénétrable, l’attendait dans le couloir du rez-de-chaussée. Il se leva en l’apercevant.

— Señor, j’ai l’ordre de vous conduire chez le colonel O’Higgins.

Malko sortit le premier de la « clinique » et s’arrêta sur le pas de la porte pour humer l’air frais. Un fourgon Chevrolet noir et blanc était stationné derrière l’ambulance. La Datsun avait disparu. Malko monta dans le Chevrolet. Aussitôt, le civil grimpa à côté de lui et prit le volant. L’arrière était séparé de la cabine par un épais grillage. Des lanières pendaient des parois. Le Chevrolet roulait rapidement. D’elles-mêmes, les voitures s’écartaient devant lui. Seule la D. I. N. A. utilisait ce genre de véhicule… Ils montèrent Providencia sans un mot, pénétrèrent dans le Barrio Alto, dans le dédale de petites allées cossues, pour finalement s’arrêter dans une courbe, en face d’une maison basse entourée d’un jardin.

— C’est ici, señor, dit le civil.

Malko descendit. Il avait hâte de se retrouver en face de John Villavera. La porte s’ouvrit sur l’Américain. Le visage grave. Lui et Malko se toisèrent quelques secondes, puis le premier dit avec une chaleur un peu forcée :

— Je suis heureux que vous ne soyez pas trop mal en point.

Ignorant la main tendue, Malko le toisa. Glacial.

— Je crois que vous avez un certain nombre d’explications à me donner.

L’Américain secoua la tête, les traits figés d’un coup. S’effaça pour laisser entrer Malko.

— Le colonel Federico O’Higgins est ici, annonça-t-il à Malko qui sentit une sainte colère l’envahir.

— Je suis ravi de me retrouver en face de cette ordure, dit-il.

Ivre de rage, il entra dans le living. L’officier chilien était assis sur un fauteuil, sa main droite serrée sur sa bouillotte. Il esquissa un pâle sourire gêné et dit d’une voix douce :

— Je comprends votre irritation, prince Malko, mais vous m’aviez menti également. Vous m’aviez formellement promis de ne plus vous occuper de l’affaire Geranios. (Il soupira.) Je ne fais pas un métier facile.

Malko le coupa, cinglant.

— La plupart des gens qui exerçaient le même métier que vous ont été pendus, colonel.

Le teint de Federico O’Higgins devint encore plus jaunâtre que d’habitude.

— Prince Malko, interrompit John Villavera, ne soyez pas trop dur pour le colonel.

Malko chercha le regard fuyant du Chilien.

— Alors, Tania Popescu s’était évadée ?

Federico O’Higgins baissa les yeux. Avec un sourire bien ignoble :

— Prince Malko, pour des raisons intéressant la sécurité du Chili, personne ne devait savoir que nous détenions toujours cette personne. Le général Pinochet lui-même m’en avait donné l’ordre écrit. J’ai dû mentir à M. Villavera également, comme il pourra vous le dire. Ce n’était pas de gaieté de cœur… Bullshit, fit Malko.