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— Ah ? fais-la donc monter.

— Dans votre chambre ?

— Dans ma chambre. Tu ne voudrais tout de même pas que je descende la recevoir au salon ?

Quelques instants plus tard, le vieux domestique introduisait dans l’appartement de Juve une personne élégamment vêtue, à la silhouette un peu trop majestueuse sans doute.

— C’est bien à M. Ronier à qui j’ai l’honneur de parler ? demanda-t-elle.

— En personne.

D’un coup d’œil, le policier avait donné raison à Jean : la personne n’avait rien de la « charmante jeune fille » qui était en réalité la fille du Roi de l’Épouvante. Juve, certes, ne s’était pas attendu à voir paraître celle-ci, qu’il savait à Cherbourg, mais comment et pourquoi s’en présentait-il une autre ? Décidément, ces Nalorgne et Pérouzin étaient de véritables agents d’affaires de comédie. Allaient-ils faire défiler ainsi chez Juve toutes les célibataires de Paris ?

La visiteuse, toutefois, se présentait avec son plus aimable sourire :

— J’ai appris, monsieur, déclarait-elle, que vous vivez seul et retiré et que bien souvent l’existence vous paraît pénible. Je m’intéresse, par pure sympathie d’ailleurs, aux personnes souffrantes, isolées, malades et c’est pourquoi je me suis permis, sur la recommandation de mes amis, Nalorgne et Pérouzin, de venir vous rendre une petite visite.

La visiteuse tendait à Juve une lettre, que celui-ci, vu la faiblesse de ses mains, ne parvint pas à décacheter.

— Voulez-vous me permettre ?

— Volontiers. Si j’osais vous prier, madame, de me lire ce que m’écrivent nos amis, j’ai si mauvaise vue.

Elle s’assit et lut à haute voix :

Cher monsieur Ronier, La personne qui vous apportera cette lettre se recommande à toute votre sympathie. Comme vous vous en apercevez facilement elle est jeune et belle et son caractère a la qualité de ses traits charmeurs.

Vous qui rêvez d’une paisible existence conjugale, vous trouverez auprès d’elle tous les avantages de la vie bourgeoise. Nous vous la recommandons en toute connaissance de cause, c’est une amie de nos familles, nous la connaissons depuis son enfance…

Juve faillit rire à ce passage, mais Irma, elle, ne put se contenir :

— Ah les vaches, s’écria-t-elle, toujours des vannes.

Puis, se rendant compte de l’impair qu’elle commettait, elle rougit.

— Pardonnez-moi, monsieur, dit-elle, mais ça m’a échappé.

Juve, d’un ton affectueux, mit la demi-mondaine à son aise :

— Mais je vous assure que ça ne me choque pas du tout. La qualité que j’apprécie le plus chez une femme, c’est le naturel. Mais au fait, pourquoi vous êtes-vous interrompue ?

— Ah c’est que, Nalorgne et Pérouzin ont mis sur moi des choses que j’aurais peut-être mieux aimé… qu’il aurait mieux valu…

— Mais non, mais non, poursuivit Juve, je suis sûr qu’elles n’ont aucune importance, vous comprenez bien qu’un homme de mon âge n’est pas comme un collégien, que je puis entendre, que je dois savoir.

— Ma foi, pensa la demi-mondaine, il n’a pas l’air mauvais, cet homme-là, et après tout, qu’est-ce que je risque ?

Bravement, elle continua la lecture de la lettre :

… Pour tout vous dire, monsieur Ronier, la personne que nous vous recommandons n’est pas précisément ce que l’on appelle « une vertu farouche », elle passait pour assez farceuse dans sa jeunesse, mais avec l’âge qui vient, elle s’est tait une raison et veut désormais vivre autrement. C’est d’ailleurs une personne qui fait honneur, car non seulement, elle présente bien, mais encore elle est connue dans le monde parisien. Inutile de vous dissimuler plus longtemps son nom : Irma de Steinkerque…

— Irma de Steinkerque ? c’est vous qui êtes Irma de Steinkerque ?

À cette question, la pauvre femme se troubla :

— Ça va mal finir, pensait-elle, ce monsieur va me flanquer à la porte.

Et à voix haute :

— Oui, monsieur, c’est moi, ou pour mieux dire, c’était moi.

Suivit un véritable acte de foi, celui de la pécheresse repentie.

— Oh, oh, se dit Juve, c’est la Providence qui m’envoie cette femme, il va s’agir de la faire bavarder.

Et Juve l’invita à dîner.

14 – UN COUP DE CHAPEAU

Dehors il faisait nuit noire avec pluie battante et bon vent, c’est-à-dire mauvais, mais Fandor, insensible aux intempéries, allait et venait hors de l’hôtel, au hasard, et repassait en esprit les données du problème :

— Enfin quoi, se répétait le journaliste, personne n’a pu entrer pour assassiner Martel. Mieux, un homme qui n’a pas de bras ne peut donner un coup de poignard. Or, vu la rapidité du drame, on est bien forcé d’admettre que seul le manchot a pu tuer. Seul l’impossible est logique…

Tout en songeant, Fandor surveillait la mer entrant dans le port.

Une eau noire affleurait au niveau même des jetées et Fandor suivait, dans le reflet blafard d’un bec de gaz, la lutte des divers petits courants.

Soudain, tournoyant au milieu, un objet. Le journaliste crut reconnaître sa nature :

— Mais sapristi, on dirait un chapeau haut-de-forme, dit-il. Un haut-de-forme comme celui du manchot. Tiens, le manchot serait-il tombé à l’eau ? l’avait-on jeté dans la mer ? suicide ou nouveau crime ?

Fandor s’attendait à voir surgir des eaux noirâtres quelque vestige plus inquiétant encore. Sous la moindre vague que soulevait le vent, il croyait voir un corps gonflé par l’eau saumâtre. Le chapeau, toutefois, à demi submergé, s’avançait doucement, gagnait comme en valsant le bout de la jetée.

Fandor, déjà, s’était jeté dans une barque du rivage, faisait force de rames et ne tardait pas à atteindre sa proie. Il se saisit du chapeau : il était incroyablement lourd. Le journaliste imagina d’abord que ce poids insolite était dû au séjour dans l’eau du chapeau haut-de-forme. Il le secoua, tâcha de le vider de son mieux, mais le chapeau restait aussi lourd.

Soudain, il poussa un hurlement d’effroi. Alors qu’il en effleurait le sommet, du bout des doigts, le chapeau comme attiré par un puissant ressort, s’aplatit à la manière d’un accordéon ou d’un chapeau claque. Du haut de la coiffure sortait une pointe acérée, une véritable lame d’acier qui luisait à la lueur blafarde des becs de gaz.

— Eh bien, je connaissais, dit-il, les cannes à épée, les étuis de pipes qui contiennent des revolvers, mais j’ignorais l’existence du chapeau-poignard. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? et à quelle fin a-t-on pu fabriquer cet extraordinaire instrument ? Mais parbleu j’y suis, c’est enfantin, simple comme bonjour. C’est le chapeau du manchot, cet homme qui n’avait pas de bras, a tué avec sa tête. Je ne suis qu’un idiot, et j’aurais dû déjà m’être fait ce raisonnement : Parbleu, c’est encore plus simple que je ne l’imaginais. Fantômas est l’auteur de ce crime, lui et nul autre, et Fantômas est le manchot. Seulement, pour se disculper d’avance de l’éventuelle inculpation du meurtre qui allait évidemment tomber sur lui puisqu’il était seul avec Hervé Martel, et pour être sûr aussi que celui-ci ne se méfierait pas, il s’est fait passer pour manchot et il s’est dissimulé les bras sous ses vêtements, Fantômas a fait l’infirme pour tuer avec plus de sécurité, plus certainement et rester impuni.

Le journaliste hésita une seconde à emporter cette pièce à conviction. D’ailleurs, Fantômas devait être aux aguets. Fandor avisant une cachette ménagée par le hasard sous les échafaudages en bois constituant l’estacade qui terminait la jetée, y dissimula donc le chapeau-poignard, puis, sortant de la barque, il regagna la terre ferme.

Quelqu’un l’interpellait :

— Faudrait voir à ne plus vous gêner. Prendre comme cela le transatlantique de Dégueulasse. C’est des manières ça ? Bonsoir m’sieur dame. Des explications tout de suite siouplaît !