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— J’espère que ce n’est pas une menace, dit Armitage.

— C’est le bizness, dit Yonderboy en fourrant les billets dans l’unique poche ventrale de son costume.

Le téléphone sonna. Case répondit.

— Molly, dit-il à Armitage en lui tendant le combiné.

Les géodes de la Conurb scintillaient dans le gris d’aube lorsque Case sortit de l’immeuble. Il se sentait les membres froids, déconnectés. Impossible de dormir. Il en avait ras le bol du loft. Lupus était reparti, idem pour Armitage, et Molly était dans un service de chirurgie quelque part. Vibrations sous son pied au passage d’une rame. Doppler des sirènes dans le lointain.

Il tournait au hasard des coins de rue, le col relevé, engoncé dans une veste de cuir neuve, balançant dans le caniveau le premier mégot d’une chaîne de Yeheyuans avant d’en allumer une autre. Il essayait de s’imaginer les sachets de toxine d’Armitage en train de se dissoudre dans son sang, membranes microscopiques qui s’amincissaient tandis qu’il marchait. Ça ne semblait pas réel. Pas plus que la terreur et l’agonie dont il avait été le témoin à travers le regard de Molly dans le hall d’entrée de Senso/Rézo. Il se surprit à tenter de se rappeler les visages des trois personnes qu’il avait tuées à Chiba. Les hommes étaient anonymes ; la femme lui rappelait Linda Lee. Une antique camionnette à trois roues, solar sur les vitres, bidons de plastique vides sur le plateau, le doubla en cahotant.

— Case.

Il se jeta sur le côté, se plaquant d’instinct contre un mur.

— Message pour toi, Case. (Le collant de Lupus Yonderboy parcourait le spectre des couleurs primaires.) ’Scuse. J’voulais pas t’affoler.

Case se redressa, mains dans les poches du blouson. Il avait une tête de plus que le Moderne.

— T’aurais intérêt à faire gaffe, Yonderboy.

— C’est le message : Muetdhiver, dit-il, et il l’épela.

— De toi ?

Case avança d’un pas.

— Non, dit Yonderboy. Pour toi.

— De qui ?

— Muetdhiver, répéta Yonderboy en hochant la tête, balançant sa crête de cheveux roses.

Son collant vira au noir mat, ombre charbonneuse sur le béton crasseux. Le temps d’exécuter une drôle de petite danse en faisant tourbillonner ses minces bras noirs, il avait disparu. Non. Toujours là. Capuchon relevé pour cacher le rose, le collant de la teinte de gris exact, tacheté, maculé idem, du trottoir sur lequel il se tenait. Les yeux clignèrent, renvoyant l’éclat d’un feu rouge. Cette fois, il avait vraiment disparu.

Case referma les yeux, se massa les paupières du bout de ses doigts gourds, adossé contre la maçonnerie décrépie.

À Ninsei, ç’avait été sacrément plus simple.

5

L’équipe médicale qu’employait Molly occupait deux niveaux d’un bâtirack anonyme près du centre historique de Baltimore. L’immeuble était modulaire, à l’instar de quelque version géante de l’hôtel Eco, chaque cercueil ayant quarante mètres de long. Case retrouva Molly alors qu’elle émergeait de l’une de ces cellules qui portait le sigle contourné d’un certain GERALD MENTON, DENTISTE. Elle boitait.

— Il m’a prévenue, si je balance mon pied dans quelque chose, il se détache.

— Je suis tombé sur un de tes potes. Un Moderne.

— Ah ouais ? Lequel ?

— Lupus Yonderboy. L’avait un message. (Il lui tendit un mouchoir en papier avec MUETDHIVER inscrit au feutre rouge en capitales nettes de son écriture laborieuse.) Il a dit…

Mais elle avait déjà levé la main pour lui intimer le silence.

— Allons nous bouffer un crabe, lui dit-elle.

Après le déjeuner à Baltimore, Molly disséquant son crabe avec une aisance inquiétante, ils regagnèrent New York en métro. Case avait appris à ne pas poser de questions : elles ne lui amenaient que signe de main indiquant le silence. Molly semblait avoir des problèmes avec sa jambe et parlait peu.

Une Noire mince, nattes et antiques résistances tressées dans les cheveux, leur ouvrit la porte du Finnois puis les guida au milieu du tunnel de détritus. Case avait l’impression que l’empilement avait grossi durant leur absence. Ou bien qu’il s’était subtilement modifié, percolant sous la pression du temps, flocons invisibles et silencieux compactés pour former un mortier, une essence cristalline de technologie au rebut qui florissait en secret dans les décharges de la Conurb.

Derrière sa couverture de l’armée, le Finnois attendait, installé à la table blanche.

Molly se mit à lui parler par signes rapides puis sortit un bout de papier sur lequel elle griffonna avant de le passer au Finnois. Il le prit entre le pouce et l’index, le maintenant loin du corps comme s’il menaçait d’exploser. Il fit un signe dont Case ignorait le sens mais qui véhiculait quelque chose comme un mélange d’impatience et de résignation morose. Il se leva, essuyant des miettes sur le devant de sa veste en tweed usée. Un pot de harengs saurs était posé sur la table près d’un emballage déchiré de biscuits et d’un cendrier de fer-blanc rempli de mégots de Partagas.

— Attendez, dit le Finnois, et il quitta la pièce.

Molly prit sa place, extruda la lame de son index droit et embrocha une tranche de hareng grisâtre. Case déambula dans la pièce, caressant du doigt au passage le scanner fixé sur les pylônes.

Dix minutes plus tard, le Finnois revenait, toutes dents dehors en un large sourire jaune. Il opina du bonnet, leva le pouce à l’intention de Molly et fit signe à Case de l’aider à obturer la porte. Quand Case eut lissé la bordure en velcro, le Finnois sortit de sa poche une petite console plate et pianota dessus une séquence complexe.

— Toi, mon chou, dit-il à Molly en plaquant à nouveau sa console, tu l’as eu. Pas à chier, je peux le sentir. Tu veux bien me dire où tu l’as eu ?

— Yonderboy, dit Molly, repoussant le pot de harengs et les biscuits. J’ai passé un marché avec Larry, en prime.

— Malin, dit le Finnois. C’est une IA.

— Eh là, pas si vite, dit Case.

— Berne, poursuivit le Finnois, ignorant l’interruption. Berne. Elle a la nationalité suisse « restreinte », sous l’égide de l’équivalent de notre loi de 53. Construite pour la Tessier-Ashpool SA. Ils possèdent l’unité centrale et le logiciel d’origine.

Case s’interposa délibérément :

— On m’explique ce qu’il y a à Berne, d’accord ?

— Muetdhiver est le code de reconnaissance pour une IA. J’ai récupéré les matricules du registre de Turing. Intelligence artificielle.

— Impec, dit Molly. Mais tout ça nous mène où ?

— Si Yonderboy dit vrai, dit le Finnois, cette IA est derrière Armitage.

— J’ai payé Larry pour que les Modernes aillent un peu fourrer leur nez dans les affaires d’Armitage, expliqua Molly en se tournant vers Case. Ils ont des réseaux de communication assez tordus. Le marché était qu’ils avaient leur fric s’ils répondaient à cette seule question : qui manipule Armitage ?

— Et tu crois que c’est une IA ? Ces trucs n’ont pas le droit d’avoir la moindre autonomie. Ce doit être la firme mère, cette Tessle…

— Tessier-Ashpool SA, dit le Finnois. Et à leur sujet, j’ai une petite histoire pour vous deux. Ça vous intéresse ?

Il s’assit et se pencha en avant.

— Le Finnois, remarqua Molly, il adore les histoires.

— Celle-là, j’l’ai encore racontée à personne, commença le Finnois.

Le Finnois était un receleur, un trafiquant en marchandises volées, essentiellement du logiciel. En cours d’affaires, il lui arrivait d’entrer en contact avec des collègues, certains branchés sur des articles plus traditionnels : métaux précieux, timbres, monnaies rares, pierres précieuses, bijoux, fourrures, tableaux et autres œuvres d’art. L’histoire qu’il conta à Case et Molly commençait par celle d’un autre homme, un homme qu’il appela Smith.