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Et parfois, tombant de sommeil, surtout lorsque Molly était sortie pour l’une de ses virées de reconnaissance avec la petite troupe de Modernes dont elle avait loué les services, les images de Chiba revenaient l’inonder. Visages et néons de Ninsei. Une fois, il s’éveilla d’un rêve confus de Linda Lee, incapable de se rappeler qui elle était ou ce qu’elle avait jamais pu signifier pour lui. Lorsque le souvenir revint, il se rebrancha fissa et travailla neuf heures d’affilée.

Trancher dans la glace du Senso/Rézo lui prit au total neuf jours.

— J’avais dit une semaine, remarqua Armitage, incapable de dissimuler toutefois sa satisfaction lorsque Case lui présenta le plan de sa passe. Vous en avez pris à votre aise.

— Conneries, fit Case en fixant l’écran avec le sourire. C’est du bon boulot, Armitage.

— Oui, reconnut ce dernier, mais que ça ne vous monte pas à la tête. Comparé à ce que vous allez affronter au bout de la route, c’est du jeu d’arcade.

— Meilleurs chiffres, Mère Chat, murmura le relais des Panthers modernes.

Sa voix était une modulation de friture dans le casque de Case.

— Atlanta, Couvée. Ça passe. T’y vas, vu ?

La voix de Molly était légèrement plus audible.

« Entendre, c’est obéir. » Les Modernes utilisaient une parabole bricolée en grillage à lapin installée dans le New Jersey pour balancer le signal brouillé de leur liaison sur un satellite des Fils du Christ-Roi en orbite géostationnaire au-dessus de Manhattan. Ils avaient décidé de considérer toute l’opération comme une espèce de plaisanterie personnelle élaborée, et leur choix de satellites de communication semblait avoir été délibéré. Les signaux de Molly étaient expédiés par un parapluie d’un mètre de diamètre collé à l’époxy sur le toit d’une tour bancaire de verre noir presque aussi haute que le gratte-ciel de Senso/Rézo.

Atlanta. Le code de reconnaissance était simple. D’Atlanta à Boston, à Chicago et Denver, cinq minutes pour chaque ville. Si quelqu’un parvenait à intercepter le signal de Molly, le décrypter, synthétiser sa voix, le code avertirait les Modernes. Si elle demeurait dans l’immeuble plus de vingt minutes, il était hautement improbable qu’elle en ressorte jamais.

Case avala le fond de son café, installa les trodes et se gratta la poitrine sous le t-shirt noir. Il n’avait qu’une vague idée de ce qu’envisageaient les Panthers modernes comme diversion pour les équipes de sécurité du Senso/Rézo. Son boulot était de s’assurer que le programme d’intrusion qu’il avait écrit se brancherait sur le Senso/Rézo dès que Molly en aurait besoin. Il observa le compte à rebours au coin de l’écran. Deux. Un.

Il se brancha et lança son programme. « Connecté », haleta leur liaison, dont la voix était le seul son audible pour Case tandis qu’il plongeait à travers les strates éclatantes de la glace de Senso/Rézo. Bon. Contrôle avec Molly. Contact sur le simstim, bascule dans son sensorium.

Le brouilleur altérait légèrement l’entrée visuelle. Elle se tenait devant un mur-miroir pailleté d’or, dans le grand hall blanc de l’édifice, mâchant de la gomme, apparemment fascinée par son propre reflet. Mis à part l’énorme paire de lunettes de soleil pour dissimuler ses implants-miroirs, elle parvenait à se fondre remarquablement bien dans le décor, une touriste comme les autres, quêtant avec espoir un regard de Tally Isham. Elle portait un imper de plastique rose, un corsage en filet blanc, un large pantalon blanc aussi, d’une coupe qui avait été à la mode à Tokyo l’année précédente. Elle souriait, l’air idiot en faisant des bulles avec sa gomme. Case avait envie de rigoler. Il pouvait sentir le ruban de micropore qu’elle avait en travers de la cage thoracique, sentir les petits boîtiers plats plaqués en dessous : la radio, le simstim et le brouilleur. Le laryngophone, collé à son cou, ressemblait autant que possible à un dermadisque analgésique. Ses mains, fourrées dans les poches de l’imper rose, exécutaient des flexions systématiques, dans un enchaînement d’exercices de tension/relaxation. Il lui fallut plusieurs secondes pour comprendre que la sensation particulière au bout des doigts était causée par les lames quand elles sortaient partiellement avant de se rétracter.

Il se débrancha. Le programme avait atteint la cinquième porte. Il regarda son brise-glace clignoter, éclat stroboscopique, devant lui, tout juste conscient du mouvement de ses mains qui pianotaient sur le clavier, pour affiner d’infimes réglages. Des plans colorés translucides défilaient comme le jeu de cartes d’un illusionniste. Prends une carte, se dit-il, n’importe laquelle.

La porte fut franchie en un éclair. Il rit. La glace de Senso/Rézo avait accepté son entrée comme un transfert d’utilitaires[2] provenant du complexe du consortium à Los Angeles. Il était à l’intérieur. Derrière lui, des sous-programmes viraux se détachaient, s’incrustant dans la trame du code de la porte, prêts à dévier les véritables données en provenance de Los Angeles dès leur arrivée.

Il bascula de nouveau. Molly dépassait tranquillement le gigantesque comptoir de la réception au fond du hall d’entrée.

12 : 01 : 20, scintilla l’afficheur dans son nerf optique.

À minuit, synchronisé avec la puce derrière l’œil de Molly, le relais dans le New Jersey avait lancé son ordre. « Connecté. » Neuf Modernes, répartis sur les trois mille kilomètres de la Conurb, avaient simultanément composé l’indicatif MAX ALERT sur le cadran de taxiphones. Chaque Moderne avait prononcé quelques mots avant de raccrocher et de se fondre dans la nuit, en ôtant ses gants de chirurgien. Neuf services de police et bureaux de sécurité publique digéraient l’information selon laquelle une obscure dissidence de la secte des Militants intégristes chrétiens venait de revendiquer l’introduction des doses cliniques d’un agent psychoactif interdit connu sous le nom de Bleu neuf dans le système de ventilation de la Pyramide de Senso/Rézo. Le Bleu neuf, qu’en Californie on baptisait l’Ange cruel, s’était révélé produire une paranoïa aiguë assortie d’un syndrome de psychose homicide chez quatre-vingt-cinq pour cent des sujets d’expérience.

Case enclencha l’interrupteur tandis que son programme se ruait à travers les portes du sous-système qui contrôlait la sécurité de la librairie de recherches de Senso/Rézo. Il se trouva en train de pénétrer dans un ascenseur.

— Excusez-moi, mais êtes-vous employée de la maison ?

Le vigile avait haussé les sourcils. Molly fit claquer son bubble-gum.

— Non, dit-elle en balançant les deux premières phalanges de sa main droite dans le plexus du type.

Alors qu’il se pliait en deux, serrant le boîtier d’alerte à sa ceinture, elle le cueillit à la tempe et l’envoya s’aplatir contre la paroi du fond de la cabine.

Mâchonnant un rien plus vite à présent, elle effleura les touches FERMETURE et STOP sur le panneau lumineux. Puis elle sortit une boîte noire de sa poche d’imper et inséra un fil dans le trou de la serrure qui verrouillait la plaque de garde du panneau.

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2

Utilitaires: Ensemble de programmes de service (tels que systèmes de gestion, bibliothèques, etc.) appartenant au système d’exploitation d’un ordinateur et destinés à en faciliter l’usage. (N.d.T.)