— C’est tout réfléchi !
Il fallait s’y attendre.
Il saisit le dossier bleu et le lui tendit.
Elle se cala dans le fauteuil, respira à fond, et se mit à lire pendant que, du fond de la pièce, Paul tirait une cigarette du paquet qu’il gardait pour de très rares occasions.
Confidentiel.
À ne divulguer à aucun tiers.
Objet : Surveillance lundi 28 mai de M. Thierry BLIN, dit Franck SARLA (et dénommé ci-après) à partir de son domicile, 24, cité Germain-Pilon, 75 018 Paris.
8 h 00 : Début de mission
8 h 30 : Mise en place du dispositif de surveillance au niveau du 24, cité Germain-Pilon.
10 h 25 : Sortie de M. SARLA, seul, il porte un pantalon et une épaisse vareuse en cuir. Il se rend, à pied, à la brasserie du « Mont d’or », à l’angle du boulevard de Clichy et de la rue André-Antoine. M. Sarla semble connu du personnel et du patron, M. Brun, qui vient à sa rencontre. Ils s’installent à une table à l’écart pour discuter.
11 h 50 : Fin de la conversation avec M. Brun. M. Sarla quitte la brasserie pour s’engouffrer dans le métro.
12 h 05 : M. Sarla sort du métro à la station Brochant et entre au « Cercle Batignolles », un établissement de jeu sis au 145, rue Brochant. Le cercle étant régi par la loi 1951, seuls les membres parrainés peuvent avoir accès aux salles de jeux de cartes et de boule. La surveillance se poursuit à partir de l’académie de billard attenante aux salles de jeu.
13 h 30 : Courte réapparition de M. Sarla, portant une cravate et une veste manifestement prêtées par l’établissement. Il se rend aux toilettes et retourne dans la salle de jeu. Renseignements pris, il ne peut s’agir que de la salle où se réunissent les joueurs de poker.
15 h 50 : M. Sarla quitte le cercle, seul.
15 h 55 : M. Sarla entre dans le métro Brochant.
16 h 05 : M. Sarla sort du métro Place-de-Clichy, et s’achemine rue Blanche.
16 h 10 : M. Sarla entre dans une crèche municipale au 57 de la rue Blanche.
16 h 25 : M. Sarla sort de la crèche municipale avec un bébé dans les bras et l’installe dans une poussette qu’il sort d’une remise. Il quitte les lieux.
16 h 30 : M. Sarla achemine la poussette vers la rue Notre-Dame-de-Lorette jusqu’à l’arrêt de bus 74, station Saint-Georges, et attend.
16 h 35 : Arrivée d’un bus, une jeune femme en descend et va à la rencontre de M. Sarla. Elle semble avoir dans les vingt/vingt-cinq ans, porte une jupe courte et un blouson de cuir de type « Perfecto ». Après un baiser sur les lèvres de M. Sarla, elle se saisit du bébé avec des attitudes maternelles.
16 h 55 : M. Sarla quitte la jeune femme et l’enfant, remonte la rue Notre-Dame-de-Lorette à pied, puis la rue Fontaine, et s’arrête dans une boutique de fourrures et cuirs sur mesure, au 17 rue Duperré. Il essaie une sorte de très longue tunique en cuir beige décorée de broderies noires ; le tailleur ajuste les manches (très larges, type « chauve-souris ») ce qui nécessite plusieurs essayages.
17 h 20 : M. Sarla sort de la boutique et entre dans le métro Pigalle.
17 h 45 : M. Sarla sort au métro Sentier et se dirige vers l’angle de la rue Réaumur et de la rue Saint-Denis.
17 h 50 : M. Sarla attend au coin de la rue.
17 h 55 : Une prostituée (quarante/quarante-cinq ans) vient à la rencontre de M. Sarla. Ils parlent un moment puis s’engagent sous le porche du 148 bis, rue Saint-Denis et entrent dans un immeuble vétuste. Renseignements pris, la prostituée est connue sous le prénom de Gisèle et exerce principalement rue Saint-Denis.
19 h 45 : M. Sarla et ladite Gisèle ressortent de l’immeuble et se séparent. Il est à noter que la prostituée a une partie du visage tuméfiée (traces de coups, bleus), elle vient manifestement de pleurer et garde encore un mouchoir en main. Pendant qu’elle rejoint son secteur d’activité, M. Sarla se dirige vers la porte Saint-Denis et entre dans le métro Strasbourg-Saint-Denis.
20 h 05 : M. Sarla rejoint la place Vendôme puis entre dans le restaurant « Alibert », rue de Castiglione. Le lieu étant de haute gastronomie, les tables ne sont données que sur réservation ; la surveillance se poursuit de l’extérieur, dans un café situé en face, le Balto.
23 h 05 : M. Sarla ressort du restaurant, accompagné de deux hommes, la cinquantaine, tenues élégantes. Ils discutent un moment avant de monter chacun dans une voiture conduite par un chauffeur, une Mercedes immatriculée 450 CZH 06, et une Safrane immatriculée 664 DKJ 13. L’homme qui entre dans cette dernière propose à M. Sarla de le raccompagner, il refuse.
23 h 10 : M. Sarla quitte la rue de Castiglione.
23 h 50 : M. Sarla est rentré, à pied, à son domicile, 24, cité Germain-Pilon.
23 h 55 : Le dispositif de surveillance est maintenu à partir du 24, cité Germain-Pilon.
Paul guettait le moment précis où elle allait tourner la page.
— J’ai préféré rester, quitte à y passer la nuit. Compte tenu de son emploi du temps, j’ai imaginé que ce type avait des activités nocturnes. Et j’ai eu raison.
La nuance rosée avait quitté les joues de Brigitte pour se faire plus pâle.
Objet : Surveillance mardi 29 mai de M. Thierry BLIN dit Franck SARLA (et dénommé ci-après) à partir de son domicile, 24, cité Germain-Pilon, 75018 Paris.
2 h 40 : M. Sarla quitte son domicile dans la même tenue que la veille. Il s’engage sur le boulevard de Clichy.
3 h 00 : M. Sarla stationne devant le cinéma désaffecté, « Le Royal », à l’angle de la rue du Delta et de la rue du Faubourg-Poissonnière. Il actionne une sonnette devant le grillage, et attend. Il recommence l’opération plusieurs fois et manifeste des signes d’impatience.
3 h 10 : Un homme âgé ouvre la porte battante du cinéma, puis le grillage pour faire entrer M. Sarla.
5 h 40 : M. Sarla ressort du cinéma en compagnie de quatre femmes, entre vingt-cinq et quarante ans, en tenue de ville, et très maquillées. Ils attendent silencieusement, au seuil.
5 h 45 : Trois taxis s’arrêtent à leur hauteur, M. Sarla veille à ce que chacune soit bien installée. Ils se serrent la main. Les taxis repartent. M. Sarla descend la rue du Faubourg-Poissonnière tout en passant divers coups de fil sur son téléphone portable.