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Dominant la répugnance qu’inspire tout individu privé de vie à tout autre disposant encore de la sienne, je me mets à palper son visage, à tirer sur ses cheveux, sur ses oreilles, à pincer son nez et son menton. J’humecte le coin de mon mouchoir et lui en frotte différentes parties de sa figure. Ouichtre ! comme disaient les Auvergnats, jadis, dans les dessins humoristiques généralement axés sur la scatologie, tout paraît de bon aloi.

Une flageolance me biche. Un début de nausée. S’agirait-il du vrai prince ? Pourtant ce cadavre est froid, raide, déjà malodorant. Or je me trouvais en compagnie du diplomate il n’y a pas si longtemps.

Je cherche les fameux grains de beauté sous l’oreille : ils s’y trouvent. Le gros qui a la dimension d’une pièce de cinquante centimes et, au-dessous, le petit, format grain de café !

Un sosie fabriqué de toutes pièces, longuement, patiemment, et d’une façon hallucinante de vérité.

Les deux autres mecs, sont, à n’en pas douter, Ange Zirgon et Achille Lanprendeux, les perdreaux qui furent dépêchés chez la mamie Mina dans le courant de la nuit.

A quel moment a-t-on trucidé les deux poulets ?

Mystère.

A éclaircir si possible. Sinon, je t’offrirai une boîte de caramels mous, les amis du dentier.

Je suis arraché à ma méditation professionnelle par la mère Mina (l’amère Mina) laquelle sort de son évanouissement, mais pas en grande forme.

Elle est assise sur la moquette, les cannes à l’équerre. Comme elle a contracté au cours de sa vie vouée à la prostitution, l’habitude de ne pas porter de culotte, et re-comme ses hardes sont troussées haut, on lui constate la cressonnière sans s’énucléer. Chatte qui n’a rien de suggestif, non plus que de désopilant, affaissée, toute en lourdes babines qui pendent comme les tentures d’un vieil hôtel délabré, enfourrée de pauvres poils trop longtemps compissés, qui clairsèment par plaques, défrisent d’avoir été constamment enfoutraillés, se décolorent au fil du temps, acquièrent la rêchitude agressive du crin de matelas ayant traversé une vie d’homme sans cardage réparateur.

Pauvre chatte surmenée une vie durant. Chatte en tas, tant de fois malmenée. Chatte à tout faire, héroïque par trop d’acceptations insensées. Chatte à caprices, jaunie sous le « harnois », chatte plus flétrie que chrysanthème d’après Toussaint, chatte qui s’est lentement défaite pour avoir trop servi, chatte de vieille pute qui n’aura connu des hommes que cette basse tige hasardeuse et péremptoire qui les conduit du délice au supplice, chatte de basses œuvres, plante animale obscure arrosée des pires sécrétions, pourquoi le besoin me vient-il de te saluer bas en cette heure dramatique ? Pourquoi un pleur me jaillit-il, tel du foutre vivace, à ta vue, ô chatte secourable et sans convictions ? Que le Seigneur qui sait tout et a tout voulu t’absolve et te bénisse, cher, cher vieux con !

Qui a dit « Amen » ?

Personne ?

Si : ma conscience, tu crois ? Oui, sans doute. Et la vieille pauvrette traumatisée par ces choses effarantes qui lui surviennent alors qu’elle est en fin de carrière, voire en proche fin de vie, la pauvrette flétrie, sentant le louche et l’âge venus, se met à chantonner comme pour conjurer le funeste présent si dur à assumer. Elle possède une voix de petite fille. C’est sa voix d’autrefois, d’avant la putardise, le chant aigrelet d’une époque uniquement réservée à l’aurore.

Elle fait, comme ça, en considérant la pointe de ses souliers de vénérable putain au pot défoncé :

— « Adieu l’hiver morose « Vive la rose « Allons, faucille en main « Au travail dès demain. »

Puis elle a un rire bafouillé, plein de gêne, un rire d’avaleuse de pipes et de bites dans le cul.

Elle regarde alentour, m’aperçoit, me sourit peureusement.

Ah ! la sainte femme, au dur parcours plein de boue et d’ornières.

Je lui rends son sourire ; pas à elle exactement, mais à la petite fille qu’elle fut et qui continue de veiller en elle, telle une lumière de tabernacle, malgré les coups de verges, les pompelards crapuleux, les complaisances honteuses.

Soudain, elle revient à l’abjecte réalité, regarde les morts, éclate en sanglots et s’allonge sur la moquette, l’avant-bras en guise d’oreiller.

Beau !

Et triste.

Ainsi va la vie, mon ami.

VEROLE

Quand nous revenons à la « maison mère » du bordel, moi soutenant la pauvre Mme Mina si durement éprouvée par ces assassinats. César Pinaud a terminé son cunnilingus et fume une Boyard pour se passer le goût du pain (un sexe de femme constituant sa nourriture de base).

Un sourire de miraculé lourdais ennoblit son visage en parchemin mâché. Il fredonne La Petite Tonkinoise, chanson rétro pour laquelle il a toujours eu un faible à cause, pensé-je, de sa connotation exotique.

— Tu tombes bien, me dit-il. Je méditais et j’aimerais t’entretenir du résultat de mes réflexions.

— C’est cela, déclaré-je en déposant dans un fauteuil cette partie de notre individu sans laquelle il n’existerait pas de jockey.

Et j’ajoute dans un long soupir, en comparaison duquel l’exhalaison d’un soufflet de forge n’est qu’une soufflade de bougie :

— Ça va me faire le plus grand bien d’entendre la voix de la raison.

— Une chose me hante, commence le patriarche, auquel ses pellicules composent un mantelet d’hermine, c’est l’évacuation des cadavres.

Tiens, tiens ! Toujours cette bonne vieille jugeote, La Pine.

Il poursuit :

— La rue est très animée, il y a une boîte de nuit presque en bas, des bars, une charcuterie italienne qui ne ferme jamais. Pas commode de sortir avec des morts de cet immeuble ; pas commode du tout, quand bien même on les mettrait dans des malles ou des caisses.

— C’est vrai, conviens-je, d’autant plus facilement que les événements renforcent ses arguments.

— Tu sais mon instinct policier, Antoine ?

— Par cœur.

A cet instant mémorable, un grand cri de femme comblée fait trembler les porcelaines. Il est suivi d’une clameur mieux articulée :

Oh ! le salaud ! Y m’tue ! Mais tu me fais mourir, petite vermine ! On s’en douterait pas à te voir ! Qu’est-ce qu’y m’fait encore ! Vouiiiii ! Oh ! que c’est bon, t’arrête pas, t’arrête pas, surtout !

Oh ! la ! Oh ! la la ! Mais c’est un surdoué, ce con ! Où va-t-il chercher des trucs pareils ? J’en peuve plus, je craque ! Je lâche tout ! Depuis Arthur, j’ai pas pris un pied pareil ! Et encore, je me demande. Si : y a eu le docteur Flosailles avec sa bite râpeuse ! Oh ! le démon. Y pousse encore ! Y me transperce. Des ressources comme ça, où il va les chercher ? Tiens, sagouin, que je te talonne les meules. Fonce à mort, bolchevik ! Oui ! Ah ! Ooooh ! Yes ! Again ! More ! Pousse, mon sagouin ! Pousse ! que je te dis. N’aie pas peur, c’est pas toi qui m’éclateras le pot ! Voilà ! Superbe ! Maman ! Encore ! Again ! Je veux tout, que je te dis ! Bouhahahâââ ! Agrrrr ! Vouai ai ais !

Pinuche écoute ces cris, comme un mélomane du Mozart :

— A cet âge, être pareillement doué ! J’augure bien de la suite, assure le docte personnage, attendri.

— « A cet âge » ? reprends-je. Tu connais donc le tireur ?

— Évidemment. C’est Toinet ! Ah ! tu peux être fier de lui. Cependant, t’en es-tu fait du souci lorsqu’il était gosse. Tu le grevais de tous les vilains instincts. Dès qu’il écopait d’une retenue à l’école, tu le réputais graine d’assassin !