La forme que les dieux égyptiens ont prise dans l'art peut être attribuée à différents motifs. La religion égyptienne est un composé de cultes divers, qui pendant une longue suite de siècles ont subi de nombreuses altérations. Des peuples de races différentes se mêlaient dans la vallée du Nil, et chacun apportait à la croyance commune le cachet de son génie propre, philosophique ou superstitieux. L'Orient est le pays des rêveurs, des grands consiructeurs de systèmes religieux ; l'Afrique est la terre du fétichisme et de Tidolàtrie pure. Les tribus noires de l'Afrique centrale ont toujours adoré les animaux de leurs déserts; l'homme se sent inférieur à eux, parce qu'ils possèdent à un plus haut
degré la for-ce, rag:ililé. De la différence de ces hommes réunis sur un même sol, résulte dans Tordre religieux, une croyance très-élevée, mais s'appliquant à des divinités qui empruntent toutes quelque chose <à la forme animale.
Ce n'est pas là pourtant l'explication que donnaient les Grecs, toujours portés à chercher dans leurs propres légendes la raison d'être des divinités étrangères. Dans la terrible guerre que les dieux de l'Olympe livrèrent aux géants, ils furent obligés, pour échapper aux coups de leurs adversaires, de se réfugier en Egypte, sous la forme d'animaux, pour n'être pas reconnus, et les Egyptiens leur attribuèrent naturellement l'aspect d'emprunt sous lequel ils en avaient eu connaissance. Ce qu'il y a de sûr, c'est que dès que les Grecs voulurent rendre par l'art les dieux égyptiens, ils les dénaturèrent absolument, en leur ôtant le caractère d'animalité, qui leur paraissait humiliant pour des dieux.
Au-dessus de cette multitude de divinités de formes diverses, un Dieu suprême est adoré sous des noms différents, suivant les localités. C'est celui que les légendes sacrées appellent « le seul être vivant en vérité », celui qui a donné naissance aux dieux inférieurs, qui a tout fait. Ce dieu unique, auteur de toutes choses, n'a pas eu de commencement et n'aura pas de fin. Il est en trois personnes: le père, le fils, et un personnage féminin qui joue le rôle de mère, mais demeure toujours vierge. Carie fils a été enfanté, mais non créé, ou plutôt il s'engendre lui-même par le souffle divin. La triade égyptienne varie dans le nom de ses personnages, comme dans leur histoire, mais on la retrouve partout.
ft On ne doit pas s'attendre, dit M. de Rougé, à trouver dans la mythologie égyptienne un tout bien coordonné, un système embrassant le ciel et la terre, sans lacune et sans double emploi. La religion égyptienne fut, comme «l'empire lui-même, une réunion de cultes locaux; on y trouve par conséquent une répétition des mêmes idées sous différents types et avec des variantes importantes. 11 serait même très-inexact de penser que cette multitude de divinités adorées chez les Egyptiens eût complètement oblitéré chez eux la notion d'un Dieu suprême et unique. Les textes hiéroglyphiques apportent une lumière précieuse sur cette question. Le Dieu suprême, quel que soit le nom local qu'on lui ait appliqué, est souvent désigné par des expressions qui ne permettent point le doute à cet égard. Il est le seul être vivant en vérité, disent les légendes sacrées. // a donné naissance à tous les êtres et à tous les dieux inférieurs. Il a tout fait, et il n'a pas été fait. Enfin, // s'engendre lid-même. C'est là le second point et peut-être le plus curieux de la doctrine égyptienne. Si certains textes disent que le Dieu père engendre un fils, son image, on en rencontre d'autres qui semblent ne faire du fils qu'une autre manière d'envisager le père. Les Hlgyptiens ont distingué dans la généra-
tion étemelle de la divinité un père et un fils dont les deux personnalités ont été plus ou moins confondues et distinguées, suivant les temps et les lieux. Un personnage féminin, jouant le rôle maternel, venait s'ajouter aux deux premiers et complétait la triade divine, telle qu'on la voit adorée dans la pliijtart des temples. »
La légende d'Isis et d'Osiris. — Osiris, dieu solaire, Isis, sa sœur
et son épouse, et lloriis, son lils, composent la |»lus importante des triades égyptiennes. Ces personnages ont une légende mythologique, dont les auteurs grecs nous ont transmis le récit, et qui symbolise la lutte du soleil contre les ténèbres. Les détails de ce récit sont intéressants à connaître, parce qu'ils nous expliquent une foule d'emblèmes qui se présentent très-fréquemment sur les monuments égyptiens.
Isis la première trouve l'orge et le blé, mais Osiris, inventeur des instruments de l'agriculture, fonde la société civile, en donnant aux hommes des lois, en même temps qu'il leur enseigne Fart de faire la moisson. Puis, il songe à porter plus loin ses bienfaits et parcourt le monde en subjuguant les peuples, non par la force mais par l'attrait de la musique. Tandis qu'il est absent, son frère, le perfide Typhon (personnification de la stérilité du désert), veut régner à sa place, mais les projets du méchant sont déjoués par la fermeté d'Isis. Typhon feint une joie hypocrite au retour de son frère ; s'alliant avec Aso, la reine des Ethiopiens, ces éternels ennemis de l'Egypte, il invite Osiris à un banquet oii sa perte est préméditée. Au milieu de la fête, on apporte un colï're magnifique, qui excite l'admiration des convives. Typhon alors dit qu'il en. fera présent à celui qui pourra le remplir de son corps. Le traître avait fait faire le coffre d'après la mesure exacte d'Osiris. Tous les convives essayent de s'y placer et échouent tour à tour ; mais dès qu'Osiris est venu s'y mettre sans défiance, Typhon et ses complices se précipitent sur lui, referment le coffre, le scellent avec du plomb et le jettent dans le fieuve. Le coffre est ainsi porté à la mer par la bouche Tanitique, qui depuis lors fut pour les Egyptiens un objet d'exécration. Ainsi périt Osiris à l'âge de vingt-huit ans.
Quand le Dieu fut mort, les pans et les satyres se mirent à parcourir l'Egypte en poussant des cris de douleur. Isis, sa sœur et son épouse, était à Chemnis quand elle apprit la triste nouvelle. Elle se couvrit d'habits de deuil et se mit à la recherche du corps d'Osiris, en compagnie d'Anubis, le dieu à tète de chacal. Des enfants lui montrèrent la bouche du INil par laquelle le colfre avait été porté à la mer, mais elle le chercha en vain, car il avait été poussé dans les roseaux et s'était arrêté sur la côte de Byblos, au pied d'une bruyère, qui avait grandi d'une manière si étonnante que le cercueil du dieu était entièrement enveloppé par son écorce. Dès qu'Isis eut rtîconnu la chose, elle se précipita
sur le corps de son époux en poussant des cris si aigus qu'un des fils du roi de Byblos en mourut de frayeur. Ensuite elle voulut aller chercher son fils Ilorus, le futur vengeur d'Osiris, et elle cacha le corps en un lieu sûr. Typhon, parvint néanmoins a le découvrir et l'ayant coupé en morceaux, il les dissémina dans les divers bras du Nil.
(( Les prêtres, dit Diodore de Sicile, avaient caché longtemj»s la mort d'Osiris, mais enfin il arriva que quelques-uns d'entre eux divulguèrent le secret. On raconte donc qu'Osiris, régnant avec justice sur l'Egypte, fut tué par son frère Ty[)hon, homme violent et impie, et que celui-ci partagea le corps de la victime en plusieurs parties, qu'il distribua à ses complices, afin de les envelopper tous dans une haine commune, et de s'assurer ainsi des défenseurs de son règne. Mais Isis, sœur et femme d'Osiris, aidée de son fils Ilorus, poursuivit la vengeance de ce meurtre ; elle fit mourir Ty[)hon et ses complices, et devint reine d'Egypte. Il y avait eu un combat sur les bords du fleuve, du côté de l'Arabie, près du village d'Antée, ainsi nommé d'Antée qu'Hercule y avait tué du temps d'Osiris. Isis y trouva toutes les parties du corps d'Osiris, excepté le phallus. Pour cacher le tombeau de son mari, et le faire vénérer par tous les habitants de l'Egypte, elle s'y prit de la manière suivante : elle enveloppa chaque partie dans une figure faite de cire et d'aromates, et semblable en grandeur à Osiris, et convoquant toutes les classes de prêtres les unes après les autres, elle leur fit jurer le secret de la confidence qu'elle allait leur faire. Elle annonça à chacune des classes qu'elle lui avait confié de préférence aux autres la sépulture d'Osiris, et rappelant ses bienfaits, elle exhorta tous les prêtres à ensevelir le corps dans leurs temples, à vénérer Osiris comme un dieu, à lui consacrer un de leurs animaux, n'importe lequel; à honorer cet animal pendant sa vie, comme autrefois Osiris, et à lui rendre les mêmes honneurs après sa mort. Voulant engager les prêtres par des dons à remplir leurs offices, Isis leur donna le tiers du pays pour l'entretien du culte et des sacrifices. Les prêtres, se rappelant les biens qu'ils avaient reçus d'Osiris, et comblés des bienfaits de la reine, firent selon l'intenlion d'Isis à laquelle ils cherchaient tous à complaire. C'est pourquoi, encore aujourd'hui, tous les prêtres prétendent avoir chez eux le corps d'Osiris, ainsi que les animaux qui lui sont consacrés dès l'origine ; et ils renouvellent les funérailles d'Osiris à la mort de ces animaux. »