— Le chrono tourne, dit l’homme en se redressant. Tu connais le tarif, Moll.
— On a besoin d’un scannage, le Finnois. Recherche d’implants.
— Eh bien, avance entre les colonnes. Reste bien sur le ruban. Redresse-toi, ouais. À présent, tourne-toi. Trois cent soixante degrés.
Case la regarda pivoter entre deux piquets d’allure fragile hérissés de capteurs. L’homme sortit de sa poche un petit moniteur et loucha sur l’écran.
— Un truc nouveau dans ta tête, ouais. Silicone, couche de carbones pyrolitiques. Une horloge, c’est ça ? Tes verres me donnent l’image habituelle, carbones isotopiques à basse température. La bio-comptabilité est meilleure avec les pyrolitiques mais c’est ton affaire, pas vrai ? Idem avec tes griffes.
— Viens voir ici, Case. (Il vit un X noir éraflé sur le sol blanc.) Tourne-toi. Doucement.
— Le type est vierge. (L’homme haussa les épaules.) Quelques plombages bon marché, c’est tout.
— Tu peux lui faire un bilan biologique ?
Molly dézippa sa combinaison verte puis ôta ses lunettes noires.
— Tu te crois au Mayo ? Monte sur la table, gars, on va te faire une petite biopsie. (Il rit, découvrant un peu plus ses dents jaunes.) Nân. Parole de Finnois, beau gosse, pas de petites puces, pas de bombe corticale. Tu veux que je baisse l’écran ?
— Juste le temps que tu décampes, Finnois. Ensuite, on veut l’écran plein jus, autant qu’on voudra.
— Eh, pas de problèmes pour le Finnois, Moll. Après tout, c’est toi qui paies, à la seconde.
Ils verrouillèrent la porte derrière lui et Molly retourna l’une des chaises blanches pour s’y installer à califourchon, menton posé sur les bras croisés.
— Et maintenant, on cause. Question discrétion, c’est tout ce que je peux me payer.
— On cause de quoi ?
— De ce qu’on fait.
— Qu’est-ce qu’on fait ?
— On bosse pour Armitage.
— Et tu prétends qu’en fait c’est pas pour lui ?
— Ouais. J’ai vu ton profil, Case. Et j’ai aperçu le reste de notre liste de courses, une fois. Déjà bossé avec des morts ?
— Non. (Il contempla son propre reflet dans les verres de Molly.) Je pense que je pourrais. Je fais bien ce que je fais.
L’emploi du présent le rendait nerveux.
— Tu sais que Dixie le Trait-plat est naze ?
Il acquiesça.
— Le cœur, à ce qu’on m’a dit.
— Tu bosseras avec son construct. (Elle sourit.) C’est eux qui t’ont appris les ficelles du métier, hein ? Lui et Quine. Je connais Quine, au fait. Un vrai connard.
— Quelqu’un détient un enregistrement de McCoy Pauley ? Qui ça ? (À présent, Case s’était assis, les coudes posés sur la table.) J’ai du mal à voir qui. Jamais il ne l’aurait encaissé.
— Senso/Rézo. Z’ont dû l’payer un max, tout c’que tu veux.
— Quine est mort, lui aussi ?
— Ce serait trop beau. Non, il est en Europe. Il n’intervient pas là-dedans.
— Eh bien, si on peut avoir le Trait-plat, on est bons. C’était lui, le meilleur. Tu sais qu’il est cliniquement mort trois fois ?
Elle acquiesça.
— Encéphalo plat sur toute la ligne. Il m’a même montré les graphes. « Bon Dieu, mec, j’étais re-froi-di ! »
— Écoute, Case, j’essaie de déterrer qui se trouve derrière Armitage depuis que j’ai signé. Mais ça ne m’a l’air ni d’un zaibatsu, ni d’un gouvernement, ni d’une quelconque filiale de Yakuza. Armitage reçoit des instructions. À croire qu’on lui a ordonné de se rendre à Chiba, d’aller y repêcher un accro près d’être définitivement cramé et de fourguer un programme en échange de l’opération qui le remettra sur pied. On aurait pu se payer vingt cow-boys de classe internationale avec ce qu’ils étaient prêts à lui filer pour avoir ce programme chirurgical. Tu étais un bon, mais quand même pas à ce point…
Elle se gratta l’aile du nez.
— À l’évidence, ça vaut le coup pour quelqu’un, observa-t-il. Quelqu’un d’important.
— Te vexe pas pour ça. (Elle sourit.) On va se payer une passe dans le saint du saint, Case, juste pour récupérer le construct de Trait-plat. Senso/Rézo l’a planqué dans un coffre d’archives, quelque part dans le centre. Moins accessible qu’un cul d’anguille, Case. Bon, Senso/Rézo planque également au même endroit toutes ses nouveautés pour la rentrée. Tu piques ça et on se retrouve plus riches que Crésus. Mais pour l’heure, faut qu’on se récupère le Trait-plat, un point c’est tout. Bizarre, non ?
— Ouais, tout est bizarre, dans ce truc. T’es bizarre, ce trou est bizarre, et qui est ce bizarre petit blaireau, de l’autre côté, dans l’entrée ?
— Le Finnois est une vieille connaissance. Fait surtout du recel. De logiciel. La protection anti-écoutes est un boulot annexe. Mais j’ai convaincu Armitage d’en faire notre technicien, alors quand il se pointera plus tard, tu ne l’as jamais vu. Pigé ?
— Et qu’est-ce qu’Armitage t’a mis à dissoudre dans les veines ?
— Moi, je suis facile à persuader. (Elle sourit.) Comme tous les vrais pros, pas vrai ? Tu te branches, moi, je me bagarre.
Il la fixa.
— Bon, alors raconte-moi donc ce que tu sais d’Armitage.
— Pour commencer, aucun individu du nom d’Armitage n’a jamais pris part à une quelconque opération du nom de Poing hurlant. J’ai vérifié. Mais ça ne prouve pas grand-chose. Il ne correspond à aucune des photos des mecs qui s’en sont sortis. (Elle haussa les épaules.) T’es bien avancé. Et je n’en sais pas plus. (Elle pianota du bout des doigts sur le dossier de sa chaise.) Mais c’est toi le cow-boy, pas vrai ? Je veux dire, tu pourrais peut-être jeter un petit coup d’œil dans le coin, non ?
Elle sourit.
— Il me tuerait.
— Peut-être. Peut-être pas. Je crois qu’il a besoin de toi, Case ; vraiment besoin. En plus, t’es un malin, non ? Tu peux le doubler sans problème.
— Qu’y a-t-il d’autre dans la liste que tu as évoquée ?
— Des jouets. La plupart pour toi. Et un psychopathe grand teint, du nom de Peter Riviera. Le méchant client.
— Où est-il ?
— J’sais pas. Mais un vrai malade, j’te dis pas. J’ai vu son profil. (Elle fit la grimace.) Af-freux. (Elle se leva, s’étira, une vraie chatte.) Alors on se lance, gamin ? On est ensemble dans le coup ? Partenaires ?
Case la regarda.
— J’ai pas des masses de choix, hein ?
Elle rit.
— T’as tout pigé, cow-boy.
« La matrice tire ses racines des jeux vidéo les plus primitifs, expliquait la voix hors champ, des tout premiers programmes graphiques et des expérimentations militaires avec les connecteurs crâniens. » Sur le Sony, une guerre spatiale en deux dimensions s’évanouit derrière une forêt de fougères générées de manière mathématique, démontrant les possibilités spatiales des spirales logarithmiques ; insertion d’une séquence d’archives militaires bleu glacé : animaux de laboratoire câblés sur des dispositifs d’expérimentation, casques branchés sur les circuits de contrôle de mise à feu de blindés et d’avions de combat. « Le cyberspace. Une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d’opérateurs, dans tous les pays, par des gosses auxquels on enseigne les concepts mathématiques… Une représentation graphique de données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain. Une complexité impensable. Des traits de lumière disposés dans le non-espace de l’esprit, des amas et des constellations de données. Comme les lumières de villes, dans le lointain… »