Выбрать главу

— Je voudrais bien, s’écria Léon, avoir par eux des renseignements sur le mystère de l’avenue Niel.

Juve ne dit rien, il prêtait l’oreille :

On entendait marcher dans le jardin. Des pas précipités qui faisaient crier le gravier.

Juve conclut l’entretien qu’il avait avec ses deux jeunes collègues.

— Mes chers amis, dit-il, retirez-vous, je vous en prie, j’attends des visiteurs, les voici qui arrivent. Ne vous montrez point. Sortez par la pièce à côté, de façon à ne pas les rencontrer dans l’escalier. J’y tiens énormément.

Puis, comme Léon et Michel prenaient congé :

— Au fait, ça vous intéresse peut-être de savoir qui vient me rendre visite ? Eh bien, ce sont Nalorgne et Pérouzin.

***

— Jean.

— Monsieur Juve ?

— Il n’y a plus de M. Juve en ce moment : c’est le vieux Ronier qui te parle. Comprends-tu ce que cela signifie ?

— Naturellement, je comprends, ronchonna Jean ; je ne suis tout de même pas complètement idiot.

Maussade, l’excellent domestique passa dans le cabinet de toilette attenant à la chambre de son maître. Il en rapporta une perruque blanche, une barbe postiche, ajusta le tout, tendit au policier un miroir :

— Cela vous va, patron ?

— Oui, tu peux les faire entrer.

Nalorgne et Pérouzin venaient rendre visite à leur client, M, Ronier, qui leur avait écrit pour leur demander de collaborer à son futur bonheur.

— La paralysie, expliquait Juve, m’immobilise encore, mais je ne tarderai pas à être guéri, et comme la maladie n’empêche pas les sentiments, que, sans être vieux, je suis quelque peu âgé et fatigué de vivre seul, j’ai pensé qu’il serait agréable pour moi de me marier. Vous, messieurs, qui avez les plus hautes relations dans la société parisienne, vous devez être les hommes les mieux désignés pour trouver l’épouse qui me conviendrait. J’ai quelque fortune, je ne serai pas exigeant pour la dot de ma future femme, il suffit qu’elle soit honnête, respectable et gentille.

— Monsieur, affirma, sur un ton doctoral Nalorgne, qui avait écouté ce préambule avec une superbe gravité, vous ne pouvez pas en effet vous adresser mieux qu’à nous, et d’ores et déjà nous avons votre affaire.

— Tiens, qui donc ?

Nalorgne le foudroya du regard et poursuivit :

— Une jeune fille charmante, monsieur Ronier, qui vous donnera toute satisfaction. Nous la connaissons depuis son enfance. C’est une amie de notre famille, sérieuse, excellente éducation, a toujours travaillé. Elle exerce la profession de dactylographe. Son prénom : Hélène.

— Ah, fit Pérouzin, j’y suis. Elle travaille chez M. Hervé Martel car, M. Ronier, ce grand courtier maritime, le plus connu de la place de Paris, est aussi notre client.

Mais Nalorgne, après avoir fait à Juve un boniment dans les règles, s’arrêta soudain, et il regarda le faux M. Ronier avec une insistance si singulière que celui-ci parut s’en rendre compte :

— Hein ? demanda Juve avec une pointe d’anxiété très bien dissimulée, voilà que vous avez des regrets maintenant, en me voyant. Vous vous dites : cette jeune fille ne voudra jamais épouser un pauvre homme dans un si misérable état.

— Oh, s’écria Pérouzin, ce n’est certainement pas cela que pense mon associé Nalorgne, mais…

Pérouzin également avait fixé le vieillard, et sur sa physionomie s’était peinte une certaine stupéfaction. Il allait poursuivre, Nalorgne l’en prévint :

— Nous ne nous permettrions pas, monsieur, d’avoir une telle opinion sur quelqu’un qui nous fait l’honneur de nous accorder sa clientèle. Certes, le cœur des jeunes filles est un abîme insondable, et nous ne pouvons vous donner, dès aujourd’hui, une promesse formelle d’acceptation. Mlle Hélène ne s’engage à rien en faisant votre connaissance, et je suis convaincu que, par sa grâce, son charme, sa douceur et sa touchante timidité, elle fera sur vous la plus délicieuse impression.

Juve tressaillit. Ses espérances étaient exaucées. Nalorgne et Pérouzin s’offraient spontanément à lui faire connaître la personne qu’il désirait voir, car, malgré le peu d’intérêt qu’il avait eu l’air, devant Léon et Michel, de prendre aux mystérieuses affaires de l’avenue Niel, Juve se passionnait pour ces vols extraordinaires, et le célèbre policier, de son lit de douleur, voulait savoir. Il avait entendu parler de cette Hélène, la dactylographe, et il s’était juré de la connaître. Or, voici que la proposition de Nalorgne et de Pérouzin allait singulièrement lui faciliter les choses :

— Amenez-la moi, déclara avec enthousiasme le pauvre M. Ronier, cependant que, graves et dignes, Nalorgne et Pérouzin se levaient pour le quitter.

— Nous ferons notre possible, déclara Nalorgne, pour vous faire connaître Mlle Hélène d’ici une semaine au plus.

Nalorgne salua gravement, Pérouzin fit de même, mais au moment de partir, l’ancien notaire, toujours pratique, dit au faux M. Ronier :

— Et alors, cher monsieur, il est encore une petite chose dont nous n’avons point encore parlé : c’est la question des honoraires.

— Vous me les fixerez vous-même, répondit Juve, magnanime, lorsque l’affaire sera conclue.

Les deux agents d’affaires se retirèrent, et Juve, après s’être fait débarrasser de ses postiches, se mit à réfléchir très profondément.

***

— Eh bien, Pérouzin ?

— Eh bien, Nalorgne ?

— Ça, c’est plus fort que de jouer au bouchon.

— Vous l’avez donc reconnu aussi ?

— Parbleu, comme c’est difficile. À policier, policier et demi. J’aime à croire que nous ne sommes pas complètement idiots.

— Et que, tout au contraire, ce pauvre Juve est bien déprimé.

— Ah, ah, ah, monsieur Ronier, la farce est bonne, en vérité.

— Ce que c’est, tout de même, que d’être paralysé.

— Mais croyez-vous qu’il le soit réellement ?

— Parbleu, c’est indiscutable. Tout Paris l’a su, au moment de ce que l’on a appelé l’accident de Juve, et qui n’était autre qu’un mauvais coup de Fantômas.

— Mon cher Nalorgne, dit Pérouzin, je vais vous poser une question précise. Répondez-moi avec la même précision. Dites, pourquoi croyez-vous que Juve, qui nous connaît fort bien, nous a fait venir ici ? Pourquoi se donne-t-il pour un vieux monsieur désireux de se marier ? Il ment ? Il dit la vérité ?

— Pérouzin, pourquoi allez-vous chercher midi à quatorze heures. C’est bien simple, Juve, en tant que policier, est un homme fini, usé, perdu. Il veut prendre femme. C’est son droit. Mieux encore, c’est très naturel.

— Nalorgne, vous voyez les choses trop simplement. Ce qui arrive n’est pas dû au hasard seul. Fantômas qui nous tombe sur le dos…

— Vous vous en plaignez ?

— Non. Mais il y a aussi cette Hélène, que nous ne connaissons ni d’Ève ni d’Adam, qui nous demande de lui rechercher Fandor, puis, voilà que, convoqués par un certain M. Ronier, nous tombons sur Juve. Tout cela n’est pas clair.

— Limpide, au contraire. Cela prouve que nos affaires s’arrangent de mieux en mieux et qu’après avoir crevé de faim nous allons faire fortune. Songez donc, Pérouzin, à la Préfecture de police, on nous a dit encore tout récemment que nos démarches allaient être couronnées de succès, et voyez-vous l’éclat que cela donnerait à nos affaires ? MM. Nalorgne et Pérouzin, inspecteurs de la Sûreté, de la vraie Sûreté et, en outre, travaillant avec… Ah, je ne nous donne pas six mois pour être millionnaires.

— Croyez-vous que Juve ne sait pas que nous l’avons reconnu ?

— Il ne se doute de rien.

— Pourquoi, poursuivit Pérouzin, se dissimule-t-il sous un faux nom ?

— Rendez-vous compte, Pérouzin, que Juve, à l’heure qu’il est, est fini, archi-fini, incapable même de faire un geste. Or, quelle peut être la pensée de cet homme qui a passé les dix dernières années de sa vie à poursuivre… Il a peur.