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— Moi-même, je connais très mal Cherbourg, si vous n’avez rien de mieux à faire, voulez-vous que nous fassions un tour ensemble ?

— Très volontiers. Vous êtes infiniment aimable de m’offrir votre compagnie, j’ai l’habitude de ne solliciter la compassion de personne, mais croyez que je suis sensible à la sympathie. Voulez-vous me permettre de renvoyer mon domestique ? Je serais heureux de donner une heure de liberté à ce pauvre homme qui m’aide à vivre.

— Je passe au fumoir prendre mon chapeau, dit Martel.

— Je vous suis. Pour moi, je reste toujours coiffé. Il est trop compliqué d’avoir à demander l’aide d’un serviteur.

Hervé Martel, précédant l’infirme, ouvrit la porte. La fenêtre était ouverte et un courant d’air fit voltiger les papiers.

— Entrez, proposa Hervé Martel à son compagnon. Sans cela nous allons briser les carreaux.

Le manchot pénétra dans la pièce, Hervé Martel referma la porte, cependant que la caissière de l’hôtel qui avait elle-même senti le courant d’air traversait la salle à manger pour aller fermer les fenêtres. Or, la caissière n’était pas encore au milieu de la salle, qu’elle s’arrêtait net dans sa course, cependant que les maîtres d’hôtel, déjà occupés à desservir, s’arrêtaient eux aussi, cloués sur place.

Une terrible clameur venait de s’élever :

— À l’assassin.

Bruit d’un corps qui tombe. Nouveaux appels. Violents coups de pieds contre la porte du fumoir.

— Ouvrez. Ouvrez. Au secours ! On l’assassine !

Brouhaha épouvantable.

Cris, clameurs, coups de pieds qui résonnent dans les salles attirent domestiques et clients. La caissière hurle. Les garçons attendent, bouche bée.

Le portier du palace, important personnage vêtu d’une redingote bien chamarrée de galons d’or larges de cinq centimètres, retrouva le premier sa présence d’esprit. C’était le Saxon, il bégaya avec un fort accent :

— Chûr et chertain qu’il se passe un grime là-tetans. Je vais aller foir.

Et très brave, le grave portier courut à la porte du fumoir, ouvrit, cependant que d’un même mouvement chacun des assistants se précipitait vers le seuil de la pièce.

La porte ouverte, il suffisait d’un coup d’œil pour examiner en entier la petite pièce tendue de bleu clair, d’ordinaire si paisible. Deux hommes. L’un était l’infirme, le manchot, les yeux dilatés d’horreur, tapait à grands coups de pied contre la porte pour prier que l’on ouvrît, l’autre était Hervé Martel, couché de tout son long sur le sol et dont la poitrine, trouée d’un coup de poignard, laissait échapper des flots de sang qui dessinaient une grande flaque rouge déjà.

Le manchot, défaillant, sortit en courant. Un médecin parut, se pencha sur le courtier maritime pour se relever aussitôt en déclarant :

— Trop tard, cet homme est mort.

Des gens se bousculaient autour de l’infirme qui, tombé dans un fauteuil semblait prêt à s’évanouir…

Dans le couloir on interrogeait le manchot qui répondait sans suite :

— Je ne sais pas. Un homme caché dans la pièce. Il avait un poignard à la main. Ah, c’est horrible. Le malheureux était devant moi. En plein cœur. Il a sauté par la fenêtre. Il faut courir. Il faut prévenir la police. Mon Dieu, mon Dieu, quel malheur !

***

— Vous ne voulez pas me croire ? Vous êtes persuadé qu’Hervé Martel, c’est mon père ? Venez voir mon patron, vous pourrez vous convaincre que vous êtes dans l’erreur. Suivez-moi.

Lentement, Hélène et Fandor regagnèrent le Palace-Hôtel. Mais quand ils atteignirent celui-ci, un véritable tohu-bohu s’y manifestait.

— Seigneur, dit Fandor, qu’est-ce qu’ils font donc dans ce caravansérail-là ?

L’émotion des passants qui les croisaient, ayant l’air de se précipiter vers le centre de la ville, était si visible que le journaliste ajouta :

— Il y aurait le feu à la maison que ces gens-là n’auraient pas d’autres figures.

Fandor et Hélène n’avaient pas fait trois pas dans le vestibule qu’ils furent au courant :

— C’était un courtier maritime, avait expliqué quelqu’un, sur les registres de l’hôtel, il était inscrit sous le nom d’Hervé Martel.

Fandor, en entendant ces mots, arrêta Hélène :

— Ne venez pas.

La jeune fille fit non de la tête :

— Je vous en supplie, retournez dans les jardins, vite, vite, dépêchez-vous, c’est providentiel que nous arrivions à ce moment et il n’y a vraiment aucune utilité à ce que vous voyiez ce que je vais voir. Allez m’attendre sur la jetée, allez où vous voudrez, n’entrez pas, je ne sais pas ce qui s’est passé, mais je le devine. Ce n’est pas un spectacle pour vous.

Fandor, resté seul, se précipita dans la salle à manger d’où venaient les éclats de voix.

Fandor, à cet instant, ne doutait pas qu’Hervé Martel fût réellement Fantômas. À coup sûr, c’était Fantômas qui venait de se livrer à l’un des terribles exploits et si l’on avait annoncé sa mort, c’est que peut-être il avait trouvé son maître.

D’autorité, le journaliste bouscula un groupe de personnes qui stationnaient à la porte de la salle à manger mais qui s’écartèrent, le voyant si assuré.

— La victime ? demanda-t-il. Où est la victime ?

On devait le prendre pour quelqu’un de la police, car on le conduisit dans le petit fumoir où le corps était encore étendu.

— Voici ce malheureux Martel.

Fandor ne répondit rien. Hervé Martel, si ce mort était bien Hervé Martel, n’était pas Fantômas. Le maître d’hôtel qui le guidait ajoutait :

— Si maintenant monsieur veut interroger le témoin, le principal témoin, le manchot, il attend dans la salle à manger.

— Je vous suis.

La salle à manger était vide.

— Qui était-ce, ce monsieur ?

On le lui dit.

***

— Bizarre, pensait le jeune homme, cette mort d’Hervé Martel, la mort de ce monsieur chez qui il s’est passé déjà tant d’affaires extraordinaires et qui semble avoir été visé par les mystérieux bandits. Bizarre en vérité cette mort à la suite d’un coup de poignard donné avec une extrême vigueur… par qui ? Par un manchot, absent d’ailleurs ? Non. Pas possible.

Fandor qui avait tiré son calepin et hâtivement tracé le plan sommaire du fumoir où le courtier avait trouvé la mort, incarnait de mieux en mieux son personnage de la police. Il quitta la salle à manger, regagna le fumoir.

— Évidemment, avait repris le jeune homme, contemplant la fenêtre donnant sur les jardins, évidemment, il est très facile à quiconque le désire de pénétrer dans cette pièce, mais, tiens, tiens…

Fandor avait brusquement interrompu ses réflexions. La fenêtre qu’il considérait était en effet à si peu de hauteur du sol, un mètre peut-être, qu’il était facile de l’escalader. Elle donnait sur une très large corbeille de terreau, ratissée avec un soin extrême.

— Si quelqu’un est monté par cette fenêtre, se disait Fandor, si quelqu’un en est descendu, étant donnée la largeur de la corbeille, on doit retrouver son empreinte.

Et Fandor tirait de sa poche l’inséparable petite lampe électrique qui au cours de sa vie aventureuse lui avait déjà rendu tant de services.

Rien.

— C’est déconcertant, murmura le journaliste, ou c’est tout ce qu’il y a de plus simple.

Après avoir donné un nouveau regard au corps du malheureux courtier que nul n’osait relever sans ordre, Fandor revint dans la salle à manger et avisa la caissière :

— Deux mots, madame ? Vous avez vu, si mes renseignements sont exacts, la malheureuse victime entrer dans le fumoir en compagnie du manchot ?

— Oui, monsieur.

— Combien de temps s’est-il passé à peu près avant que vous ayez entendu la chute du corps de la victime ?