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— Et le fils ?

— Il passe, lui aussi, une partie de son temps à Paris, mais moins que son père. Il fait beaucoup de ski en Suisse et en Autriche, participe à des rallyes automobiles, à des régates, sur la Côte d'Azur, en Angleterre et en Italie, joue au polo...

— Donc, sans profession.

— Définitivement.

— Marié ?

— Il l'a été pendant un an, à un mannequin, et a divorcé. Écoutez, Maigret, je ne veux pas jouer au plus fin avec vous. Je ne sais pas où vous essayez d'en venir, ni ce que vous avez dans la tête. Je vous demande seulement de ne rien faire sans m'en parler. Quand je dis que Stuart Wilton est un grand ami de la France, c'est vrai, et ce n'est pas pour rien qu'il est commandeur de la Légion d'honneur.

« Il possède, chez nous, d'énormes intérêts et c'est un homme à ménager.

« Sa vie privée ne nous regarde pas, à moins qu'il n'ait enfreint gravement les lois, ce qui me surprendrait.

« C'est un homme à femmes, Je ne serais pas surpris, pour être tout à fait franc, d'apprendre qu'il a quelque manie cachée. Laquelle, je ne tiens pas à le savoir.

« Pour ce qui est de son fils et du divorce de celui-ci, je peux vous répéter ce qui a été une rumeur à l'époque, car vous l'apprendrez de toute façon.

« Lida, le mannequin que le jeune Wilton avait épousé, était une fille exceptionnellement belle, d'origine hongroise, si je ne me trompe... Stuart Wilton était opposé au mariage. Le fils a passé outre et, un beau jour, il se serait aperçu que sa femme était la maîtresse de son père.

« Il n'y a pas eu d'éclat. Dans ce milieu-là, les éclats sont rares et on s'arrange entre gens du monde.

« Le fils a donc demandé le divorce.

— Et Lida ?

— Ce que je vous raconte s'est passé il y a environ trois ans. On a vu, depuis, sa photographie dans les journaux, car elle a été tour à tour l'amie de plusieurs personnalités internationales et, si je ne me trompe, elle vit aujourd'hui à Rome avec un prince italien. C'est ce que vous vouliez savoir ?

— Je l'ignore.

C'était vrai. Maigret était tenté de jouer cartes sur table, de tout raconter à son collègue. Mais les deux hommes voyaient les choses d'un point de vue trop différent.

Pour en revenir à la petite phrase du matin, le commissaire Danet, lui, devait parfois prendre le thé à cinq heures tandis que Maigret, à midi, avait déjeuné dans un bistrot aux nappes en papier avec des ouvriers et des Nord-Africains.

— Je viendrai vous en reparler quand j'aurai une idée. Au fait, Stuart Wilton est à Paris en ce moment ?

— À moins qu'il se trouve sur la Côte d'Azur. Je peux m'en assurer. Il vaut mieux que ce soit moi qui m'informe.

— Et le fils ?

— Il habite le George-V, dans la partie résidence, où il a un appartement à l'année.

— Je vous remercie, Danet.

— Soyez prudent, Maigret.

— Promis !

Il n'était pas question, pour le commissaire, d'aller sonner à la porte de Stuart Wilton et de lui poser des questions. Au George-V, d'autre part, on lui répondrait d'une façon polie, mais vague.

Le juge Cajou savait ce qu'il faisait en remettant son communiqué à la presse : l'affaire du bois de Boulogne était un règlement de comptes. Ce qui signifiait qu'il n'y avait pas lieu de s'émouvoir, ni de trop chercher à savoir.

Certains crimes soulèvent l'émotion publique. Cela tient parfois à peu de choses, à la personnalité de la victime, à la façon dont elle a été tuée, ou encore à l'endroit où cela s'est passé.

Par exemple, si Cuendet avait été assassiné dans un cabaret des Champs-Élysées, il aurait eu droit à un gros titre en première page.

Mais c'était un mort presque anonyme, sans rien pour retenir l'attention des gens qui lisent leur journal dans le métro.

Un repris de justice qui n'avait jamais commis de crime sensationnel et qu'on aurait aussi bien pu repêcher n'importe où dans la Seine.

Or, c'était lui, justement, bien plus que Fernand et sa bande, qui intéressait Maigret, alors qu'il n'avait pas le droit de s'occuper officiellement de l'affaire.

Pour les gangsters de la rue La Fayette, on mettait toute la police en alerte. Pour Cuendet, le pauvre Fumel, sans voiture à sa disposition, pas sûr de se voir rembourser ses frais de taxi s'il avait le malheur d'en prendre, était seul chargé des recherches.

Il avait dû se rendre rue Mouffetard, fouiller l'appartement de Justine, lui poser des questions auxquelles elle n'avait répondu qu'à sa façon.

De son bureau, Maigret appela quand même l'institut médico-légal. Au lieu de s'adresser au Dr Lamalle ou à un de ses assistants, il préféra parler à un garçon de laboratoire qu'il connaissait depuis longtemps et à qui il avait eu l'occasion de rendre un service.

— Dites-moi, François, vous avez assisté à l'autopsie d'Honoré Cuendet, le type du bois de Boulogne ?

— J'y étais, oui. Vous n'avez pas eu le rapport ?

— Ce n'est pas moi qui suis chargé de l'enquête ; j'aimerais pourtant savoir.

— Je comprends. Le docteur Lamalle pense que le client a reçu une dizaine de coups. Il a d'abord été frappé par-derrière, avec tant de force que le crâne a été défoncé et que la mort a été instantanée. Vous savez que le docteur Lamalle est très bien ? Ce n'est pas encore notre brave docteur Paul, certes, mais, ici, tout le monde l'aime déjà.

— Les autres coups ?

— Ils ont atteint le visage alors que l'homme était couché sur le dos.

— Avec quel genre d'instrument suppose-t-on qu'il a été frappé ?

— Ces messieurs en ont longuement discuté et ont même fait plusieurs expériences. Ce n'est, paraît-il, ni avec un couteau, ni avec une clé anglaise ou un outil de ce genre, comme d'habitude. Pas avec une pince-monseigneur non plus, ni un casse-tête. L'objet employé présentait, ai-je entendu dire, plusieurs aspérités. En outre, il était lourd et massif.

— Une statue ?

— C'est la supposition qu'ils ont émise dans leur rapport.

— Ils ont pu déterminer à peu près l'heure de la mort ?

— Selon eux, il était environ deux heures du matin. Entre une heure et demie et trois heures, mais plutôt vers deux heures.

— Il a beaucoup saigné ?

— Non seulement il a saigné, mais de la matière cervicale a été répandue. Il lui en collait encore dans les cheveux.

— On a analysé le contenu de l'estomac ?

— Vous savez ce qu'il contenait ? Du chocolat pas encore digéré. Il y avait aussi de l'alcool, pas beaucoup, qui avait à peine commencé à pénétrer dans le sang.

— Je vous remercie, François. Si on ne vous demande rien, ne dites pas que je vous ai téléphoné.

— Cela vaut mieux pour moi aussi.

Fumel téléphonait un peu plus tard, au commissaire.

— Je suis allé chez la vieille, patron, et elle m'a accompagné à l'institut médico-légal. C'est bien lui.

— Comment cela s'est-il passé ?

— Elle a été plus calme que je ne le craignais, Quand j'ai proposé de la reconduire, elle a refusé et est partie toute seule vers la station de métro.

— Tu as fouillé l'appartement ?

— Je n'ai rien trouvé, que des livres et des revues.

— Pas de photographies ?

— Une mauvaise photo du père, en soldat suisse, et un portrait d'Honoré bébé.

— Pas de notes ? Tu as fouillé les livres ?

— Rien. Cet homme-là n'écrivait pas, ne recevait pas de lettres. À plus forte raison sa mère.

— Il y a une piste que tu pourrais suivre, à condition d'être très prudent. Un certain Stuart Wilton habite rue de Lonchamp, où il possède un hôtel particulier à je ne sais quel numéro. Il a une Rolls Royce et un chauffeur. Il doit bien leur arriver de laisser l'auto au bord du trottoir ou de la confier à un garage. Essaie de voir si, à l'intérieur, il n'y a pas une couverture en chat sauvage.