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— Je mourrais, très probablement. » Il se courba pour grossir son pauvre fagot.

« Tu n’envisages pas que j’y pourvoie moi-même ?

— Tu y pourvoirais sur-le-champ, s’il s’agissait de sauver ta peau. Quand ton copain Chiggen a pris sa flèche en plein ventre, tu n’as guère barguigné pour le faire taire. » Il lui avait effectivement tranché proprement la gorge d’une oreille à l’autre en le tirant par les cheveux. Quitte à le prétendre, après, mort de sa blessure…

« Il était perdu, de toute façon, grogna Bronn, et ses glapissements risquaient de nous mettre à dos toute la région. Il aurait agi de même envers moi…, puis ce n’était pas mon copain. On faisait route ensemble, et rien d’autre. T’y trompe pas, nabot. J’ai combattu pour toi, mais je ne t’aime pas.

— J’avais besoin de ton épée, répliqua Tyrion, pas de ton amour. » Il laissa choir au sol sa brassée de bois.

« Faut te reconnaître au moins ça, gloussa Bronn, t’as autant de culot que le dernier des sbires ! Comment savais-tu que j’allais prendre ton parti ?

— Savais ? » Tyrion s’accroupit gauchement sur ses pattes torses pour échafauder le foyer. « Simple coup de dés. Vous avez secondé ma capture, à l’auberge, toi et Chiggen. Pourquoi ? Les autres y voyaient un devoir, ils s’y croyaient tenus par l’honneur de leurs maîtres, pas vous deux. N’ayant ni maître, ni devoir, et d’honneur…, passons, pourquoi vous embringuer dans tout ce micmac ? » Tirant son couteau, il se mit à tailler dans l’un des bâtons qu’il avait rassemblés de menus copeaux en guise de sarments. « Eh bien, pour le seul motif qui guide les reîtres, invariablement : l’or, l’appât de l’or. Vous vous étiez dit que lady Catelyn vous récompenserait, peut-être même qu’elle irait jusqu’à vous prendre à son service… Bon, voilà qui devrait aller, j’espère. Tu as un briquet ? »

Glissant deux doigts dans son aumônière, Bronn en extirpa un silex et le lui jeta. Tyrion l’attrapa au vol.

« Merci, dit-il. Le hic est que vous ne connaissiez pas les Stark. Si foncièrement fier, honnête et chatouilleux sur l’honneur que soit lord Eddard, son épouse est pire. Oh, certes, elle se fût fouillée d’une pièce ou deux et vous les eût plantées, l’affaire achevée, dans la paume avec un mot de grâces et une mine dégoûtée, mais quant à vous allouer mieux, bernique. Des gens qu’ils élisent pour les servir, les Stark requièrent courage, loyauté, probité sans faille, et qu’étiez-vous, Chiggen et toi ? de la racaille de bas étage, pour ne rien farder. » Il entrechoquait cependant la pierre et sa dague afin d’en tirer une étincelle. Vainement.

« Gare à ta langue, demi-portion, renifla Bronn, ou, tôt ou tard, un ombrageux te la fera bouffer.

— Refrain connu. » Il releva les yeux. « Je t’ai vexé ? Mille pardons, mais… racaille tu es, Bronn, ne t’y méprends pas. Devoir, honneur, amitié, que signifie cela pour toi ? Holà ! pas la peine que tu te tracasses, nous savons la réponse tous deux. Cela dit, tu n’es pas bouché. Dès notre arrivée dans le Val, lady Stark n’avait plus que faire de toi…, moi si, et l’unique chose dont les Lannister n’aient jamais manqué, c’est l’or. Le moment venu de lancer les dés, je t’ai escompté suffisamment futé pour saisir d’emblée le parti le plus rentable. Et tu l’as fait, par bonheur pour moi. » Il fit à nouveau sonner la pierre contre l’acier. Sans plus de succès.

« Donnez », dit Bronn en s’accroupissant à son tour. Il lui prit des mains le silex et l’arme et, dès le premier essai, fit jaillir une gerbe d’étincelles. Aussitôt s’éleva une mince volute de fumée.

« Bravo, dit Tyrion. Racaille il se peut, mais utile, indiscutablement. Et, l’épée au poing, presque aussi brillant que mon frère. Que souhaites-tu, Bronn ? De l’or ? Des terres ? Des femmes ? Veille sur ma vie, tu auras tout ça. »

Comme Bronn soufflait doucement sur les premières braises, des flammes commencèrent à lécher le bois. « Et si vous mourez quand même ?

— Hé bien, je serai pleuré d’au moins un cœur sincère, sourit Tyrion. Moi disparu, envolé l’or. »

Le feu flambait d’un air gaillard. Bronn se leva, remit le silex dans sa bourse, lança son couteau à Tyrion. « Marché correct, dit-il. Vous pouvez compter sur mon épée…, mais n’espérez pas que je me prosterne en vous donnant dumonseigneur à chaque crotte que vous ferez. Pas mon truc, et avec quiconque, l’obséquiosité.

— Ni l’amitié, et avec personne, je sais. Je sais aussi que tu me renierais aussi vite que lady Stark si tu y voyais le moindre profit. Mais si, un jour, tu étais tenté de me vendre, n’oublie pas ceci, Bronn : quelle que soit l’offre, je surenchéris. Pour la bonne et simple raison que j’aime la vie. A présent, te fais-tu fort de nous procurer à dîner ?

— Soignez les chevaux », répondit simplement le reître et, dégainant déjà le long coutelas plaqué contre sa hanche, il s’enfonça dans le fourré.

Une heure plus tard, les montures, dûment pansées, digéraient leur picotin, le feu pétillait gaiement, un cuissot de chevreau tournait par-dessus, grésillant, jutant d’aimables sifflotais. « Il ne faudrait, pour l’arroser, qu’un doigt de bon vin…, déplora Tyrion.

— Plus une femme et dix ou douze fines lames », déclara Bronn qui, assis en tailleur près des flammes, passait, repassait la pierre à aiguiser le long de sa flamberge. Et il y avait quelque chose d’étrangement réconfortant dans le crissement de l’une sous l’autre. « La nuit sera bientôt close, signala-t-il. Je monterai la première veille…, si tant est que ça serve. Il serait peut-être plus délicat de les laisser nous égorger durant notre sommeil.

— Oh, j’imagine qu’ils seront ici bien avant l’heure du coucher », lâcha Tyrion. Le fumet de la viande en train de rôtir humectait ses papilles.

Bronn le dévisagea, par-dessus le feu. « Vous avez un plan, dit-il du ton d’un simple constat, tandis que la pierre crissait sur l’acier.

— Dis plutôt un espoir, rectifia Tyrion. Sur un nouveau coup de dés.

— Dont nos vies sont l’enjeu, c’est ça ? »

Tyrion se trémoussa. « Avons-nous le choix ? » S’inclinant sur les flammes, il découpa une lichette de chevreau. « Hmmmm ! grogna-t-il d’un air d’extase, le menton tout luisant de gras. Un brin coriace, pour mon goût, sans parler du défaut d’épices, mais trêve de jérémiades. Aux Eyrié, je gambillerais au bord du précipice en rêvant de fayots bouillis.

— Vous avez néanmoins couvert d’or le geôlier…

— Un Lannister paie toujours ses dettes. »

Il avait estomaqué Mord lui-même en lui lançant la bourse de cuir. Et quels yeux, quand le bougre, les doigts empêtrés dans les cordons, entrevit les reflets de l’or! deux éteufs de paume… « J’ai gardé l’argent, précisa Tyrion d’un sourire oblique, mais, comme promis, voici l’or. » Plus d’or que de sa vie n’en pouvait espérer extorquer un tortionnaire comme Mord à la misère de ses détenus… « Et rappelle-toi, ceci n’est jamais qu’un hors-d’œuvre. Si l’écœurement te prenait de servir ta lady Arryn, frappe à Castral Roc, et je te verserai le solde. » Lors, les mains ruisselantes de dragons d’or, le bougre était tombé à deux genoux, jurant ses grands dieux de n’y point manquer !

Pendant que Tyrion évidait en guise d’assiettes deux rouelles de pain rassis, Bronn retira la viande du feu et se mit en devoir d’y tailler de fortes tranches croustillantes au plus près de l’os. « Si nous atteignons le Trident, dit-il ce faisant, que comptez-vous faire, ensuite ?