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– Ainsi les teuf-teuf, ça vous laisse en panne aux endroits où on ne voudrait pas. Ce n'est pas qu'on regrette d'arriver en retard… Pour ce qu'on trouve dans les endroits où l'on va… Mais je suis resté l'autre jour cinq heures entre Marville et Boulay. Vous connaissez pas cet endroit-là? C'est avant d'arriver à Dreux. Pas une maison, pas un arbre, pas un pli de terrain. C'est plat, c'est jaune, c'est rond, avec un bête de ciel posé dessus comme une cloche à melons. On se fait vieux dans des localités pareilles… C'est égal, je vais essayer d'un nouveau système… soixante-dix kilomètres à l'heure… et moelleux… Venez-vous avec moi, Dellion? je pars ce soir.

XXVI

– Les Trublions, dit M. Bergeret, m'inspirent le plus vif intérêt. Aussi n'est-ce point sans plaisir que j'ai découvert dans le livre assez précieux de Nicole Langelier, Parisien, un deuxième chapitre relatif à ces petits êtres. Vous souvient-il du premier, monsieur Goubin?

M. Goubin répondit qu'il le savait par coeur.

– Je vous en loue, dit M. Bergeret. Car c'est bréviaire. Je vais tout de suite vous lire le chapitre deuxième, qui ne vous plaira pas moins que le précédent.

Et le maître lut ce qui suit:

«Du garbouil et grant tintamarre que menoient les Trublions et de une belle harangue que Robin Mielleux leur feict.

»Lors faisoient les Trublions grant tintamarre par la ville, cité et université, chacun d'iceulx frappant avec cuiller à pot sur trublio, ce qui est à dire marmite de fer et casserole en françois, et estoit concert bien mélodieux. Et alloient gridant: «Mort aux traistres et marranes!» Pendoient aussi ès murailles et lieux secrets et retraicts beaux petits escussons portant telles inscriptionsque: «Mort aux marranes! Achetez mie aux juifs ne aux lombars! Longue vie à Tintinnabule!» Se armoient de armes à feu et armes blanches, car estoient gentils-hommes. Cependant se accompagnoient aussi de Martin Baton et estoient si bons princes que frappoient des poings, ne desdaignant point jeux de villains. Tenoient propos seulement de fendre et pourfendre, et disoient en leur langaige et idiome bien idoine, très congru et correspondant à leur pensée, que vouloient décerveler gens, ce qui est proprement tirer la cervelle hors la boette cranienne où elle gist par ordre et disposition de Nature. Et faisoient comme disoient, toutes et quantes fois qu'en avoient occasion. Et pour ce qu'estoient bien simples esprits, entendoient soi estre les bons et que hors d'eulx n'estoient nuls bons, ains tous mauvais, ce qui estoit ordonnance merveilleusement claire, distinction parfaicte et bel ordre de bataille.

»Et avoient par mi eulx belles et haultes dames, des mieux nippées, lesquelles très gracieusement, parblandices et mignardises, incitoient ces gallants Trublions à escarbouiller, descrouller, transpercer, subvertir et déconfire quiconque ne trublionnoit pas. N'en soyez esbahi, et reconnoissez à cela l'inclination naturelle des dames à cruelletés et violences et admiration du fier courage et vaillance guerrière, comme il se voit jà par les histoires anticques où il est conté que le dieu Mars fust aimé de Vénus ainsi que de déesses et de mortelles à foison, et que Apollo, au rebours, bien qu'il fust plaisant joueur de viole, ne reçut que desdains des nymphes et des chambrières.

»Et ne se tenoit, en la ville, conventicule, ni procession de Trublions, n'estaient festins ni obsèques de Trublions, que ung povre homme ou deux, ou davantage, ne fust assommé par eulx, et laissé demi-mort ou mort aux trois quarts, voire tout à fait, sur le pavé. Ce qui estoit bien merveilleuse chose. Estoit coutume que, les Trublions passés, cestuy qui, sur refus de trublionner, avoit été escarbouillé fust porté bien piteusement en civière es bouticques et officines de ung apothicaire. Et pour cette raison, ou aultres, estoient les apothicaires de la ville du parti des Trublions.

»Or, estoit en ce temps la grande foire de Paris en France, insigne et plus ample que ne furent jamais les foires d'Aix-la-Chapelle et de Francfort, ni le Lendit, ni la belle foire de Beaucaire. Estoit ladite foire de Paris si copieuse et abondante en marchandises, ouvrages d'art et gentilles inventions, que un preu'd'homme nommé Cornely, qui avait jà beaucoup veu et n'estoit point badau, souloit dire qu'à la veüe, pratique et contemplation d'icelle, il perdoit le souci de son salut éternel et mêmement le boire et le manger. Les peuples estranges se pressoient dans la ville des Parisiens pour y prendre plaisir et y faire dépense. Rois et roitelets y venoient à l'envi, dont se rengorgeoient cocquebins et galloises, disant: «Ce nous est grand honneur.» Les marchands, du plus gros au moindre, Tout-profict et Gaigne-petit, les gens de métiers et industries, entendoient bien vendre force marchandises aux estrangiers venus en leur ville pour la foire. Les camelots et colporteurs déballoient toute la balle, les traicteurs et cabaretiers dressoient tables, et la ville entière estoit vrayment d'un bout à l'autre abondant marché et joyeux refectoire. Faut dire que les dicts marchands, non tous, mais la plus part, avaient goust des Trublions, que ils admiroient pour la grande force de gueule et les grands tours de bras d'iceulx, et n'estoit point jusqu'aux négocians et banquiers marranes qui ne les reguardassent avec respect et desir bien humble de n'estre point maltraités par eulx.

Les amoient donc les gens de metier et marchands, mais amoient aussi naturellement leurs marchandises et gaigne-pain, et vinrent à craindre que par vives saillies, irruptions soubdaines, ruades, pétarades et trublionnades, ne culbutassent leurs étals et menses ès quarrefours, jardins et boullevarts, et que aussi les dicts Trublions, par occisions furieuses et rapides, ne effrayassent les peuples estranges et les fissent fuir hors la ville, la bourse encore pleine. Vray de dire que ce dangier n'estoit pas grand. Les Trublions menaçoient horriblement et terriblement. Ains ils décroulloient gens en petit nombre, un, deux, trois à la fois, comme ai dict, et gens de la ville; jamais ne attaquoient Angloys ou Alemans, ne autres peuples, mais tant seulement concitoyens. Descrouilloient en un lieu, et la ville estoit grande; il n'y paraissoit guères. Ains possible estoit que ils y prissent goust, et voulussent subvertir davantage. Il ne sembloit point opportun qu'en ceste foire du monde et abondante frairie, feussent veus les Trublions grinçant des dents, roulant oeils enflammés, serrant les poings, escartant les jambes et poussant abois rabiques et ululements lamentables, et doutaient les Parisiens que Trublions fissent en ce moment mal à propos ce que ils pouvoient faire sans inconvénient ne empeschement après la feste et négoce, sçavoir: assommer de ci de là ung povre diable.

Lors commencèrent les citoyens à dire qu'il falloit soi apaiser et estoit la sentence publicque qu'il y eust paix dans la ville. Ce que les Trublions n'escoutoient que d'une oreille. Et répondoient: «Voire, mais vivre sans desconfire un ennemi ou tant seulement un incongneu, est-ce contentement? Si laissons en repos les juifs ne gaignerons point le paradis. Faut-il nous croiser les bras? Dieu a dict que devons labourer pour vivre.» Et, pesant en leur esprit le sentiment universel et commun vouloir, estoient perplexes.

Lors ung vieil Trublion, nommé Robin Mielleux, assembla les principaux du Trublionnage. Il estoit estimé, vénéré et haut prisé des Trublions qui le sçavoient expert en piperies et abundant en ruses et cautèle. Ouvrant la bouche qu'il avoit en semblance de la gueule de ung antique brochet, ébréchée, ains encore assez dentue pour mordre petits poissons, il dict bien doucement:

«Oyez, amis; oyez tous. Sommes bonnestes gens et bons compagnons. Sommes point fols. Demandons apaisement. Dirai mieulx: voulons apaisement. Apaisement est doulce chose. Apaisement est précieux onguent, hippocratique électuaire et dictame apollonien. C'est belle infusion médicinale, c'est tilleul, mauve et guimauve. C'est sucre, c'est miel. C'est miel, dis-je, et suis-je pas Robin Mielleux? Me nourris de miel. Revienne l'aage d'or et leicherai le miel au tronc des chesnes vénérables. Vous en assure. Veux apaisement. Voulez apaisement.»