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— Là, là, fit la brave femme, vraiment, vous n’êtes pas à prendre avec des pincettes, monsieur Jean, quel caractère, grand Dieu ! Pour ce qui est de m’en fiche, bien sûr que je m’en fiche, si vous allez par là, et si je demande des nouvelles de M. Ronier c’est pas par curiosité, mais histoire de savoir comment il se porte.

Le domestique ne répondait pas. Il venait d’apercevoir à l’extrémité de l’avenue, deux hommes jeunes encore, aux allures d’anciens militaires qui, peu à peu, se rapprochaient de lui.

— Voilà les neveux de Monsieur, fit-il, d’un ton plus doux, en s’adressant à la marchande de lait.

Mais celle-ci, après s’être arrêtée un instant, poussa sa voiturette dont les cahots de la route firent tinter les bouteilles.

Les deux hommes que Jean avait qualifiés de « neveux de son patron », firent un petit salut amical et protecteur au serviteur bourru, puis franchirent la grille de la villa et, en habitués qui connaissent les aîtres, entrèrent dans la maison.

Cependant qu’ils étaient leur pardessus, l’un d’eux dit à son compagnon :

— Vraiment, cela me fait de la peine chaque fois que je viens ici pour le voir. Quand je pense que c’était un homme si actif, si vivant, et que depuis plus de trois mois son état n’a fait qu’empirer.

— Comme c’est vrai, mon cher Léon, le patron ne va pas bien.

— Ah Michel, ce que c’est que de nous. Un mauvais coup, comme ça, ramassé au hasard et vous voilà cloué sur un lit, immobilisé, paralysé.

— L’esprit est encore bon, l’intelligence toujours ouverte, vive.

— Oui, mais les jambes ? plus rien à faire.

Les deux hommes montèrent au premier étage, frappèrent à la porte. Une voix puissante leur répondit :

— Entrez.

Ils pénétrèrent tous deux dans une vaste chambre au milieu de laquelle se trouvait un grand lit où était étendu un homme au visage énergique, au teint coloré, à la chevelure grisonnante. Était-ce bien l’oncle de ces deux jeunes gens, comme l’avait dit le domestique ?

Ces derniers, en effet, à peine dans la chambre, esquissaient une sorte de salut militaire, et d’un ton à la fois joyeux et respectueux ils s’écrièrent :

— Bonjour Juve, comment allez-vous ?

C’était Juve, en effet, étendu sur son lit de malade. Juve que son domestique, fidèle à la consigne, déclarait à tout venant s’appeler M. Ronier et dont les neveux n’étaient autres que les inspecteurs de la Sûreté, ses jeunes collègues, Léon et Michel. Qu’était-il donc advenu à Juve ? Pourquoi le vaillant lutteur se trouvait-il ainsi terrassé par le mal, étendu sur un lit, véritable loque humaine ?

Quelques mois auparavant, alors que Juve et Fandor poursuivaient Fantômas et finissaient par le démasquer à l’agence Thorin, le bureau de placement où les domestiques étaient cambrioleurs et assassins, Fantômas, patron de cet affreux établissement, avait, au cours d’une lutte, frappé Juve, à la tête, d’un coup de manche de poignard. Longtemps le sympathique policier était resté sans connaissance. Puis il avait éprouvé des troubles dans les centres nerveux. Les médecins qui le soignaient avaient diagnostiqué une paralysie momentanée qui, disaient-ils, ne tarderait pas à disparaître. Les jours s’étaient écoulés. L’état général de Juve redevenait excellent, mais, hélas, ses membres lui refusaient tout service. Les jambes ne le soutenaient plus, c’est à peine s’il pouvait se servir de ses bras, et avec quelle difficulté.

Ah, le coup avait été terrible pour le vaillant policier, et dans son entourage on avait été atterré de le voir ainsi. Fandor, l’inséparable de Juve, atteint d’une dépression, avait disparu de Paris.

Quant à Juve, il n’avait pas craint, chose incompréhensible, extraordinaire, de donner tout d’abord une très grande publicité à son état de santé. Il avait dicté lui-même des bulletins de santé où il ne se ménageait pas. Était-ce là une folie de malade ? Jusqu’au jour où Juve avait interdit de donner le moindre renseignement sur son compte, avait quitté Paris, s’était fait transporter à Saint-Germain, dans une petite villa qu’il louait et où désormais il vivait ignoré, sous le nom de M. Ronier, avec pour seule compagnie son fidèle domestique Jean.

Juve toutefois recevait quelques visites dont celles de Léon et Michel. Les deux inspecteurs venaient à Saint-Germain tant pour tenir le célèbre policier au courant de leurs affaires, que pour obtenir de lui des avis précieux. Car, ainsi que le disait Michel : si les membres de Juve désormais se refusaient à tout service actif, l’intelligence restait entière.

Ce matin-là, Léon et Michel avaient beaucoup de choses à dire au policier.

Et d’abord d’une affaire délicate dont ils avaient eu connaissance par des indiscrétions, affaire qu’ils appelaient « Le mystère de l’avenue Niel ».

Léon et Michel s’étaient étonnés d’apprendre que des disparitions s’étant produites dans l’appartement d’un courtier maritime, Hervé Martel, ce dernier n’avait pas porté plainte alors qu’on s’attendait à lui voir faire intervenir la police. Qu’en pensait Juve ?

— Il ne faut pas être surpris, mes chers amis, leur déclara-t-il, lorsque certains particuliers, qui sont victimes d’une désagréable aventure quelconque, tenant de près ou de loin à quelque cambriolage ou chantage savant, ne s’adressent pas à nos services. Vous savez que dans nos bureaux, dans notre administration, on est toujours très consciencieux, plein de bonne volonté, mais quelquefois maladroit, indiscret. Lorsqu’on mêle la Sûreté à ses affaires, on est assuré de l’indiscrétion. J’imagine qu’un homme tel que M. Martel préfère garder tout cela secret jusqu’au jour où il ne pourra plus faire autrement, soit qu’il ait trouvé les coupables des vols dont il est victime, soit qu’il soit impuissant à effectuer lui-même les recherches.

— Moi, je ne comprends pas qu’il hésite, dit Michel. De deux choses l’une : si l’on est victime de quelque chose, on porte plainte, ou alors, si on évite de le faire, c’est qu’on se sent morveux.

— Je vous reconnais bien là, mon cher Michel, avec vos idées nettes, arrêtées, vos grands principes. Mais dites-vous bien que la vie n’est pas une ligne droite que l’on peut suivre à son gré. L’itinéraire de notre existence comporte fréquemment des chemins sinueux que l’on doit suivre, et lorsque la montagne est trop abrupte, plutôt que de la gravir au risque de mille périls, mieux vaut la contourner.

— Vous parlez comme un livre, dit Léon.

— C’est, poursuivit le policier, peut-être parce que j’ai vu beaucoup de choses.

Puis pour convaincre Michel :

— Mon cher, je comprends parfaitement l’attitude de M. Hervé Martel. Un homme d’affaires comme lui, surtout un spéculateur de son espèce, – car ce courtier maritime est un spéculateur –, n’a jamais intérêt à faire connaître au public, c’est-à-dire à sa clientèle, qu’il a subi des pertes importantes. Voyez-vous, les vols, chez ces gens-là, ont toujours un caractère plus ou moins suspect. Et puis, enfin, n’imaginez pas que M. Hervé Martel se désintéresse des pertes qu’il a subies. S’il n’a pas convoqué la police officielle, il a pris à son service des détectives privés.

— Oui, interrompit Michel, il s’est adressé à Nalorgne, à Pérouzin, les anciens inspecteurs de Monaco, que vous avez bien dû connaître, Monsieur Juve ?

— Si je les ai connus !

— En tout cas, Monsieur Juve, dit Léon, ça n’est pas pour durer.

— Je sais ce que vous voulez dire, fit Juve : Nalorgne et Pérouzin vont être admis à la Sûreté en qualité d’inspecteurs auxiliaires.

— Tiens, s’écria Michel, comment savez-vous cela ?

— C’est moi, fit Juve, qui les ai recommandés, sans qu’ils s’en doutent d’ailleurs, à M. Havard.