Fantômas ne pouvait s’adresser à ses autres complices, car ceux-ci, bien évidemment, et cela par sa faute, n’étaient pas au courant de ses dernières aventures.
Fantômas, dans ces conditions, prenait un ton aimable pour interroger Trois-et-Deux.
— Je viens chercher des renseignements, disait-il, et je paierai bien.
Trois-et-Deux, à un tel exorde, répondait par un aimable sourire.
— Bien payer, déclarait-il sentencieusement, c’est le moyen d’être bien servi. Que veux-tu savoir, Fantômas ?
Le Maître de l’effroi parut, avant de répondre, réfléchir quelque peu.
— Je voudrais, hasardait-il enfin, connaître exactement ce que fait Juve depuis quelque temps ?
Un sourire passa sur les lèvres de Trois-et-Deux, qui, ayant introduit Fantômas dans une petite pièce organisée en bureau, s’était assis sans façon sur le coin de sa table.
— Fort bien, répondait-il. Depuis quand, Fantômas, veux-tu ces renseignements ?
Le Maître de l’effroi, à ce moment, regardait soupçonneusement Trois-et-Deux.
L’infernal contre-policier souriait, en effet, d’un sourire énigmatique, et cela n’était pas sans inquiéter le Génie du crime qui, brusquement, demanda :
— Pourquoi ris-tu, Trois-et-Deux ?
Le bonhomme ne fit aucune difficulté pour répondre.
— Parce que, répliquait-il, Fantômas, je pense que si je voulais m’amuser à te donner tous les renseignements qui peuvent être pris sur Juve, il faudrait que je te fasse fouiller dans plus de cent mille documents…
— Fichtre… dit Fantômas. Tu pistes donc Juve ?…
Trois-et-Deux eut un petit hochement de tête satisfait.
— Naturellement, déclarait-il. Je pique des fiches sur lui le plus souvent possible. Elles te serviront quelque jour, Fantômas, tu verras !
Trois-et-Deux avait l’air de sous-entendre quelque chose qu’il ne voulait point préciser ; il reprit brusquement :
— Enfin, Fantômas, précise ta question. Que dois-je t’apprendre sur Juve ?
Fantômas, à son tour, se fit net et précis.
— Voici, dit-il. Qu’a fait Juve depuis son retour à Paris ?
Trois-et-Deux ferma les yeux, et, tout d’une tirade, débita :
— Juve a été pris par moi-même en filature à son arrivée à la gare du Nord. Ceci est d’ailleurs le fait d’une coïncidence ; c’est par hasard que je l’ai rencontré. Juve a été tranquillement, fort tranquillement, mon Dieu, enquêter chez un chemisier, j’ai pu savoir à quel sujet… Il voulait avoir des renseignements relativement à un certain Daniel dont il a retrouvé le cadavre fort habilement grimé et qui…
Mais Trois-et-Deux n’achevait pas. Fantômas, en l’écoutant, avait brusquement blêmi.
— Tu dis ? interrompait-il, que Juve a été enquêter à propos d’un certain Daniel ?… Sait-il donc que ce Daniel a été tué par moi ? Sait-il son nom ?
Trois-et-Deux hocha la tête, affirmativement.
— Laisse-moi achever, Fantômas. Juve n’est pas un imbécile, tu devrais le savoir ! Donc, il a enquêté à propos de ce Daniel, et il a trouvé qu’il s’agissait d’un certain clerc de notaire habitant Grenoble et travaillant à l’étude appartenant à M e Théodore Gauvin. Juve a téléphoné à M e Gauvin, mais je n’ai pas pu entendre, naturellement, ce qu’ils disaient. J’ajoute qu’il ne me paraît pas impossible que M e Gauvin vienne à Paris, ou que Juve aille à Grenoble…
Trois-et-Deux se taisait. Fantômas, qui était toujours très pâle et se mordait les lèvres, interrogea encore :
— C’est tout ?…
Trois-et-Deux répondit avec affabilité :
— C’est tout… et c’est vingt-cinq louis !
Le prix de la consultation était évidemment extraordinaire, quelque peu exagéré même. Fantômas, toutefois, le payait sans sourciller.
Le billet bleu qu’il avait sorti de sa poche fut rapidement caché par Trois-et-Deux. Fantômas interrogeait encore :
— Autre chose, demandait-il. Qu’a-t-on fait du cadavre de ce Daniel ?
Trois-et-Deux parut surpris de la question.
— Eh, ripostait-il, on en a fait ce qu’on fait toujours d’un cadavre en pareil cas, il est à la morgue…
À ces mots, Fantômas éclatait littéralement de rire, haussant les épaules, semblant s’amuser infiniment.
— Juve a mis ce cadavre à la morgue ! murmurait-il. Ah ! l’imbécile, l’imbécile !
Puis Fantômas, changeant de ton, redevenant sérieux.
— Merci, Trois-et-Deux, faisait-il. Je n’ai rien d’autre à te demander, au revoir…
— Au revoir, fit le bonhomme, à ta disposition !
Fantômas descendit rapidement l’escalier, demanda le cordon au concierge, sortit, recommença à descendre la rue d’Hauteville.
Un peu avant d’arriver au boulevard, Fantômas héla un taxi-auto.
— Passage Tivoli, commandait-il, à la gare Saint-Lazare !
Le taxi fila rapidement par les rues désertes à cette heure. Fantômas arrivait bientôt à l’entrée du passage Tivoli, payait sa voiture, et gagnait l’un des hôtels louches qui se trouvent à cet endroit et que fréquente le plus ordinairement une pègre interlope aux occupations douteuses.
Fantômas entra dans l’un de ces hôtels, et, sans même avertir le garçon, qui d’ailleurs s’effaçait devant lui en donnant des signes de profond respect, montait directement jusqu’à une chambre où il frappa rudement.
Une voix enrouée s’informa :
— Qu’est-ce qu’il y a, bon Dieu !… on ne peut pas vous laisser pioncer tranquillement !
— Ouvre ! insista Fantômas.
Le bandit, évidemment parlait d’une certaine façon où encore le ton de sa voix était connu, car immédiatement on entendait le bruit de deux pieds nus accourant sur le sol.
La porte s’ouvrit, un homme en chemise se montra :
— Ah çà, c’est vous, patron ? Bon Dieu, qu’est-ce qu’il y a donc ?
— Rien, dit Fantômas. Absolument rien. Seulement, j’ai besoin de toi, Bedeau. Lève-toi, et viens !
Le Bedeau ne faisait nulle objection, n’opposait pas davantage une seule question au Maître de l’effroi.
Le Bedeau savait fort bien que Fantômas n’était pas homme à tolérer qu’on se permît de l’interroger. Il savait aussi que le Maître ne le dérangeait pas à l’improviste sans de graves raisons, et que si Fantômas faisait appel à lui, c’était qu’il était nécessaire qu’il se mît à sa disposition, c’est qu’il était urgent qu’il obéisse.
— Bon… bon… dit Le Bedeau, je m’habille et je calte… Ah, tout de même, Fantômas, tu choisis mal ton jour… Cette nuit, j’avais du monde !
— Qui ? demanda Fantômas.
— La Rouquine.
— Que la Rouquine vienne…
Dix minutes plus tard, le trio étrange quittait le bouge du passage Tivoli.
Fantômas avait changé d’habits chez Le Bedeau. Il avait laissé chez ce lieutenant dévoué ses vêtements élégants. Maintenant il portait une veste d’ouvrier, un pantalon de velours, et, sans faux-col, la chemise débraillée, il apparaissait souple, élancé, mince, plus à son aise encore.
À côté de Fantômas, la casquette enfoncée sur les oreilles, un foulard autour du cou, les mains dans ses poches, Le Bedeau marchait. Il ne semblait pas encore très bien réveillé, ou bien il titubait quelque peu…
Derrière eux, enfin, à quelques pas, la Rouquine, en gonzesse qui sait garder ses distances, marchait lentement, laissant les hommes jacter et ne se doutant aucunement que le compagnon de son amant était le terrible Fantômas.
Le Bedeau pourtant, qui se réveillait en raison de la fraîcheur de la nuit, le Bedeau tranquillement déclarait :
— C’est tout de même pas pour nous offrir un lait Vichy que tu nous a tirés du pieu, la môme et moi, Fantômas… Où c’est donc qu’on radine ?
Fantômas, pour toute réponse, se retournait et d’un geste appelait la Rouquine :
— De quoi ? fit la femme. Qu’est-ce qu’on me veut ?…
Fantômas dévisageait la pierreuse, un sourire ironique semblait réellement flotter sur ses lèvres.
— La Rouquine, commença-t-il, je ne te connais pas, et je ne veux pas te connaître. Toutefois, fais bien attention à mes paroles : il se passe cette nuit quelque chose d’assez grave, tu vas nous aider, à coup sûr, n’est-ce pas, tu connais tous les amis du Bedeau ?