Fantômas brusquement s’interrompait.
— Au fait, murmurait-il, je n’ai pas besoin de vous expliquer tout cela. Soyez là où je vous dis pour me prêter main forte, le cas échéant, et c’est l’essentiel.
Fantômas achevait de parler, haussait les épaules en homme qui se moque pas mal après tout des entreprises qu’il est sur le point de tenter, puis, sans ajouter un mot, hautainement redressé, s’éloignait, marchant à grands pas, ayant l’air de profondément mépriser ceux qu’il appelait pourtant ses amis.
Fantômas, à ce moment, se perdait dans la nuit, marchant volontairement dans les coins d’ombre, évitant l’auréole lumineuse des becs de gaz. Il allait vite et sans bruit… Rien qu’à le voir, on eût deviné qu’il était l’ami de l’ombre, qu’il était l’ami des ténèbres, le familier des nuits obscures…
Fantômas ne témoignait d’ailleurs d’aucune hésitation ni d’aucune inquiétude. Quel que fût le plan qu’il allait tenter de mettre à exécution, il n’était pas évidemment inquiet à son sujet ; il considérait sa réussite comme certaine.
Mais quel était donc ce plan ? Quelle résolution Fantômas avait-il donc arrêtée lorsqu’il était sorti de chez Trois-et-Deux, le contre-policier, qu’il avait vu cette nuit-là même ?
Quelques minutes plus tard, Fantômas atteignait la petite place sur laquelle s’élèvent encore les bâtiments de la morgue qu’il est toujours question de démolir, et dont la municipalité parisienne ne parvient pas, malgré tout, à débarrasser l’île Saint-Louis.
Fantômas avait pour le lugubre bâtiment, refuge dernier de tant de désespérés, de tant d’inconnus, qui cherchent dans la mort l’oubli parfait et éternel, un regard de pitié méprisante.
Il semblait mesurer du geste la hauteur des murailles, il semblait sonder du regard la profondeur, l’épaisseur du monument.
— Bien ! fit-il enfin d’un ton pensif. Ce qui est nécessaire est nécessaire, et d’ailleurs, je n’ai pas le choix des moyens…
Frissonnant un peu, secoué, semblait-il, d’une très réelle émotion, Fantômas longea la morgue et se pencha par-dessus le parapet de pierre qui domine à pic les flots boueux de la Seine, battant l’île Saint-Louis.
— Je pense, murmurait-il, que le chemin est toujours praticable…
Mais de quel chemin s’entretenait-il ? À quoi pouvait-il bien faire allusion, puisque, à l’endroit où il se penchait, le fleuve baigne directement les murailles, et qu’il n’existe, au bas de la morgue, aucune espèce de berge.
Fantômas évidemment employait un terme pour un autre… Le chemin dont il s’agissait n’était pas un véritable chemin, c’était tout bonnement un moyen de pénétrer dans le monument, car, ainsi qu’il l’avait dit au Bedeau, Fantômas prétendait s’introduire cette nuit-là dans la morgue.
Fantômas, d’ailleurs, penché sur les flots de la Seine, témoignait bien vite d’une certaine satisfaction.
— Très bien ! disait-il. Rien n’est changé, et je ne vais pas avoir la moindre difficulté…
Mais Fantômas assurément exagérait, car il semblait tout au contraire qu’il s’apprêtait à se livrer à l’un de ces périlleux exercices dans lesquels il était passé maître, qu’il accomplissait d’ordinaire comme en se jouant, en véritable amoureux de la gymnastique, en homme aussi qui aime à affronter le danger, à défier la mort, à vaincre le péril…
D’un rapide coup d’œil, le Génie du crime s’assurait tout d’abord que nul ne pouvait épier ses faits et gestes. À droite et à gauche de la morgue, les ponts semblaient déserts. Bien évidemment nul passant à cette heure ne se souciait de flâner aux environs de la sinistre maisonnette. Les gardiens de la paix, d’autre part, n’effectuaient pas de faction à cet endroit. Fantômas était donc tranquille, libre d’agir.
Et dès lors, en effet, il se hâtait…
Le Maître de l’effroi, tout d’abord, commençait par enjamber le parapet. Il se retenait à la pierre, et se laissait pendre dans le vide. Ses pieds rasèrent alors la muraille, cherchant un point d’appui. Il finit par trouver, en tâtonnant, un gros anneau de fer, mis là évidemment pour aider au sauvetage de quelque péniche en danger de naufrage en ce coin du fleuve où les courants sont toujours très violents.
Fantômas, appuyé sur cet anneau, risquait alors la plus périlleuse des gymnastiques : il se collait littéralement à la muraille, puis, lâchant les mains, il se laissait tomber sur la droite, ses pieds posant sur l’anneau, lui permettant de se tendre, de s’allonger…
Or, en tombant de la sorte, Fantômas finissait par pouvoir attraper des deux mains un autre anneau de fer auquel il semblait ne se retenir qu’une seconde à peine.
Fantômas, en effet, lâchait à ce moment l’appui de ses pieds. Son corps tombait, tournant au bout de ses bras, un coup de rein augmentait son élan, et cette fois il bondissait dans le vide…
Et ce bond de Fantômas, ce bond qu’il réussissait ainsi, ayant pris par sa chute calculée une sorte d’élan factice, était merveilleusement voulu.
Loin de tomber, en effet, loin de rouler dans le fleuve qui clapotait en dessous de lui, Fantômas se jetait littéralement contre les grillages d’une sorte de petite fenêtre percée dans les murs même de la morgue et qui surplombe le fleuve. Il s’agrippait aux barreaux, bandait ses muscles, un rétablissement, un coup de rein encore, lui permettaient de se relever, de prendre pied sur la fenêtre.
Le reste, dès lors, n’était qu’un jeu d’enfant !… Fantômas, étendant le bras, pouvait atteindre en effet au-dessus de sa tête le rebord de la gouttière du toit. Il l’empoignait à pleines mains, faisait encore un effort prodigieux et se hissait dans cette gouttière.
Le bandit n’avait plus alors qu’à traverser le toit à plat ventre pour sauter dans la courette intérieure. Une fois là, il lui était évidemment facile de pénétrer dans les différentes salles dont les portes intérieures n’étaient naturellement pas fermées.
Fantômas, quelques instants plus tard, en effet, se trouvait seul dans la cour intérieure de la morgue. D’abord, il commençait par s’asseoir sur le brancard d’une civière qui traînait là, à l’abandon, ayant été probablement déposée très tard par les porteurs de quelque hôpital.
Fantômas, sans souci du tragique endroit où il se trouvait, tirait une cigarette de sa poche, l’allumait, en aspirait quelques bouffées…
Et c’était seulement lorsqu’il s’était reposé quelques secondes que Fantômas se décidait à se lever.
— Inutile de flâner maintenant, murmurait-il ; je dois songer au plus pressé.
Fantômas jeta sa cigarette et, semblant fort décidé, paraissant se diriger vers un but très net, entra dans une sorte de petit corridor qui, longeant l’amphithéâtre où sont professés les cours de médecine légale, aboutissait à la salle où le public est admis à défiler devant les cadavres inconnus que la police tient à faire identifier.
— Je ne suppose pas, murmurait Fantômas, que Juve l’a fait mettre parmi les morts exposés… Voyons tout de même !
Arrivé dans la salle du public, dans cette salle macabre, séparée en deux par une grande vitre, derrière laquelle sont exposés les morts, Fantômas s’arrêtait interdit.
Certes, le Maître de l’épouvante avait maintes et maintes fois commis d’épouvantables horreurs. Certes, lui qui se vantait à juste titre d’être le plus raffiné des tortionnaires, avait assisté à des spectacles plus abominables encore.
Mais l’impression qui se dégageait de la vision nocturne qu’il avait sous les yeux, de ces morts inconnus qui étaient là, roidis dans une pose conventionnelle ayant l’air de dormir d’un sommeil de cauchemar, lui causait un malaise indéfinissable et cette sensation nouvelle le forçait sans doute à réfléchir que lui, qui avait tant tué, serait un jour tout comme un autre, un pauvre et misérable cadavre, puisque la mort est égale pour tous, étant une loi inéluctable, une loi courbant sous son tranchet les forts, les puissants, les riches, aussi bien que les pauvres et les faibles…
Fantômas, machinalement, s’était découvert…
Il éprouva brusquement une certaine honte de son attitude respectueuse.
Lui qui n’admettait aucune contrainte, se révoltait à l’idée du plus faible amoindrissement occasionné à sa volonté souveraine, ne pouvait tolérer d’être victime d’un sentiment de respect.
— Ah ! je suis un sot ! bougonna-t-il… Ces misérables disparus me font en vérité plus peur qu’une armée de policiers…