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Pendant tout ce temps, je l’ai dit, M. La Morvonnais était resté sur la brèche. Son zèle et son pieux dévouement ne devaient pas rester sans récompenses. Le 15 mai 1836, il recevait de Chateaubriand la lettre qu’on va lire:

Paris, le 15 mai 1836.

Enfin, Monsieur, j’aurai un tombeau et je vous le devrai, ainsi qu’à mes bienveillants compatriotes! Vous savez, Monsieur, que je ne veux que quelques pieds de sable, une pierre du rivage sans ornement et sans inscription, une simple croix de fer et une petite grille pour empêcher les animaux de me déterrer.

Maintenant, Monsieur, il faut que je vous avoue ma faiblesse. Tous les ans, je fais le projet d’aller revoir le lieu de ma naissance, et tous les ans, le courage me manque. Je crains les souvenirs, plus ils me sont chers, plus ils me font mal. Je tâcherai cependant, Monsieur, de faire un effort et d’aller visiter quelque jour mon dernier asile.

Je suis charmé que Saint-Malo ait enfin obtenu le bassin à flot auquel je m’étais intéressé pendant mon ministère. Le projet du bassin entre la ville et le Grand-Bé me plairait, surtout parce qu’il accroîtrait la ville de ce côté.

Offrez, je vous prie, à toutes les personnes qui se sont intéressées à ma tombe, mes remerciements les plus sincères. Recevez en particulier, Monsieur, ceux que j’ai l’honneur de vous offrir. J’espère que vous voudrez bien quelquefois me donner de vos nouvelles et m’apprendre aussi un peu le progrès du monument: le temps me presse, et j’aimerais à apprendre bientôt que mon lit est préparé. Ma route a été longue, et je commence à avoir sommeil.

Chateaubriand.

À quelques mois de là, M. La Morvonnais écrivit au grand poète, de Combourg même, que bientôt il allait donner le premier coup de bêche à sa tombe. Chateaubriand lui répondit:

Paris, 15 août 1836.

J’ai ouvert avec émotion une lettre timbrée de Combourg, et j’ai trouvé, Monsieur, qu’elle était de vous et qu’il s’agissait de mon tombeau. Mille grâces à vous, Monsieur, et Dieu soit loué! La chose est donc finie! tout est bien pourvu que je sois sur un point solitaire de l’île, au soleil couchant, et aussi avancé vers la pleine mer que le génie militaire le permettra. Quand ma cendre recevrait, avec le sable donc elle sera chargée, quelques boulets, il n’y aurait pas de maclass="underline" Je suis un vieux soldat.

Pour ce qui est de la pierre qui doit me recouvrir, j’avais pensé qu’elle pourrait être prise dans le rivage; mais s’il y a quelques objections, on peut la prendre partout où l’on voudra: Je cherche surtout le bon marché, afin d’éviter à ma ville natale les frais dont elle veut bien se charger. Vous savez, Monsieur, qu’il ne faut aucun travail de l’art, aucune inscription, aucun nom, aucune date sur la pierre qui doit porter une petite croix de fer, seule marque de mon naufrage ou de mon passage en ce monde. Autour de cette pierre un mur à fleur de sable, muni d’une grille de fer, suffira pour défendre mes restes contre les animaux sauvages et domestiques.

Je ne connais personne, Monsieur, qui mieux que vous et les hommes qui ont eu la bonté de s’occuper de cette affaire de mort, puisse prendre la peine d’inaugurer ma tombe. Le cippe posé et l’enceinte fermée, je désire que M. le curé de Saint-Malo bénisse le lieu de mon futur repos; car avant tout, je veux être enterré en terre sainte; un jour, Monsieur, comme vous me survivrez longues années, vous voudrez quelquefois vous reposer sur ma tombe au bord des vagues, et le soleil couchant vous fera mes adieux.

Voilà, Monsieur, les dernières explications que vous désiriez, je les ai dictées à mon secrétaire avec le regret de ne pouvoir les écrire moi-même, ayant une douleur assez vive à la main droite. Si vous avez l’extrême bonté de me tenir au courant du travail et de m’en annoncer la fin, je vous en aurai beaucoup d’obligation. La nuit me presse, comme dit Horace, et je n’ai guère le temps d’attendre.

En 1838, Hippolyte La Morvonnais publia la Thébaïde des Grèves et en fit hommage à Chateaubriand, qui lui répondit en ces termes:

Je commence par vous demander pardon, Monsieur, d’être obligé de dicter cette lettre à Pilorge, mon secrétaire, parce que le long voyage que je viens d’achever[508], quoiqu’il m’ait fait du bien, ne m’a pourtant point guéri de la goutte que j’ai à la main droite.

Je vous remercie mille fois, Monsieur, des peines que vous vous êtes données. Tout devait être difficile dans ma vie, même mon tombeau. Je suis presque affligé de la croix massive de granit; j’aurais préféré une petite croix de fer, un peu épaisse seulement, pour qu’elle résiste mieux à la rouille: mais enfin, si la croix de pierre n’est pas trop élevée, je ne serai pas aperçu de trop loin, et je resterai dans l’obscurité de ma fosse de sable, ce qui surtout est mon but. J’espère aussi que la grille de fer n’aura que la hauteur nécessaire pour empêcher les chiens de venir gratter et ronger mes os. Je tiens avant tout à la bénédiction du lieu sur lequel votre piété et vos espérances chrétiennes ont bien voulu veiller.

Le bruit qu’on a fait dans les journaux de mes dispositions dernières est parvenu jusqu’à Mme de Chateaubriand: vous jugez, Monsieur, combien elle en a été troublée. S’il était donc possible qu’il ne fut plus question de ma tombe, à laquelle le public ne peut prendre aucun intérêt, et que vous eussiez la bonté de faire achever le monument dans le plus grand silence, vous me rendriez un vrai service. J’ai déjà fait part de mes inquiétudes à M. L…, de Dinan, qui m’a envoyé de fort beaux vers sur un sujet qui nécessairement est fort pénible à ma femme.

Vos vers, Monsieur, n’ont point cet inconvénient. J’ai déjà parcouru le volume Aux amis inconnus.[509] J’y ai retrouvé la tristesse de nos grèves natives et ce charme qui m’a toujours rendu si chers les souvenirs et les vents. J’envie votre sort, Monsieur; je voudrais dans votre Thébaïde, parmi les rochers au bord des flots, entendre à la fin de ma vie

Ce chant qui m’endormait à l’aube de mes jours[510].

Je n’ai point encore eu l’honneur de voir le bienveillant compatriote que vous m’annoncez.

Agréez, je vous prie, Monsieur, avec l’expression de ma reconnaissance, la nouvelle assurance de ma considération très distinguée.

Chateaubriand.
Paris, le 4 septembre 1838.

On a parfois reproché à Chateaubriand d’avoir trop «soigné» son tombeau. Les lettres qu’on vient de lire, d’un sentiment si chrétien, répondent suffisamment à ce reproche, et certes Alfred de Vigny, le noble poète, avait tort de s’y associer, lorsqu’il écrivait à la vicomtesse du Plessis, sa petite-cousine:

Chateaubriand n’a-t-il pas assez soigné d’avance son tombeau? N’est-il pas vrai qu’il en a été le saule pleureur toute sa vie? Il lui faisait de tendre visites sur le bord de la mer, et l’un de ses plus naïfs admirateurs me disait un jour, comme un trait d’originalité charmant: «Monsieur, il est allé cet été, tout seul, voir son rocher de Saint-Malo, et il n’est pas allé faire visite à sa sœur âgée, pauvre et malade, qui demeure quelque part sur cette route-là. On me contait cela dans la voiture noire où je suivais ce pauvre Ballanche qui fut son Pylade.»[511]

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[508]

Chateaubriand venait de faire un voyage dans le Midi de la France.

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[509]

Épigraphe de la Thébaïde des Grèves.

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[510]

Vers du même recueil, extrait de la pièce intitulée: une Soirée de Février.

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[511]

Lettres inédites d’Alfred de Vigny, dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1897.