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Chapitre XIII

Trois-et-Deux

Si Fandor pouvait être à bon droit légèrement ahuri par les formidables raclées qu’il recevait à la gare du Nord, à l’instant précis où il se précipitait sur Fantômas, bien certain d’ailleurs que les agents massés dans la gare allaient lui prêter main forte, Fantômas tout au contraire ne manifestait aucun étonnement, aucune émotion même, en se voyant soudain au centre d’une bagarre formidable, en comprenant que la police tentait un nouvel effort pour s’emparer de sa personne.

Fantômas ne manifestait aucune surprise, et à cela il y avait une bonne raison, une raison infiniment simple, qui était tout simplement qu’il s’attendait à la chose depuis Bruxelles.

Le Maître de l’épouvante, en effet, n’était point de ces hommes qui ne laissent rien au hasard, et que la destinée peut prendre au dépourvu. Il calculait tout, au contraire, savait être toujours sur le qui-vive, et, en conséquence, se trouvait toujours prêt à toutes les éventualités.

Que s’était-il donc passé et comment Fantômas pouvait-il s’attendre à ce que Fandor préparait contre lui ?

Lorsque le terrible bandit avait au passage à niveau échappé à Fandor qui crevait, d’un coup de revolver, le réservoir de sa voiture, Fantômas était littéralement furieux.

— Maudit journaliste ! jurait-il. Je n’arriverai donc jamais à le tuer…

Et il passait sa rage sur sa voiture, la conduisant de main de maître, mais avec une réelle brutalité.

Fandor, assurément, menait mieux que lui, et la voiture, bientôt, en mécanique intelligente, car les automobiles ne sont point des machines stupides, répondait aux brutalités dont elle était victime en s’arrêtant net !

Fantômas, à cet instant, réellement fou de colère, sautait du siège, arrachait les courroies qui retenaient le capot, se penchait sur le mécanisme…

Certes, l’instant était grave, les minutes avaient leur valeur, la panne choisissait bien son moment pour immobiliser Fantômas…

Le bandit, toutefois, avec son audace tranquille et son accoutumé sang-froid, ne s’effarait pas outre mesure.

Il avait bien fait cinq ou six kilomètres ; Fandor, éclopé comme il l’était, ne lui donnerait pas la chasse de sitôt, Fantômas pouvait donc encore disposer, croyait-il, d’une grande heure en toute tranquillité.

— Que va tenter Fandor ? se demandait en effet le Génie du crime. Tout au plus il peut prévenir la gendarmerie, mobiliser la police par télégraphe, donner le signalement de ma voiture… Le tout est donc de ne pas être immobilisé longtemps, et de pouvoir gagner de vitesse sur les instructions qui vont être données.

Fantômas, tranquillement, se mit à chercher sa panne. Il ne la trouvait pas toutefois avec facilité. Force lui était donc d’emprunter à son coffre, et cela afin de ne point trop se salir, de vieux vêtements pour se glisser sous le châssis et aller tripoter dans la boue du mécanisme.

Fantômas fit ainsi œuvre de mécanicien pendant près d’un quart d’heure. Enfin, la voiture repartit…

— Victoire ! criait Fantômas.

Mais, cent mètres plus loin, il déchantait… La voiture s’immobilisait encore, et s’immobilisait cette fois de façon définitive.

Et c’était la plus terrible des pannes qui survenait, celle qui est irrémédiable en pleine campagne, c’était la panne d’essence…

Fandor avait en réalité été merveilleusement inspiré en essayant de crever le réservoir de la voiture.

Fantômas ne s’était pas aperçu de la chose, désormais il était impuissant à repartir.

Que faire en ces conditions ?

Fantômas décidait tout d’abord de confier à ses complices la garde de l’automobile. Puis, lui-même prenait une petite valise dans laquelle il avait un costume de rechange, et, à pied, partait à l’aventure le long de la route.

Fantômas n’avait guère à ce moment de projets bien arrêtés. Il ne savait où il allait, il était désireux seulement de fuir, de s’éloigner au plus vite de ce maudit Fandor qui le talonnait depuis quelque temps de la plus redoutable façon.

Or, précisément il arrivait ce que Jérôme Fandor avait prévu : Fantômas, en longeant la grande route, finissait par apercevoir la halte où s’immobilisaient les trains rapides. Il avait tout naturellement l’idée de demander si un train n’allait point passer prochainement, et comme on lui répondait affirmativement, il se décidait à y prendre place.

Fantômas était donc monté dans le rapide de Bruxelles, était absolument persuadé qu’il dépistait définitivement Fandor.

Le convoi dans lequel Fantômas prenait place était toutefois quelques instants plus tard victime d’un incident qui devait suffire à donner l’éveil au Maître de l’effroi.

Fandor faisait des signaux sur la voie, contraignait le mécanicien à bloquer ses freins, puis disparaissait…

Les voyageurs, lorsque le train repartait, étaient tous d’accord pour affirmer que le mécanicien s’était trompé. Fantômas, lui, était fort tenté de croire le contraire.

Le Génie du crime, en effet, était beaucoup trop avisé, beaucoup trop réfléchi, pour admettre si facilement une erreur de la part d’un homme qui jurait ses grands dieux avoir vu, avoir bien vu, un homme étendu sur la voie, et faisant des gestes de détresse.

Fantômas, dès lors, soupçonneusement, se disait :

— C’est bizarre…

Si Fantômas, d’ailleurs, voulait réfléchir, il songeait que le train dans lequel il venait de prendre place l’avait en quelque sorte ramené sur ses pas, et que son arrêt avait été occasionné à très peu de distance de l’endroit où Jérôme Fandor devait précisément se trouver.

De là à conclure que l’inexplicable arrêt du train pouvait être imputé à l’intervention de Fandor, il n’y avait pas très loin, et Fantômas ne manquait pas de se poser la question.

C’était donc l’esprit en éveil que Fantômas arrivait à Bruxelles et descendait du wagon de seconde classe où il était monté avec ses habits d’apache, ses vieux habits, sans la moindre vergogne.

Mais Fantômas n’était pas plutôt descendu sur le quai qu’il se disait, tout naturellement :

— Si j’étais Fandor, que ferais-je ? à supposer que Fantômas se trouve dans ce train ?

Immédiatement Fantômas se répondit :

— Je me précipiterais vers la sortie et j’irais guetter les personnes qui sortent !

Ayant décidé ce que devait faire Fandor, Fantômas immédiatement tirait parti de sa pensée : il examinait de loin la sortie de la gare de Bruxelles, et tout naturellement il apercevait là, masqué par un tas de bagages, un homme habillé en bleu qui n’était autre que Jérôme Fandor.

— Très bien, se dit Fantômas. C’est absolument parfait…

Et tranquillement il revint vers son wagon, à peine contrarié par la pensée que Jérôme Fandor, loin d’abandonner sa poursuite, était tout au contraire acharné sur sa piste.

Le Maître de l’effroi, quelques instants plus tard, souriait :

— Eh bien, soit, décidait-il, puisque Fandor est là, finissons-en…

Loin de se cacher, Fantômas se promenait ostensiblement le long du train, ne cherchant nullement à éviter Fandor.

C’était Fandor, en effet, qui évitait le bandit, et Fantômas, qui le surveillait du coin de l’œil, sans en avoir l’air regardant dans une glace qui lui permettait de voir derrière lui, discernait parfaitement la course rapide du journaliste se précipitant au télégraphe pour câbler à la Sûreté.

— Allons, pensa Fantômas à ce moment, Jérôme Fandor va encore avoir le dessus ! Il s’apprête en tout cas à me faire prendre plus tard, il donne des instructions pour notre arrivée, j’ai toutes les chances du monde de pouvoir voyager tranquillement !

Fantômas regagna son compartiment, s’enveloppa d’une couverture de laine, baissa la lampe bleue de son wagon, et s’endormit.

Il était difficile au Maître de l’effroi, toutefois, de sommeiller tranquillement alors qu’il connaissait, dans le même train que lui, la présence de cet adversaire acharné qu’était Jérôme Fandor.

Fantômas, bientôt, renonça à dormir, et se prit à songer :

— Que diable a pu télégraphier cet infernal journaliste ?… pensait-il.