— Je ne l’ai pas fait, hurla Bobinette. Je vous jure…
Mais Fantômas était convaincu que la jeune femme l’avait trahi. Pour une fois son admirable perspicacité se trouvait en défaut. Il ne soupçonnait pas comment Juve avait pu savoir cette adresse. Il était persuadé que seule Bobinette avait pu la fournir, et il dédaigna de répondre directement à la protestation de la jeune femme :
— Tu vas mourir, dit-il… Mais il ne sera pas dit que moi, Fantômas, j’aurai jamais porté la main sur l’un de ceux qui me servent, sur l’un de ceux que j’emploie… tu vas mourir, mais ce ne sera pas de ma main, je te donne à la mort, je ne veux pas te tuer…
***
Bobinette entendait des cloches carillonner. Il semblait à la jeune femme qu’elle ne reposait pas sur le sol, qu’elle était légère, légère… Et puis, tout à coup, Bobinette avait la sensation que rien ne la soutenait plus, qu’elle croulait, qu’elle roulait dans un abîme. Bobinette fit un effort sur elle-même, voulut ouvrir les yeux, tenter un mouvement, elle se dressa, s’assit, souleva ses paupières… elle ne rêvait pas. Bobinette comprit qu’elle s’était évanouie et qu’elle avait imaginé les sensations ressenties la minute d’avant alors qu’elle revenait à la vie peu à peu… Elle revenait à la vie. Cela lui semblait surprenant, au point qu’encore étourdie, elle se demanda si il était bien vrai qu’elle vivait encore. Fantômas l’avait menacée de mort, et elle vivait, cela n’était pas possible. Et ce fut soudain une minute d’angoisse qui la tenaillait. Où était-elle ?
Bobinette se sentait si faible, si étourdie, qu’elle demeura assise, sans tenter un mouvement… Que s’était-il passé exactement ?… Oui ! c’était bien cela… Au moment où Fantômas lui disait qu’elle allait mourir, elle était tombée sur la route, sa jupe était encore mouillée… elle avait froid… mais qu’était-il arrivé depuis ?
Bobinette entendit le vent qui soufflait. La pluie tombait toujours, mais elle remarqua qu’elle ne la recevait plus sur le visage…
— Où suis-je ?
Nette, la réponse à la question lui apparut soudain :
— Fantômas m’a enfermée dans la roulotte, c’est dans la roulotte contre laquelle nous étions appuyés que je suis prisonnière…
Elle tâta le sol autour d’elle… Elle était bien sur un plancher, grossièrement raboté… elle s’agenouilla, elle étendit les bras et heurta une paroi… Vraiment oui, elle était dans la roulotte, elle pouvait craindre que Fantômas soit tout près, elle pouvait redouter son apparition… Elle n’était pas sauvée.
Mais si l’effroi qui avait jeté Bobinette par terre, évanouie, privée de sentiments, avait été terrible, il était moins causé par la crainte de la mort que par la surprise d’être face à face avec Fantômas. Maintenant qu’elle était seule, la jeune femme redevenait maîtresse d’elle-même. Fantômas lui avait dit : « Tu vas mourir ! »
Elle décidait au contraire qu’elle vivrait, qu’elle se sauverait. Il fallait qu’elle échappât…
Bobinette se remettait peu à peu de son malaise. Au fur et à mesure que l’inquiétude la reprenait, elle se sentait plus forte, plus disposée à la lutte aussi.
Elle pensa :
— Si Fantômas était là, je l’entendrais. Il a dû partir ? Il faut que je m’évade de cette prison avant son retour…
Bobinette se leva. La roulotte avait bien une porte, une fenêtre ?… elle réussirait à briser un panneau de bois ? à arracher une grille ? Elle était forte, et c’était sa vie qu’elle défendait.
Bobinette promena ses mains sur la paroi de la voiture. Elle entreprit d’en faire le tour… Il y avait déjà quelques instants qu’elle tâtonnait de la sorte – la roulotte devait être vide, sans aucun meuble, car elle suivait exactement la paroi sans rien rencontrer qui la fît trébucher – lorsque soudain elle sentit que sa main venait de frôler quelque chose d’indéfinissable, de doux, de chaud, qui bougeait.
D’un bond, Bobinette s’était jetée en arrière. Ah çà ! elle était folle ! qu’imaginait-elle ? La jeune femme, après quelques secondes d’attente, s’avança à nouveau… à nouveau ses doigts frôlèrent, quoi ? elle n’aurait su le dire…
Mais tandis qu’elle s’efforçait de définir l’étrange objet que sa main heurtait, voici qu’elle sentait que cet objet se reculait, se dérobait à sa caresse… et soudain la roulotte s’emplissait d’un grognement formidable, terrible, abominable, un grognement qu’elle reconnaissait, qui était la répétition du cri qu’elle avait entendu, une heure avant, dans la nuit, lorsqu’elle se rendait au sinistre rendez-vous. Bobinette faillit mourir d’effroi : elle avait compris, elle avait deviné. Au fond de la roulotte dormait un fauve. C’était un ours qu’elle venait de réveiller. Fantômas l’avait enfermée avec un fauve pour la faire dévorer vive… Blême, retenant sa respiration, pensant mourir de peur, Bobinette s’était reculée à l’extrémité de la roulotte et, de longues heures, elle attendait… Que faire ?
Par bonheur, l’animal avait dû se rendormir. Elle entendait sa respiration lourde et au fur et à mesure que l’air devenait plus rare dans la voiture hermétiquement close, l’odeur de la bête la prenait à la gorge.
— Que faire ?
Et Bobinette terrifiée, toute la nuit, songea :
— Il dort… mais il va se réveiller demain matin, il se jettera sur moi ! je suis perdue !
***
Après des heures interminables d’attente, d’immobilité, de stupide hébétement, devant la mort inévitable, horrible, torturante, on commençait à y voir clair.
Elle avait entendu, peu à peu, décroître la fureur du vent. La pluie s’était arrêtée. Dehors, un petit jour blafard venait de se lever, et dans les parois de bois de la roulotte, de minces lézardes laissaient passer des traits de lumière…
Bobinette vit l’ours se réveiller, se retourner, bâiller et soudain accroupi, la considérer fixement…
— Que faire ? Que faire ?…
Bobinette avait lu jadis qu’il était possible, par le regard, d’effrayer une bête féroce…
Elle s’efforçait de mettre dans ses yeux une énergie farouche, mais, hélas ! elle avait trop peur elle-même, pour pouvoir faire peur au monstre…
L’ours se léchait.
— Que faire ?
De temps à autre Bobinette entendait passer, contre sa prison, de rapides grondements. Elle se rendait compte que c’étaient là des automobiles, qui, sur la grande route, s’en allaient vers Versailles ou vers Paris, dépassant la roulotte abandonnée bien loin de se douter du terrible drame dont elle était le théâtre…
Appeler ?
C’était folie !
Comment supposer qu’on entendrait ses cris ?
Comment supposer que les conducteurs de ces voitures passant à toute vitesse, insoucieux, auraient jamais l’idée de s’arrêter près de la roulotte, de venir lui porter secours ?… Non ! certes, c’était réveiller la colère de l’ours, c’était l’exciter, c’était hâter la mort…
***
— Hue !… sacré carcan !… il est vrai que je dois être un bien mauvais charretier… cette bête n’a pas du tout l’air de me prendre au sérieux !…
Au long de la route de Sceaux, un homme marchait à grands pas, vêtu en habits de travail et conduisant une maigre haridelle, la conduisant d’ailleurs en dépit du bon sens.
— Nom d’un chien ! faisait-il, si je devais aller loin, j’aimerais mieux abandonner mon cheval que de m’obstiner à le diriger… évidemment, je n’ai pas la voix qu’il faut !… Diah !… diah !
Le cheval, malgré l’ordre impératif du charretier, tourna franchement à gauche…
Soudain, l’homme blêmit.
— Ai-je rêvé ? dit-il.
Puis, ayant de nouveau prêté l’oreille, il s’élança au pas de course à travers champs.
— Arriverai-je trop tard ?