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— On m’a dit comme ça, les gars, que vous alliez faire bientôt des expériences avec un nouveau projecteur lenticulaire qui permettra de voir sa route à dix mètres sous l’eau. C’est-y vrai cette histoire-là ?

— Tout ce qu’il y a de vrai, répondit le premier des marins, à preuve qu’on va s’en servir demain pour aller reconnaître l’épave que l’on doit faire sauter.

— L’épave ? quelle épave ?

— Celle du Triumph nuisible pour la navigation. Alors ça a été décidé par le service de l’Amirauté. Demain à marée basse, reconnaissance avec L’Œuf, et après-demain sans doute, bombardement avec feux d’artifice sous la mer, histoire de faire rigoler les marsouins.

— Amenez-vous, vous autres, je paye un verre, cria Pastel en se frottant les mains, à la santé de l’explosion ! Tout de même, il y a un bon Dieu, il y a une justice. Ah, on a décidé de faire sauter l’épave, ça, c’est joliment bien. Comme ça, ce sacré Norvégien pourra pas continuer.

Fandor ne l’écoutait plus. Le journaliste avait pris à part un jeune matelot, qu’il interrogeait minutieusement :

— C’est intéressant à voir une plongée sous-marine ?

— C’est selon. Naturellement quand on a l’habitude, on ne fait plus attention, mais pour du jamais vu, c’est intéressant.

— Pendant que L’Œuf fera sa reconnaissance, est-ce qu’on continuera les opérations de sauvetage ?

— Naturellement, ce n’est qu’après demain qu’on les interdira si l’on fait sauter le navire.

— Comment s’appelle votre commandant ?

— Le lieutenant de vaisseau de Kervalac.

— Où demeure-t-il ?

Le matelot donna une adresse.

Quelques instants plus tard, le journaliste se levait :

— Il faut, coûte que coûte, songeait-il, que j’obtienne de cet officier l’autorisation de monter à bord. Non, ce lieutenant ne voudra jamais. Il vaut mieux que je télégraphie au ministère de la Marine. Là, j’ai quelques relations, j’aurai plus de chance de réussir.

Fandor ne songea plus, dès lors, qu’à quitter le bar. Mais comment allait-il se dépêtrer de tous ses nombreux et nouveaux amis ? Les circonstances, heureusement, vinrent à son aide. Pastel avait suffisamment bu, il quitta la table, vint sur le seuil.

Et soudain, le visage jovial du sauveteur se rembrunit. Fandor suivit son regard, qui s’était arrêté sur deux hommes qui passaient sur la jetée.

— S’il n’y avait pas entre eux et nous de quoi faire flotter deux bateaux de cinq cents tonneaux, comme j’irais leur dire ma façon de penser à ces gaillards-là.

— Vous les connaissez ?

— Parbleu, oui, fit Pastel, c’est le Norvégien et son second.

— Ah. Vous croyez ?

— J’en suis sûr, affirma le vieux sauveteur.

Mais soudain, Fandor le quittait, courait à toutes jambes, s’efforçant de trouver la passerelle qui lui permettrait d’atteindre l’autre côté du bassin et de rejoindre les deux hommes signalés.

Fandor eut beau courir à perte d’haleine, lorsqu’il parvint sur l’autre bord, les deux hommes avaient disparu.

Pourquoi aurait-il voulu les approcher ? Parce que le journaliste avait reconnu ceux que Pastel prenait pour le Norvégien et son second. Le premier était sûrement l’apache Bébé. Quant à l’autre, inutile de le nommer.

15 – SUR « L’ŒUF »

Fandor tira sa montre de sa poche, hésita une seconde, puis se décida à entrer dans le petit café de modeste apparence que désignait à l’attention des passants une enseigne tricolore : « Au Vaisseau Amiral ».

— Cinq heures, monologuait le jeune homme, je suis en avance d’une bonne demi-heure, et je vais m’ennuyer comme un rat mort en attendant Hélène. Mais qu’y faire ?

— Monsieur désire ?

— Rien du tout, répondit Fandor au garçon, donnez-moi un café pour vous faire plaisir.

— La verseuse pour un, à l’as.

Fandor était plongé dans de profondes méditations, lorsqu’un second serveur s’approcha de lui, la cafetière en main :

— Nature, monsieur ?

— Eh, nature, si vous voulez.

La tasse remplie, Fandor pensait enfin pouvoir être tranquille. Il se trompait, il lui fallut encore refuser un alcool.

— On ne me fera jamais croire, avait dit le sauveteur, qu’on peut retirer les caisses d’or du trou d’eau où elles sont tombées. Si le Norvégien ramène des caisses à la surface, c’est qu’il procède par supercherie, mais je ne croirai jamais que ce sont les caisses d’or du Triumph qu’il repêche.

Pour Fandor, cela avait été le trait de lumière.

— Admettons, se disait le journaliste, que Fantômas soit, comme il est indubitable, le sauveteur norvégien. Admettons, comme l’affirme Pastel, que les caisses d’or du Triumph soient impossibles à repêcher. Que va faire Fantômas ? Son contrat dit : deux cent mille francs par caisse d’or. Hé, hé, la somme en vaut la peine. Si Fantômas pouvait immerger de la fausse monnaie, repêcher cette fausse monnaie, puis réclamer pour chaque caisse la somme convenue, le joli bénéfice. Sans risque d’ailleurs car personne ne pourrait avoir l’idée que les caisses repêchées ne sont pas les véritables caisses expédiées de New York. Il est certain que Fantômas a pris toutes ses précautions pour que ses caisses à lui soient absolument identiques aux véritables.

Fandor était d’autant plus convaincu que le Roi du Crime devait être le fameux Norvégien, que le matin même, à la direction du port, Fandor avait appris que l’on allait faire sauter l’épave du Triumph qui gênait la navigation. Or, le pseudo sauveteur norvégien, ce sauveteur que Fandor ne pouvait pas rencontrer, car il restait perpétuellement à bord de ses pontons, ce sauveteur-là avait fait de pressantes démarches pour obtenir que l’on reculât la date de l’explosion du Triumph.

— Parbleu, se disait Fandor, c’est Fantômas, et il est naturel qu’il cherche à faire durer.

Fandor revoyait dans son esprit l’enchaînement logique par lequel il s’efforçait de faire cadrer tous les faits qui se produisaient, lorsqu’il sursauta, arraché à sa rêverie par le contact d’une petite main qui se posait sur son épaule :

— Vous, Hélène ?

— Moi, Fandor.

Un regard muet, un long regard s’échangea entre les deux jeunes gens qui, depuis quelques jours, depuis la mort du malheureux Hervé Martel, se voyaient avec facilité et cependant ne s’habituaient pas à pouvoir se rencontrer librement, à pouvoir s’aimer en paix, sans crainte d’extraordinaires cataclysmes. Le courtier mort, Hélène avait été priée par le fondé de pouvoirs d’Hervé Martel, qui avait provisoirement pris la charge en main, de demeurer à Cherbourg pour le tenir au courant des opérations de sauvetage tentées. Fandor, de son côté, s’était multiplié, avait fait déménager la jeune fille, l’avait installée dans une maison de famille tranquille. Et, depuis lors, des jours extraordinaires passaient, où Fandor et Hélène se rencontraient souvent, discutaient âprement du passé, s’efforçaient de prévoir l’avenir et sentaient le présent leur échapper.

— Qu’avez-vous ? Ne niez pas, vous êtes aujourd’hui plus préoccupé que ces jours derniers ? demandait Hélène à Fandor.

— Ma pauvre amie, il ne faut pas m’en vouloir, mais j’ai peur, j’ai peur de ce qui va se passer.

— Peur de quoi ?

— De vous faire mal.

— Vous allez me causer un chagrin ? Pourquoi ? Comment ? Mon Dieu, est-ce que vous sauriez quelque chose sur mon père ? Vous croyez que mon père est mêlé au meurtre d’Hervé Martel ? Vous croyez que Fantômas agit ou va agir ? Allons, répondez.