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— Comment va, Case ?

Il entendit les mots et la sentit les formuler. Elle glissa une main dans son blouson, entoura d’un doigt un mamelon sous la soie tiède. La sensation lui fit retenir son souffle. Elle rit. Mais la liaison était à sens unique. Il n’avait aucun moyen de répondre.

Deux pâtés de maisons plus loin, elle sinuait dans les faubourgs de Memory Lane. Case essaya de lui faire tourner les yeux vers des repères susceptibles de le guider. Il commençait à trouver irritante la passivité de la situation.

La transition au cyberspace, lorsqu’il pressa l’inter, fut instantanée. Il se laissa glisser au bas d’un mur de glace primitive qui appartenait à la Bibliothèque municipale de New York, y comptant automatiquement les fenêtres potentielles. Bascule et retour au sensorium de la fille, l’écoulement sinueux de ses muscles, sens acérés et vifs.

Il se surprit à s’interroger sur l’esprit avec lequel il partageait ces sensations. Que savait-il d’elle ? Qu’elle était une professionnelle, comme lui ; qu’elle disait que son être, comme le sien, était l’objet avec lequel elle gagnait sa vie. Il savait comment elle se mouvait contre lui, comment elle s’était frottée contre lui, avant, à son réveil, savait leur grognement mutuel d’unité lorsqu’il l’avait pénétrée, et savait qu’elle aimait son café noir, après…

Sa destination était l’un de ces douteux complexes de loca-logiciel qui s’alignaient sur Memory Lane. Régnait là un calme feutré. Des cabines longeaient une allée centrale. Clientèle jeune, majorité d’ados. Tous semblaient avoir une broche en carbone implantée derrière l’oreille gauche mais son regard ne s’y attardait pas. Les comptoirs en face des cabines présentaient des centaines de plaques de microgiciels, anguleux éclats de silicone coloré posés sur des carrés de carton noir et montés sous des bulles oblongues et transparentes. Molly gagna la septième cabine le long du mur sud. Derrière le comptoir, un garçon à la tête rasée regardait dans le vide, une douzaine d’aiguilles de microgiciel saillant de la broche derrière son oreille.

— Larry, t’es là, mec ?

Elle se positionna juste devant lui. Les yeux du garçon accommodèrent. Il se redressa sur sa chaise et, d’un ongle de pouce crasseux, sortit de la broche une écharde magenta.

— Hé, Larry…

— Molly, acquiesça-t-il.

— J’ai un boulot pour quelques-uns de tes potes, Larry.

Larry sortit de la poche de sa chemise sport une boîte plate en plastique qu’il ouvrit d’une pichenette pour y glisser le microgiciel à côté d’une douzaine d’autres. Sa main hésita, puis choisit une puce noir brillant, légèrement plus longue que la moyenne, qu’il inséra doucement dans son crâne. Ses paupières s’étrécirent.

— Molly a trouvé un cavalier, dit-il, et Larry aime pas ça.

— Eh, fit-elle, je savais pas que t’étais si… perceptif. Tu m’impressionnes. Ça doit coûter un paquet, une telle réceptivité.

— Je vous connais, ma p’tite dame ? (Le regard vide était revenu.) On désire acheter un logiciel en particulier ?

— Je cherche quelque chose sur les Modernes.

— T’as un cavalier, Molly. C’est lui qui l’dit. (Petite tape sur l’écharde noire.) Quelqu’un d’autre se sert de tes yeux.

— Mon partenaire.

— Dis à ton partenaire de s’en aller.

— J’ai trouvé un truc pour les Panthers modernes, Larry.

— De quoi qu’on parle, ma p’tite dame ?

— Case, tu dégages, dit-elle, et il pressa l’interrupteur, retour immédiat à la matrice.

Impressions fantômes du complexe logiciel qui demeurent en suspension quelques secondes dans le calme bruissant du cyberspace.

— Panthers modernes, dit-il à l’Hosaka, en ôtant les trodes. Cinq minutes, pile.

— Prêt, dit l’ordinateur.

Ce n’était pas un nom qu’il connaissait. Un truc nouveau, un mouvement sans doute apparu durant son séjour à Chiba. Les modes balayaient la jeunesse de la Conurb à la vitesse de la lumière ; des subcultures entières pouvaient jaillir du jour au lendemain, prospérer pendant trois mois, puis s’évanouir totalement. « Go. » Le Hosaka avait pris contact avec sa batterie de librairies, journaux et banques d’information.

Le résumé commença par un long plan fixe sur une image couleur que Case supposa d’abord être une espèce de collage, un visage d’enfant découpé sur une autre image et collé sur la photo d’un mur couvert de graffiti. Yeux sombres, replis épicanthiques manifestement dus à la chirurgie esthétique, semis sauvage d’acné sur les joues étroites et pâles. Le Hosaka relâcha l’arrêt sur image ; le garçon bougea, glissant avec la grâce sinistre d’un mime qui joue les prédateurs de la jungle. Son corps était presque invisible, motif abstrait évoquant approximativement le fond de briques maculées qui lissait en douceur sur son collant ajusté : polycarbonate mimétique.

Enchaînement sur le Dr Virginia Rambali, sociologue, université de New York. Nom, diplômes, curriculum, puisant en travers de l’écran en alphanumériques roses.

— Compte tenu de leur penchant pour ces actes gratuits de violence surréelle, disait quelqu’un, il se peut que nos spectateurs aient des difficultés à saisir pourquoi vous persistez à considérer que ce phénomène ne constitue pas une forme de terrorisme.

Sourire du Dr Rambali.

— Il y a toujours un moment où le terroriste cesse de manipuler la gestalt des médias. Un point où l’escalade de la violence peut fort bien se poursuivre mais au-delà duquel le terroriste est devenu symptomatique de la gestalt des médias en soi. Le terrorisme tel que nous l’entendons d’ordinaire est bêtement relié à ceux-ci. Les Panthers modernes diffèrent des autres terroristes précisément par le degré de leur timidité, de leur conscience de la mesure avec laquelle les médias séparent l’acte de terrorisme de l’intention sociopolitique initiale…

— Saute, dit Case.

Case rencontra son premier Moderne deux jours après avoir visionné le topo de l’Hosaka. Les Modernes étaient décidément la version contemporaine des Grands savants du temps de ses vingt ans. Il y avait comme un spectre d’ADN adolescent à l’œuvre dans la Conurb, un truc qui transportait les préceptes codés de diverses subcultures à brève durée de vie et les répliquait à intervalles aléatoires. Les Panthers modernes étaient une variante biogicielle des Savants. Si la technologie avait été disponible à l’époque, tous les Grands savants auraient porté des connecteurs bourrés de microgiciels. C’était le style qui comptait et le style restait le même. Les Modernes étaient des mercenaires, des rigolos, des technofétichistes nihilistes.

Celui qui se présenta à la porte du loft avec une boîte de disquettes du Finnois était un garçon à la voix douce du nom d’Angelo. Son visage n’était qu’un greffon de collagène et de cartilages de squale en polysaccharides, aussi lisse que hideux. L’un des exemples les plus affreux de chirurgie élective qu’il ait été donné à Case de contempler. Lorsque Angelo sourit, révélant les canines effilées comme des rasoirs de quelque fauve, Case fut réellement soulagé : vulgaires transplants de racines dentaires. Ça, il avait déjà vu.

— Te laisse pas mettre sur la touche par ces petits connards, dit Molly.

Case acquiesça, absorbé dans les structures de la glace Senso/Rézo. Ça y était. Voilà ce qu’il était, voilà qui il était, quel était son être. Il en oubliait de manger. Molly lui laissait des cartons de riz et des barquettes de sushi sur le coin de la longue table. Il y avait des moments où il répugnait même à devoir abandonner la console pour utiliser le W.C. chimique qu’ils avaient installé dans un coin du loft. Des cristaux de glace se reformaient sans cesse à mesure qu’il sondait les failles éventuelles, esquivait les pièges les plus évidents, et traçait l’itinéraire qu’il allait emprunter à travers les glaces du Senso/Rézo. C’était de la bonne glace. Une glace superbe. Ses structures étincelaient tandis qu’il reposait, le bras passé sous les épaules de Molly, à contempler l’aube rouge à travers le treillis d’acier de la verrière. Son dédale de pixels arc-en-ciel était la première chose qu’il apercevait à son réveil. Il filait droit à la console, sans même prendre la peine de s’habiller, et se branchait. Il tranchait. Coupait. Bossait. Il perdait le fil des jours.